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NOTES DE LECTURES

Genève. Novembre 2014


JULIEN, M., KARLIN, C., ed. 2014.
Un automne à Pincevent : le campement magdalénien du niveau IV20.
Paris,  Société préhistorique française. (Mémoire ; 57).

A ce sujet voir également le cours donné le 26 octobre 2015 à l'Université de Genève et la bibliographie s'y rapportant

 

Cette monographie collective rassemblant de nombreux auteurs sous la direction de Michèle Julien et de Claudine Karlin (2014) -  publiée à l’occasion de la célébration du Cinquantenaire des fouilles de Pincevent (La Grande-Paroisse, Seine-et-Marne) - présente l’ensemble des vestiges magdaléniens du niveau IV20, soit quatre unités considérées comme des lieux de résidence (27-M89, 36-V105, 36-T112 et 18-E74) et une série de foyers périphériques probablement établis en plein air. Elle signe le grand retour de l’ethnologie dans l’étude des sols d’habitat préhistoriques.

 

On trouvera dans le numéro 1 du BSPF 2015, rubrique « correspondance », une présentation de cette monographie, et dans l’introduction de notre livre sur les camps touareg du Sahara central, en cours de réédition chez Infolio, un éclairage d’ordre historique (Gallay, A. à paraître. Autour du feu : campements touareg du Sahara central. Gollion : Infolio).

 

Nous ne donnerons donc ici que des références plus techniques concernant l’utilisation de l’ethnologie, références qui ne peuvent être présentées sous cette forme dans ces deux textes à paraître.

 

Il était en effet important pour nous de procéder à une évaluation détaillée des références ethnologiques mobilisées par les deux auteurs avant de porter un quelconque jugement sur ce changement de philosophie assumé par les deux auteures du livre, en rupture apparente avec les préceptes de Leroi-Gourhan qui a toujours mis en garde les fouilleurs contre l’utilisation incontrôlée de l’ethnologie.

 

Claudine Karlin, qui a longuement fréquenté le Patron,  nous a pourtant particulièrement bien résumé la situation. Tout est dit sur cette question dans cette citation :

« André Leroi-Gourhan avait pourtant tout dans la tête. Il pouvait rendre attentif aux dangers de l’utilisation de l’ethnographie dans l’interprétation des vestiges, mais lui le faisait tout naturellement sans que cela apparaisse, en puisant dans ses propres connaissances. Les hypothèses qu’il avançait semblaient par conséquent venir directement de sa propre réflexion. »

Il est donc grand temps d’exhumer tout ce savoir, de l’expliciter et de le formaliser au sein d’un nouveau savoir constitué. Ce que nous avons écrit à propos de cette monographie ne constitue qu'une esquisse très imparfaite allant dans cette direction.

 

Nous pouvons distinguer ici trois cas de figures.

Le premier est, somme toute, classique et fait l’unanimité ; il concerne la biologie et l’éthologie du renne. Le second se situe en plus grande partie en dehors de l’ethnologie et se fonde sur les acquis de l’expérimentation de la taille du silex. Le troisième, de loin le plus important, fait référence à l’ethnologie des peuples arctiques, notamment sibériens. Nous laisserons ici de côté la question de l’expérimentation de la taille du silex.

 

SchémaX

 

Fig. 1. Référentiels actualistes utilisés pour interpréter les vestiges des campements magdaléniens de Pincevent.

 

On trouvera ci-dessous l’ensemble des références mentionnées, de manière explicite, dans le texte ou sous forme de photographies. D’autres ont certainement été utilisées de façon plus diffuse par les fouilleurs de Pincevent, mais nous n’en avons pas de traces directes dans la monographie.

 

 

UN REFERENTIEL NATURALISTE

 

Etho-physiologie du renne

La biologie et l’éthologie du renne font partie d’un bagage largement utilisé par les préhistoriens et les archéozoologues. Le fait qu’il s’agisse d’un domaine relevant des sciences de la nature explique probablement qu’il n’y ait pas de contestation sur la légitimité du recours à ce type de connaissance.

- Les rennes actuels mettent bas dans la seconde moitié du mois de mai (p. 80).

