Nous avons toujours insisté sur la nécessité de présenter des textes irréprochables à la fois sur les plans des contenus et de la forme. Les contraintes de contenus renvoient au problème des définitions des concepts utilisés, les contraintes de forme au logicisme. Ces deux axes de réflexion doivent déboucher à terme sur des mises en forme de l’information facilitant son stockage et surtout sa consultation dans un monde où le chercheur est de plus en plus submergé par le volume des données qu’il est sensé maîtriser.
Nous retiendrons ici quatre types de questions :
– L’ethnologie s’est construite avec et contre la littérature.
***DEBAENE, V. 2010. L’adieu au voyage.Paris : Gallimard
L’étude historique menée par Vincent Debaene sur le développement de l’ethnologie française montre les rapports complexes entretenus par les deux disciplines aux plans à la fois institutionnel et thématique. Sans être très explicite sur cette question l’auteur tend à montrer que la seule voie raisonnable (au sens littéral) reste le modèle des sciences de la nature. Cette position ne nie pas la pertinence de la littérature dans l’approche des phénomènes humains, mais milite pour une séparation claire des deux approches.
Pour illustrer les problèmes posés par l’approche littéraire », nous développons le cas particulier des arts graphiques, montrant les problèmes posés par l’approche empathique des réalités paysannes du début du 20ème siècle par les peintres de l’Ecole dite de Savièse et les limites de ce type de perception dans la compréhension sociale et politique de l’époque.
Cette question nous touche particulièrement puisque, dans le prolongement de cette école, notre père nous fournit un magnifique exemple de cette approche à propos de la paysannerie tessinoise des années 40.
Dominique Sevane nous propose une analyse de l’idéologie de la mort chez les Batãmmariba du Togo qui nous interpellé à double titre.
1. Sa description du rituel funéraire fournit à l’archéologue l’un des trop rares exemples d’analyse ethnographique comportant des aspects matériels utiles pour un archéologue. il s’agit en l’occurrence de sépultures individuelles d’adultes transformées par la suite en sépultures collectives à travers le dépôt secondaire de jeunes individus, morts prématurément et jetés sans ménagement dans le caveau funéraire. Il faut insiter sur ce cas d’école, qui pourrait jouer un rôle important dans les discussions sur les rituels funéraires mégalithiques du Sénégal et la problématique des morts d’accompagnement.
2. Le livre appartient à la collection « Terre humaine » dirigée par Jean Malaurie qui a été le grand inspirateur du travail de Dominique Sewane. Il est un exemple emblématique d’une approche littéraire et empathique de l’ethnologie, sujet traité dans le livre précédent de Vincent Debaene. Il est important à ce propos d’évaluer ce discours par rapport aux positions que nous défendons à propos de la démarche scientifique en anthropologie. Cet exemple est particulièerment pertinent par rapport au sujet traité par Debaene.
– L’ascèse du logicisme constitue une utopie nécessaire
***HESSE, H. 1955. Le jeu des perles de verre. Paris : Calmann-Lévi.
Le « Jeu des perles de verre » d’Herman Hess était l’un des livres clés de la pensée de Jean-Claude Gardin, mais ce dernier restait peu explicite sur les raisons de ce choix. Nous avons donc désiré en savoir plus. Le jeu des perles de verre (jamais décrit par l’auteur) nous apparaît en effet aujourd’hui comme une métaphore du logicisme. Pratiqué par une élite ce jeu se veut une réaction contre la mode des « variétés » produites alors (la période n’est pas précisée) dans le monde intellectuel et contre « le n’importe quoi » de la pensée.
Le jeu reste pourtant une utopie puisque le héros du roman choisit de retourner dans le « Monde » après s’être essayé avec grand succès au jeu, mais meurt accidentellement. Herman Hess laisse donc le lecteur seul juge de la valeur du Jeu dans la recherche de la connaissance.
Ce livre reste donc un puissant aiguillon pour nous demander quel peut être l’avenir du logicisme au sein d’une communauté scientifique plus que réticente. Il pose également la question de la place de ces réflexions dans le cadre d’une connaissance que nous ne voulons justement pas élitaire.
– Le logicisme implique un effort de définition des termes anthropologiques
***HEMPEL, C., 2004 (2ème éd.). Eléments d’épistémologie. Paris : Armand Colin (Cursus)
Le logicisme nécessite un retour aux bases épistémologiques de la pensée. Nous nous y sommes essayé en lisant les « Eléments d’épistémologie » de Carl Hempel, l’un des penseur de l’Ecole de Vienne et nous nous attardons plus particulièrement sur la notion de « définition ». La question de la définition des termes employés constitue en effet le volet complémentaire nécessaire et jusqu’alors négligé des schématisations logicistes.
***STERCKX, C. 2005. Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens. Paris : L’Harmattan
Nous prendrons notre exemple à propos des problèmes posés par la définition de la « chasse aux têtes », un sujet abordé lors d’un récent colloque tenu aux Eyzies. Dans son livre « Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens » Claude Sterckx regroupe sous ce terme unique tous les cas de décapitation décrits sur les cinq continents, ce qui est naturellement abusif. A l’opposé Alain Testart a bien montré l’absolue nécessité de distinguer plusieurs pratiques extrêmement diverses. L’approche transculturelle d’un phénomène nécessite donc des réflexions sur ces questions de définition, la complexité d’un phénomène n’empêchant nullement des vues comparatives, bien au contraire.
– Le cladisme offre une première approche taxonomique indispensable à toute entreprise comparative
***TASSY, P. 1991. L’arbre à remonter le temps : les rencontres de la systématique et de l’évolution. Paris : Christian Bourgeois.
Tout science a commencé par ordonner les phénomènes au sein de classifications avant de comprendre les phénomènes. Cette nécessité s’est imposée de façon particulièrement claire dans les sciences de la nature. En histoire de la terre ou en biologie de l’évolution.
Dans cette perspective le cladisme issu des travaux de Willi Hennig offre une perspective particulièrement intéressante car la démarche introduit un facteur temps dans la construction des classifications en adoptant les notions de caractères primitifs et dérivés. Cette technique peut s’intégrer parfaitement dans une approche logiciste, approfondissant ainsi la question des définitions évoquée ci-dessus. Les livres de Pascal Tassy offrent une introduction suffisante à cette problématique, quoique aujourd’hui quelque peu dépassée, pour comprendre les fondements d’une méthode qui a déjà été appliquée aux phénomènes culturels.
***DIOP, A.-B. 1981. La société wolof : tradition et changement : les systèmes d’inégalité et de domination.Paris : Karthala.
Le livre de d’Abdullaye-Bara Diop sur l’évolution de la société wolof du Sénégal nous a paru, par sa clarté, particulièrement favorable pour tester la méthode sur une réalité socio-politique, expérience prolongée par une application à ‘ensemble des sociétés ouest-africaines.
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