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NOTES DE LECTURES

Bréonaz, août 2010

MAUREEN MURPHY, 2009.
De l’imaginaire au musée : les arts d’Afrique à Paris et à New York (1931-2006). Les Presses du réel (Œuvres et sociétés)

Un livre qui se donne pour thème une mise en perspective historique de la représentation des arts extra-occidentaux dans les musées et dans l’imaginaire occidental en France et aux USA.

On peut y déceler trois optiques que je nommerai ici l’Afrique marchandise, l’Afrique rêvée et l’Afrique comprise. Le troisième volet n’est qu’effleuré ; on peut se demander pourquoi.

L’Afrique marchandise

C’est la filière qui mène de la découverte de l’art africain par les artistes des années 30 au Pavillon des Sessions du Louvre et au Musée du quai Branly. L’art d’abord reconnu pour ses seules valeurs plastiques et esthétiques, devient vite une marchandise. L’esthétique pure est revendiquée, l’Afrique totalement évacuée et méprisée.

Quelques repères :

Années 30. Le cautionnement universaliste de l’art moderne par la référence aux « primitifs » marque le point de non retour de la récupération. Avec la multiplication des ventes et des expositions intégrant des objets d’art africains et océaniens, l’art primitif devient presque aussi prisé que l’art moderne, dont il est indisssociable. La recherche de « marchés » est la préoccupation dominante des galliéristes, aussi bien que des musées.

lectures2x Murphy, fig. 41. Man Ray. Femme et sculpture d'une reine babwa (Cameroun), années 1930.

1947, parution du Musée imaginaire, version intellectuelle du même courant. André Malraux tente d’appréhender l’art à la lumière d’un idéal universaliste.

« Libérées de leurs fonctions, de leur appartenance géographique ou historique constitutive de leurs différences fondamentales, quelle que soit leur taille («des figurines au colosse ») ou leur statut («des curiosités aux chefs-d’œuvre »), les œuvres pourraient ainsi toutes accéder au temple de l’art. Un temple unique, sécularisé, laïque, où le dieu vénéré ne serait plus un dieu religieux, mais bien celui de la modernité. »

 

Dans les années 50, pillage du continent directement par les galliéristes. Selon Hélène Kamal (Leloup), qui remplit des camions d’objets, à propos du Mali : « en dépit de la résistance de la vieille garde, en dix ans la pays est vidé. »

Pavillon des Sessions. Scénographie pour que tout soit fait pour que l’imaginaire de chacun puisse se développer au contact des œuvres sans être « parasité » par l’information. Les objets n’intègrent le « temple » de la culture qu’une fois les traces de leur histoire effacées.

Jacques Kerchache a réalisé le parfait condensé de la vision occidentale des arts d’Afrique telle qu’elle s’est construite au début du siècle :

« Il n’y a pas de preuve en art. Pourquoi recourir aux béquilles de l’ethnographie, à celle du primitivisme ou aux a priori de la pensée étiqueteuse, source de confusion ? Que m’apporte tout ce savoir au regard de la relation que j’ai nouée avec cette œuvre ? »

Dans cette perspective, voir également : MURPHY, M. 2006. Voyages d'un reine bangwa dans l'imaginaire occidental. Afrique, archéologie, arts, 4, 23-34.

L’Afrique rêvée de la négritude

A l’opposé se développe une vison idéalisée de l’Afrique qui veut redonner sa place au continent noir, mais qui ignore le plus souvent tout de la diversité et de l’historicité des cultures africaines.

Ce courant se trouve d’abord dans la vision romantique et subversive du surréalisme, puis dans le concept de négritude.

Les artistes africains modernes qui revendiquent leurs racines ont le plus souvent une vision très vague des réalités ethnohistoriques.

Quelques repères :

L’art nègre et le surréalisme. Ce qui rapproche initialement ethnologie et surréalisme : refus de l’art réduit à une valeur d’échange, une marchandise réduite à une adéquation au goût d’une époque, mais récupération comme outil de destruction de la culture occidentale.