- La période de l’année où les deux sexes portent des bois en même temps se situe entre le début de l’été et le début de l’hiver (p. 80).

- Le mouvement de migration automnale d’un troupeau de rennes sauvages commence au moment où une baisse de température marque la fin de la belle saison et annonce l’arrivée de l’hiver (p. 551).

- C’est seulement pendant la migration d’automne que les bandes de mâles et de femelles sont regroupées en larges troupeaux (p. 80).

- C’est à la fin de l’été que les animaux ont emmagasiné le plus de graisse afin d’affronter l’hiver (p. 568).

 

DES REFERENTIELS ANTHROPOLOGIQUES

 

Nous sommes ici au cœur des discussions, sinon des polémiques, sur  la pertinence de l’ethnoarchéologie. Il réunit des connaissances plus ou moins abouties tirées notamment des travaux désormais classiques de Lewis Binford sur les Nunamiut ou des études de Sylvie Beyries sur le travail des peaux.

Fait nouveau, on trouve dans ce nouvel ouvrage sur Pincevent également de nombreuses références tirées des études ethnoarchéologiques menées directement par les auteurs de la monographie. Soulignons l’originalité et l’importance de ce projet car il est rare que les archéologues mènent conjointement leur travail de préhistorien et des recherches sur des terrains exotiques dans des domaines suffisamment proches pour justifier les ponts qu’ils établissent entre les deux sujets de recherche.

On résumera ci-dessous toutes les propositions de la monographie ayant recours à l’ethnologie, notamment celle des peuples arctiques, ce qui permet d’évaluer l’importance des ces références extérieures dans le construction de l’interprétation. Comme mentionné, plusieurs rélférences proviennent des recherches ethboarchéologiques menées directement par les auteures.

 

LE CAMPEMENT

 

Fonction des campements

- La présence d’un camp réunissant plusieurs tentes permet aux éleveurs semi-sédentaires de travailler sur le troupeau (Koriak, Kamtchaka, p. 368, photo 14), et pour les chasseurs d’organiser des chasses collectives (Burch 1972, Spiess 1979, Hepner et al. 1989, Blehr 1999, Gordon 1990, Gorbatcheva 1992, Diatchenko et al. 2004, Diatchenko 2005, p. 552).

- La présence d’un camp réunissant plusieurs tentes témoigne d’une intensification des relations sociales (Koriak, Kamtchaka, p. 368, photo 14).

 

Structure des campements

- Deux habitations installées l’une près de l’autre révèle la présence de liens particuliers unissant leurs résidents (p. 322).

- La proximité ou l’éloignement des habitations peut être l’expression de liens sociaux. La proximité marque des rapports de filiation ou de proximité généalogique ou encore des rapports d’allégeance (Dolgane, p. 326, photo 47).

- Un visiteur averti sait décrypter uniquement par le positionnement des tentes, la hiérarchie qui est à l’œuvre (Tchoukotka, Vaté 2003, p. 588).

- Le degré d’intégration économique peut dépendre de la proximité de l’emplacement des familles dans la topographie du campement (Gargett, Hayden 1991, Altman 1987, p. 554).

 

Architecture des tentes

- Les habitations mobiles peuvent être de différents types (Gorbatcheva 1992, Julien, Karlin 2007, Bird 1946) :

1. La tchoum conique, pour laquelle la couverture en peau est hissée sur un faisceau de perches sèches (Taïmyr, bord lac Labaz).

2. La hutte alakaluf (Patagonie occidentale).

3. La iaranga koriak dont seule la moitié de la couverture peut être mise en place lors d’une halte brève(Kamtchaka, Sakha-Yakoutie, p. 355, photo 3c).

 

Remarquons personnellement que la iaranga semble conserver son infrastructure circulaire de perches, même lorsqu’elle est largement ouverte (fig. 3c, p. 355), ce  qui donne un plan au sol difficilement compatible avec la répartition des vestiges, mais d’autres dispositions des perches de soutien sont possibles. Nous privilégions néanmoins personnellement les abris en demi-cercle des indiens Tehuelches et Onas, non illustrés dans la monographie. Ils nous paraissent en effet mieux adaptés aux restitutions de plans proposées. Certains abris de ces populations sont néanmoins immenses et leurs plans ne s’adaptent pas aux vestiges de Pincevent.

