En 1755, dans son « Discours sur l’origine des inégalités » Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève, évoque les temps heureux de l’Antiquité où l’on pouvait entreprendre de grands voyages uniquement pour s’instruire. Il regrette que, dans un temps où l’on se pique de belles connaissances, personne ne consacre dix ans de sa vie à un célèbre voyage autour du monde, pour y étudier, non toujours des pierres et des plantes, mais une fois les hommes et les mœurs, et qui, après tant de siècles employés à mesurer et considérer la maison, s’avise enfin d’en vouloir connaître les habitants pour, au retour, faire à loisir l’histoire naturelle, morale et politique de ce qu’il aurait vu. Alors nous verrions nous-mêmes sortir un monde nouveau de dessous sa plume et nous apprendrions ainsi à connaître le nôtre.

Alain Lisant. Crayon de Robert Gallay
Ce texte prophétique, fondateur de l’ethnologie, précède de vingt ans le renouveau des découvertes. Rappelons quelques dates :
1768 pour Bougainville,
1769-1778 pour Cook,
1785-1788 pour La Pérouse.
Pour la première fois la découverte scientifique prime l’impérialisme territorial, la prospection des marchés économiques et la volonté d’enrichissement. Mais c’est seulement en 1796 que l’écossais Mungo Park atteint le Niger, constate qu’il coule vers l’Est, et ouvre, pour le meilleur et pour le pire, l’aire de la découvert de l’Afrique intérieure, dont seules les côtes étaient alors connues des Européens.
Egalement citoyen de Genève, comment pourrions nous ne pas évoquer le grand Philosophe des Lumières à l’occasion de nos propres voyages, tant dans les brousses sahéliennes que dans les terres plus mystérieuses encore de la pensée.
L’enrichissement d’une théorie, jamais achevée, passe par la lecture d’un certain nombre d’ouvrages sélectionnés pour leur pertinence face aux questions que nous nous posons. Plusieurs ouvrages ou articles ont particulièrement retenu notre attention ces dernières années. Nous rendons compte ici de certains ouvrages dans leur ensemble, ou de certains de leurs chapitres qui nous ont paru particulièrement pertinents pour notre réflexion.
1. Ces lectures commencent le plus souvent par une analyse logiciste de la pensée de l’auteur. Pour cela nous sélectionnons en deuxième lecture un certain nombre de citations que nous réordonnons afin de saisir au mieux les grandes articulations du discours. Ce matériau sert ensuite, dans certains cas tout au moins, à bâtir un schéma logiciste explicitant la trame des démonstrations proposées. Ces schématisations n’ont pas pour but de rendre compte de la totalité de la pensée de l’auteur, mais seulement de certaines articulations que nous jugeons particulièrement enrichissantes pour notre propre réflexion.
2. Ces lectures ne sont utiles que si elles génèrent en nous, dans leur prolongement, une réflexion propre sur laquelle il convient naturellement d’insister. Ces extensions, que nous voulons importantes, constituent la partie originale de l’exercice. Ces lectures ne sont donc pas de simples comptes rendus comme on a l’habitude d’en lire dans les revues spécialisées. D’abord parce qu’elles ne rendent pas compte des textes dans leur complétude, ensuite parce qu’elles intègrent des réflexions personnelles et « utiles » pour le développement de notre propre pensée.
3. Pour chaque thème, nous ferons en sorte de bien distinguer ce qui revient à l’auteur et ce qui découle de notre propre écriture, une position d’équité dans un exercice qui se veut un dialogue. Dialogue constructif puisque nous retenons ce qui est jugé positif, même si cette progression a pu naître d’une position critique, comme c’est le cas pour les pratiques muséales.
4. Afin d’intégrer ces réflexions dans le concret, nous avons choisi à propos de chaque thème des exemples particulièrement illustratifs des thèmes développés. Ces exemples, qui ne sont pas obligatoirement ceux présentés dans les textes originaux, sont choisis pour leur pertinence et/ou pour leur proximité avec nos propres recherches. Dans certains cas seulement évoqués, ces derniers peuvent, ou pourront, faire l’objet de développements qui n’apparaissent pas ici.
5. Le choix d’une lecture n’est jamais innocent. Menée sans plan préconçu au fil des opportunités, cette opération s’est révélée a posteriori avoir une certaine cohérence, ce qui justifie cette présente présentation. Livres découverts au hasard des librairies, ouvrages suggérés par des collègues, travaux collectifs de congrès pour lesquels nous avons collaboré aux discussions finales, catalogues d’expositions, ouvrages de fond souvent cités, mais que nos obligations universitaires ne nous avaient jusqu’alors jamais donné le temps de lire, etc. constituent une matière première hétéroclite à laquelle nous avons tenté de donner une nouvelle cohérence.
Nous retenons ainsi quatre grands thèmes touchant :
– aux sources des connaissances archéologiques et anthropologiques
– à la mise en forme de l’information
– aux modes d’utilisation de l’information
– aux contraintes de l’enquête ethnographique
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