Bien qu’imprégné d’un imaginaire hérité de la colonisation, la négritude s’inscrit dans un mouvenent d’affirmation panafricain qui puise ses racines dans le mouvement de revendication des Nois américains de la Harlem renaissance. Les Noirs américains n’envisagent pourtant jamais l’Afrique comme un critère d’intérêt prioritaire.

1966. Festival des arts nègres à Dakar et Gorée : faire participer l’Afrique à la «civilisation de l’Universel ». Malraux, partie prenante de l’événement, rebaptise le Musée dr la France d’Outremer en Musée des arts africains et océaniens.

lectures3xCouverture de la publication du 1er festival des arts nègres de Dakar.

 

 

Léopold Sedar Senghor : la culture nègre ne commencerait à exister qu’à partir du moment où elle entrerait dans la sphère occidentale. La culture nègre est l’expression symbolique d’une nouvelle union entre les nations anciennement colonisées et la Métropole. La négritude ne remet pas en question le cadre identitaire colonial. Senguor applique à tous une image du noir qui ne semble correspondre à aucune réalité concrète.

 

 

L’écrivain noir américain Richard Wright :

« Je me demande où je me situe par rapport à cette culture (de la négritude), moi, nègre américain, conditionné par le force industrielle, abstraite et dure du monde occidental. »

Présentation d’artistes africains modernes aux côtés de l’art traditionnel à la Fondation Dapper : confrontation de deux mondes totalement étrangers l’un à l’autre. Les artistes modernes ne connaissent pratiquement rien de l’art traditionnel. Leurs créations s’inscrivent dans l’art contemporain international.

L’Afrique comprise et respectée

Comment peut-on renouer avec l’intentionalité de l’artiste sans connaître son origine, le milieu dans lequel il évolue ?

Le livre n’aborde cette question qu’à travers l’expérience du Musée du Trocadéro, puis ignore totalement le sujet à part une courte allusion à l’IFAN qui constitue pourtant un organisme à vision scientifique (il est vrai peu tourné vers l’étude des arts africains).

Quelques repères :

En 1936, création de l’IFAN de Dakar. Théodore Monod en prend la direction en 1938.

Musée d’ethnographie du Trocadéro, futur Musée de l’Homme, inauguré en 1938. Contradiction entre position anti-impérialiste de certains de ses membres et le contexte politique colonial et le discours évolutionniste de l’époque.

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Couverture de la revue Minotaures contenant le premier compte-rendu de la mission Dakar-Djibouti dirigée par Marcel Griaule.

Parti pris de mise en évidence des contextes culturels des objets. Les objets sont envisagés dans leurs rapports avec les hommes qui les ont créés. Contre le phénomène de la « mode nègre » en vogue dans les annés 30, le Musée de l’homme veut imposer le document par opposition à la vision romantique du Musée permanent des colonies. On le détruira pour le remplacer par le Musée du Quai Branly.

 

 

En résumé un livre très riche, mais présentant une lacune essentielle.

Deux questions :

L’escamotage de la vision anthropologique vient-il du non intérêt porté à cette question pourtant essentielle par l’auteur de ce livre, ou aucune réflexion portant sur cette question n’a-t-elle été développée pendant la période considérée ? Pour moi cela reste une énigme. Il faut dire que l’examen des livres consacrés à l’art africain ne porte pas à l’optimisme à part quelques rares exceptions comme le livre de Zahan consacré aux cimiers de danses bambara ou celui de Griaule sur les masques dogon, tous deux produits dans le cadre des équipes du Musée de l’homme.

Je me demande enfin si le concept d’ « art », propre à l’Occident, est vraiment adéquat pour aborder les productions africaines ?

Il est temps de se resaisir. Quel gâchi et quel mépris depuis les années trente ! Quelle piètre et désolante image l’Occident donne-t-il de sa réflexion !

Verrons nous enfin des approches tenant compte de la diversité, de l’historicité et des contextes socio-politiques et religieux des « arts » africains, une vision de connaissance qui ne bafoue pas les hommes qui les ont produits ?

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