 

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Fig.2. Une tente téhuelche de trop grandes dimensions pour s’adapter aux structures de Pincevent. http://www.tecpetrol.com/patagonicos/cuaderno04/htm/c0402.htm

 

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Fig. 3. Une tente téhuelche légèrement trop grande pour s’adapter aux structures de Pincevent. http://www.bariloche.com.ar/museo/TEHUEL.HTM

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Fig. 4. Modèle d’une tente téhuelche adaptée aux structures de Pincevent. D’après Steward J. H., Faron L. C. 1959. Native peoples of South America,  New York, Toronto, London, McGraw-Hill book company, p. 410.

 

- Aisément transformable, l’habitation nomade permet une adaptation rapide de l’espace intérieur au nombre fluctuant de ses occupants, en fonction de la saison, d’évènements familiaux, du passage de visiteurs, etc. (Robert-Lamblin 2007, p. 35).

- La peau fourrée qui est le plus souvent utilisée pour couvrir les tentes, avec les poils à l’extérieur, ceux-ci étant parfois raccourcis pour faciliter le passage de la lumière et le glissement de la neige (Sibérie, Tchesnokov 1995, Vaté 2003, Julien, Karlin 2007, p. 354).

- Deux couvertures à fourrure plus ou moins épaisse différencient les tentes d’hiver et celles d’été (Sibérie, Tchesnokov 1995, Vaté 2003, Julien, Karlin 2007, p. 354).

- Constituée de plusieurs dizaines de peaux cousues entre elles, la couverture de tente se doit d’être entretenue avec soin par les femmes avec la plus grande précaution afin que le bien précieux puisse passer de génération en génération (Robert-Lamblin 2007b, p.354).

 

Territoire domestique

- Il existe autour de l’habitation un territoire privé qui s’oppose au territoire périphérique partagé par tous (Dolgane, p. 210).

- Dans cette zone plus ou moins proche sont déposés de objets encombrants et/ou volumineux appartenant à la famille : paquetages, traîneaux, réserves de bois (Dolgane, p. 210, photo 13, Koriak, Kamtchaka, p. 262, photo 44).

 

Foyer

Le feu domestique n’est pas maintenu en continu afin d’économiser le combustible, mais il est relancé à chaque fois que nécessaire, ce qui suppose une possibilité permanente d’accès à la cuvette du foyer (p. 252).

 

Foyers adventices

- Dans la zone relevant du territoire domestique peut se rencontrer de petits foyers domestiques d’appoint (Koriak, Kamtchaka, p. 262, photo 44).

- La présence de pierres chauffées dans un foyer peut correspondre à une loge à transpirer ou un sauna, constituée par une petite tente édifiée très temporairement au-dessus d’un foyer garni de pierres sur lesquelles l’eau est progressivement versée (régions septentrionales de l’Eurasie et de l’Amérique, p. 347).

- Certains foyers peuvent correspondre à des smudge-pits, fosses utilisées pour le fumage des peaux (Binford 1967, p. 348).

- Certains petits foyers peuvent être utilisés pour travailler, courber ou redresser des pièces de bois, notamment des éléments de traîneau (Kamtchaka, photo 75, p. 458).

- La présence de pierres de calages pour un poteau au centre d’un foyer signale un lieu destiné au séchage ou au fumage des grandes peaux (Beyries 2008, p. 348).

 

LE TRAVAIL DE LA PIERRE

 

Technologie lithique : apprentissage

- Le jeune enfant apprend à maîtriser le savoir technique du groupe par le jeu, comme pour la confection ou le maniement du lasso (Dolgane, p. 124, photos 7 et 8).

- Ce jeu permet d’acquérir des savoirs en relation avec des activités masculines comme l’élevage (p. 124).

- Le jeune enfant apprend à maîtriser le savoir technique du groupe sous la conduite d’un adulte, comme c’est le cas pour le dépouillement d’un renne (Tchoukotka, p. 124, photo 9).

- Le passage entre les jeux à l’activité productive se fait dans la continuité : au fur et à mesure que s’élaborent les savoir-faire, les jeunes s’impliquent dans les activités quotidiennes du groupe selon leurs capacités (p. 124). 

 

Taille par les femmes

- Les femmes peuvent travailler  la pierre pour fabriquer des grattoirs qu’elles insèrent ensuite dans un manche en bois transversal pour travailler les peaux de rennes, soit une tâche domestique (Kamtchaka, Koriak, p. 249-50, photo 30).

 

 

PRODUITS DE CHASSE : LE TRAITEMENT DU RENNE

 

Aire de boucherie, dépeçage

- Le travail de boucherie peut s’effectuer près de l’eau, ce qui facilite les opérations de nettoyage, l’animal reposant sur des galets de bord de lac (Dolgane,  p. 557, Photo 3).

- Les aires de boucherie sont souvent associées à de petits foyers où les opérateurs viennent réchauffer leurs mains et consommer, à l’occasion, de la moelle fraîche (Nunamiut, Binford 1983, p. 261).

 

Dépouillement

- Chaque fois que c’est possible le traitement d’une carcasse est collectif, ce qui facilite le travail et le rend plus rapide, en particulier le dépouillement qui suppose à la fois d’insérer son poing sous la peau et en même temps de tirer sur les parties qui commencent à se décoller (Kamtchaka, photo 2, p. 557).

- On peut prélever séparément la peau du corps et des pattes. La peau du corps est prélevée par insertion du poing entre la peau et la carcasse. Ce n’est qu’une fois la peau sectionnée au dessus des métapodes que la peau est enlevée (Dolgane, p. 557, photo 3).

- On peut également enlever la peau d’un seul tenant, des sabots aux nasaux. La tête est soigneusement détourée au niveau des lèvres. L’animal est ensuite posé sur des branchages pour être vidé. La découpe des excroissances se fera au niveau de travail de peausserie (Koriak, Kamtchaka, p. 562, photo 2).

 

Dépeçage

- On distingue deux étapes dans la découpe d’une carcasse : 1. quartiers (trains de côtes, etc.) et panse remplie de sang prêts à être partagés. 2. Morceaux prêts (viande réduite en petits morceaux) à être distribués, traités pour une cuisson immédiate ou une préparation en vue d’une conservation (Kamtachka, p. 563, photos 3a et 3b).

- La tête est tranchée au niveau des cervicales. La femme sépare la partie haute du crâne avec la cervelle de la mandibule avec la langue. La séparation du maxillaire et de la mandibule est marquée par une incision sur la branche montante de cette dernière (Kamtchaka, p. 562, photo 1).

- Un train de côtes  peut être fracturé par incision puis flexion, tandis que l’autre partie de la carcasse sert de récipient pour les abats nettoyés dans le sang soigneusement conservé. Les côtes sont cassées de force au niveau de leur courbure, les têtes restant attachées aux facettes articulaires des vertèbres dorsales (Taïmyr, p. 558, photo 5).

- Les chasseurs choisissent souvent d’emporter les têtes et les quartiers représentés par les quatre pattes, en laissant les colonnes vertébrales décharnées sur les lieux d’abattage (Enloé 2010, p. 556).

 

Séchage des quartiers

- On peut faire sécher des quartiers de viande au vent sur un trépied juste après l’abattage (Kamtchaka, p. 567, photo 3a).

- Succède au séchage, une préparation pour réduire la taille des morceaux, que la viande soit découpée en filets indépendants ou encore attachés les unes aux autre par l’épiderme, ce qui facilite le transport (Kamtchaka, p. 567, photo 3b).

 

Partage du gibier

- Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs la règle du partage du gibier est assez largement répandue, mais les modalités d’application varient d’un groupe à l’autre (p. 553).

- La pratique du partage peut obéir à des règles diverses, au sein de la parenté, entre les partenaires de chasse ou selon d’autres liens sociaux (Enloé 2003, p. 553).

- Le partage de la nourriture entre les membres d’une communauté familiale et économique est la configuration que l’on peut attendre dans un système logistique (Binford 1980, p. 553).

- On peut parler à certaines occasions de partage multimodal (!Kung, Yellen, p. 553).

- Il peut exister plusieurs étapes de redistribution, après le partage préliminaire en quartiers au retour de la chasse (Bahuchet 1985, p. 562).

- Un premier partage intervient au niveau de la découpe des quartiers, souvent avant le retour au camp (p. 558).

- Un second partage intervient au retour au camp (p. 558).

- Des parts plus petites, des os riches en moelle ou même des viandes cuites peuvent être données à des parents ou à des proches (Bahuchet 1985, p. 562).

- Les éléments riches en moelle ne circulent pas de la même manière que les autres quartiers de viande ; ce sont les parties le plus souvent attribuées au chasseur (p. 555).

 

Traitement des peaux

- Dans les sociétés où la chasse est une activité prépondérante, le travail des peaux est généralement l’apanage des femmes (Vézinet 1979, Testart 1986, Binford 1978, p. 446).

- Des traces sur les deuxièmes phalanges indiquent un travail de dépouillement (Binford, p. 277).

- Après l’écharnement qui se pratique sur des peaux fraîches, le séchage est l’étape suivante obligatoire. Différents procédés sont utilisés qui, tous, ont pour objectif d’empêcher le peau de s’enrouler et de rétrécir en séchant (Grand Nord, p. 581).

– Le séchage des peaux peut avoir lieu au sol avec maintien à l’aide de chevilles plantées dans le sol (Sibérie, région de l’Amour, p. 582, photo 2).

- Toutes les préparations pour l’enduction des peaux sont doucement réchauffées pour augmenter le pouvoir pénétrant (Kamtchaka, Beries 2008, Beyries et al. 2002 , p. 444).

- Les peaux peuvent être fumées pour être imperméabilisées (Beyries 2008, p. 262).

– La peau des pattes de renne est utilisée pour confectionner des bottes. De même les parties de vêtement proches du visage utilisent la peau car la plantation de poils fait qu’elle gèle moins vite (Taïmyr, p. 582-583, photo 3).

 

Fonction des galets (travail des peaux)

- Les galets peuvent intervenir à diverses étapes du travail des peaux (p. 183-184).

- Un gros galet peut être utilisé comme enclume pour marteler une peau sèche à l’aide d’un pilon de pierre (Kamtchaka, p. 421, photo 41).               

- De petites peaux peuvent être traitée par frottement avec un galet abrasif. Il s’agit surtout de retirer l’hypoderme. L’outil choisi pour sa matière rugueuse sert à abraser l’intérieur de la peau et sa face de  travail est habituellement aplanie par l’usage (Photo, p 183-184, photo 8b).

- Des  galets rugueux servent au ponçage final de petites peaux. Les galets utilisés pour débarrasser la peau des dernières particules d’épidermes ou pour préparer de petites peaux comme celles de l’écureuil, sont des outils de fortune choisis de façon opportuniste (Canada, p. 184, Beyries 2008).

- Des galets sont utilisés dans des opérations de corroyage pour lisser la peau lors de la fabrication de coussins ou tapis. Le contexte étant désertique et le sable omniprésent, les galets présentent toujours des stries profondes très marquées. Il s’agit d’un lissage effectué en fin de chaîne opératoire avant décoration et/ou couture, la peau étant déjà traitée  (Mauritanie, Beyries 2008, p. 183, photo 8a).  

 

Utilisation de l’ocre

- La poudre d’ocre peut servir soit à consolider une colle mastic colloïdale, soit à imperméabiliser et assécher des liens de cuir ou de tendons (p. 496, Beyries 2006).

 

Prélèvement des tendons

- On peut prélever de longs tendons en faisceaux sur le dos des rennes afin de les tresser ou de les torsader en fils ou cordelettes après les avoir séchés et séparés (Nunamiut, Vésinet 1979, p. 580).

- Les tendons bruts défibrillés secs sont traités par torsion en frottant plusieurs fibres entre les deux paumes pour donner des aiguillées utilisées dans la couture (Kamtchaka, Koriak, p. 580, photo 1).

 

PRODUITS DE COLLECTE

 

Collecte du bois

- La collecte du bois est une activité plus ou moins partagée mais forcément commune, en fonction de la proximité ou de l’éloignement de la ressource et de son abondance : femmes et enfants d’un côté, hommes de l’autre (Vaté, Beyries 2007, p. 579).

- Cette situation renvoie à des répartitions sexuelles des tâches communes aux diverses populations de chasseurs-cueilleurs (Testart 1986.)

 

Chasse aux petits mammifères

- La chasse aux petits mammifères est pratiquée par les femmes (Bouchard 2005, p. 281).

- Les lièvres sont plutôt capturés au collet ou assommés, genre de chasse réservé aux femmes et aux adolescents non encore chasseurs (Testart 1986, Bouchard 2005, p. 559).

 

PREPARATION, CONSERVATION, CONSOMMATION DE LA NOURRITURE

 

Traitement des os, extraction moelle et osséine

- La focalisation sur la moelle est très fréquente chez les chasseurs-cueilleurs actuels. (Kamtachaka, p. 278, photo 16).

- La consommation de la moelle osseuse extraite de la diaphyse des os longs suppose des fractures qui n’abiment pas le cordon médullaire (Binford 1981, p. 259)

- On peut extraire un cordon de moelle en fracturant un métapode (Kamtchaka, p. 556, photo 1).

- Les épiphyses du métapode fracturé dont on a extrait la moelle sont ensuite mâchonnées (Koriak, p. 566, photo 2).

- Souvent les chasseurs extraient et mangent la moelle des métapodes sur le terrain plutôt que de la rapporter dans la résidence (Binford 1978a, Yellen 1977, p. 278).

- La récupération de la moelle rouge contenue dans les os plats ou courts s’obtient plutôt par mâchonnage direct des fragments (Malet, p. 259),

- L’extraction de l’osséine est facilitée par un broyage plus ou moins poussé des tissus osseux (Karlin, Tchesnokov 2007, p. 259).

Le concassage des os de rennes mis de côté pendant l’hiver permet d’extraire la graisse (Koriak, p. 259, photo 40).

- La fragmentation découle également de la nécessité de les fracturer pour les faires entrer dans les récipients disponibles pour une cuisson par bouilli qui permet de récupérer la graisse. Les fonds de cuisson peuvent être jetés sur le sol après l’opération (régions arctiques, p. 259).

 

Préparation, conservation, consommation de la nourriture

- La plupart du temps chez les nomades chacun mange quand il en a envie. Si le foyer n’est pas allumé en continu, cela suppose, soit de puiser dans des nourritures cuites et mises en réserve, et donc consommées chaudes ou froides, soit d’alterner du cru et du cuit (p. 252).

 

Viande crue

- On peut pratiquer des festins de viande crue après l’abattage (Sibérie, Nénètse, Homic 1966, cité par Malet 2007, p. 565).

 

Moyens de cuisson

- Les Nunamiut placent au-dessus d’un feu des pierres plates, puis une couche de matière végétale, enfin de la viande qui devait être arrosée (Nunamiut, p. 217).

Produits parallèles aux viandes rouges

- La langue du renne est considérée comme un mets de choix que l’on offre à ceux que l’on veut honorer (Sibérie, p. 367).

- Tout morceau porteur de graisse est nécessaire à la survie, et, de plus, valorisé (Speth 1987, Speth et Spielman 1983, Karlin, Tchesnokov 2007, p. 568).

- La graisse sert dans les rituels, mais enrichit également la nourriture des pasteurs de toundra lorsqu’ils doivent affronter les grands froids (Kamtchaka, p. 568).

- On apprécie même des contenus d’estomacs avant leur complète transformation, notamment pendant l’hiver lorsqu’aucune végétation n’est disponible (Nénètse, Homic 1966, p. 565).

- Les enfants peuvent consommer crus les abats d’un renne que leur père vient d’abattre (Taïmyr, p. 566, photo 1).

- On peut procéder à des préparations faisandées. On fait macérer dans du sang des sabots et des abats, le tout conservé dans la poche d’un estomac ligaturé (Robert-Lamblin 1999, p. 567).

 

Stockage

- Les conditions naturelles qui vont faire jouer un rôle de premier plan au stockage alimentaire sont l’abondance et la saisonnalité (Testart 2012, p. 568).

- La constitution de « réserves » est essentielle, car la malchance à la chasse ou la rareté du gibier font partie des aléas à prévoir (Chasseur montagnais, p. 568).

- La viande séchée peut être réduite en poudre et mélangée à du gras fondu. Le mélange est transporté dans un sac constitué d’un estomac de renne (Vésinet 1979, p. 569).

 

JEUX D’ENFANTS

Jeux

- Dans les campements nomades les enfants peuvent se regrouper pour jouer en marge des aires d’activités des adultes (p. 423).

- Des phalanges de rennes peuvent figurer des rennes que les enfants regroupent en troupeaux ou, habillées de peaux, servir de poupées (Sibérie centrale, p. 423, photo 44).

 

IDEOLOGIE

 

Symbolique

- Les défunts partent souvent accompagnés de la tête et des pattes d’un ou de deux de leurs rennes, ou même plus selon la richesse du mort, immolés pour l’occasion, afin de pouvoir reconstituer leur troupeau au pays des ancêtres (p. 397).

- Des restes de rennes (bois, tête, etc.)  peuvent  s’intégrer dans des édifices à vocation funéraire et  être présentés sur des trépieds. Le défunt est accompagné des bois et des pattes de deux de ses rennes. La viande a été consommée par les invités lors du repas funéraire (Taïmyr, Kamtchaka, p. 397, photo 24).

 

La voie est donc libre ; les préhistoriens ne sont plus seulement des marchands de cailloux. Merci à Claudine Karlin et à Michèle Julien d’avoir réouvert sans complexe cette piste de réflexion et relancé le débat. Nous apprécions ce nouveau souffle, oh combien rafraîchissant, qui, loin de contredire l’enseignement du Patron, nous invite à le prolonger en conservant et en approfondissant tous ses acquis dans le domaine du dégagement et de l’enregistrement des vestiges.

L’énorme travail consenti trouve ici sa pleine justification. Leroi-Gourhan s’était montré très réservé  et prudent quant à l’emploi de l’ethnologie en préhistoire, mais ce n’était que par souci tactique pour inviter les fouilleurs à respecter les vestiges qu’ils découvraient.

N’oublions pas qu’il avait écrit la « Civilisation du renne » dans la première partie de sa carrière.

Nous assistons aujourd’hui à un grand retour.

 

APPROCHE LITTERAIRE

 La monographie se clôt enfin sur un chapitre "littéraire" consacré à la description d'une journée d'une femme tchoukche, soit un :

"Récit fictif, inspiré de plusIeurs journées d'automne passées auprès des éleveurs de rennes tchoukches de la toundra du district d'Ioultine, en Tchoukotka. Tous les personnages sont inventés, mais la plupart des situations sont réelles." (p. 596)

Ce texte, assumé comme litéraire, est important, car il montre l'intérêt d'une production littéraire ou "vulgaire", ou encore relevant de la "troisème voie", ni science, ni littérature, dans la construction du savoir, à condition d'être clairement identifié, car ce type de production peut aider à concevoir de nouvelles questions à poser dans le domaine archéologique et/ou ethnologique.

 

 

Fig. 5. Résumé de ce que pourrait être l'organisation de la construction de la monographie sous une forme logiciste.

 

Références bibliographiques mentionnées

 

Altman J. C. 1987. Hunter-gatherers today : an aboriginal economy in NorthAustralia. Camberra : Australian Institut of aboriginal studies.

Bahuchet S. 1985. Les pygmées Aka et la forêt centre-africaine. Paris : SELAF (Ethnosciences 1).

Beyries 2006

Beyries S. 2008. Modélisation du travail du cuir en ethnologie : proposition d’un système ouvert à l’ethnologie. Anthropozoologica, 43, 1, 9-42.

Beyries er al. 2002

Binford 1967 L.R. 1967. Smudge pits and hide smoking : the use of analogy in archaeological reasoning. American Antiquity, 32, 1-12.

Binford L.-R. 1978a. Dimensional analysis of behavior and site structure : learning from an eskimo hunting stand. American Antiquity, 43, 3, 330-361.

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Binford L. R. 1980. Willow smoke and dog’s tails : hunter gatherer settlement systems and archaeological site formation. American antiquity, 45, 1, 4-20.

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