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Aux sources d’un destin familial
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La fouilles du tumulus 43 du site de Santhiou Kohel au Sénégal, qui a livré trois individus accompagnés d’un chien, montre à quel point cette sépulture est proche des rituels funéraires Sereer précoloniaux (voir aussi http://www.archeo-gallay.ch/7a_Lectures16.html).
A ce propos les deux articles de Dupire consacrés aux tombes de chiens et aux rituels funéraires sereer permettent d’éclairer et d’enrichir considérablement l’environnement social et religieux possible de cette sépulture, un exemple de la fécondité d’une démarche qui tente de lier archéologie et anthropologie.
Des tombes dites de chiens se rencontrent dans une région actuellement habitée par les Sereer du Siine et de la région de Thiès. Ces dernières sont dites par les habitants ne contenir que des chiens. Aucune vérification empirique n’a pourtant été conduite sur cette question et l’on peut considérer qu’il s’agit de discours réinterprétatifs secondaires, comme il en existe beaucoup à propos des monuments funéraires dans la région.
1. Mentions diverses
Des tombes dites de chiens sont également mentionnées dans la zone mégalithique sénégambienne pour des tumulus protohistoriques particulièrement imposants.
Selon Martin et Becker, il existe de pareilles tombes dans la zone mégalithique à Mbafaye, Peul-Lamassas, et Tiékène.
Dans de rares cas des squelettes de chiens ont été découverts associés à des squelettes humains dans des tombes. Trois cas sont aujourd’hui connus :
– Dans le delta du Saloum, les squelettes exhumés étaient parfois accompagnés de restes de chiens.
– On a fouillé un squelette de chien dans le cercle 28 de Sine Ngayène à proximité d’un amoncellement de squelettes humaines comportant 59 individus (fouilles Thilmans).
– A Santhiou Kohel sur le Bao Bolon les restes d’un chien dépecé accompagnait les deux premiers individus inhumés dans le tumulus 43 (fouilles Gallay 1980-81).
Le contexte archéologique témoigne donc à la fois d’un discours réinterprétatif secondaire et de faits archéologiques concrets, soit d’une situation complexe qui n’ôte en rien l’intérêt que l’on peut porter aux informations ethnologiques.
2. Tumulus 43 Santhiou Kohel
Les informations fournies par le site de Santhiou Kohel sont les plus complètes.
T
L’étude précise de la position du corps du chien a été réalisée par Jean-Paul Cros, aidé de Lisandre Bedault, archéo-zoologue (UMR 8215 – Trajectoires – de la Sédentarisation à l’Etat F-92023 Nanterre cedex). Nous leur exprimons ici tous nos remerciements.
Les données de fouilles montrent que nous sommes bien en présence d’un seul animal qui se présente au minimum en trois parties : le corps, la tête et une patte arrière à distance du reste du corps. Chacune de ces parties est globalement en position anatomique.
Le chien et les individus 1 et 2 sont intimement liés; le corps du chien repose en partie sur la cuisse et sous l’avant-bras d’un des deux sujets, mais aussi sur le genou de l’autre. Rappelons néanmoins que l’identification anatomique précise des os du chien est probable, mais pas absolue, et que l’avant-bras humain peut appartenir éventuellement au sujet 2. L’interprétation la plus vraisemblable des dispositions observées est donc une découpe du chien avant dépôt qui a permis de séparer les quatre membres, ainsi que la tête du tronc et, peut être, la queue. Il est difficile de dire à quel niveau est intervenue la découpe des pattes avant, les omoplates étant vraisemblablement laissée solidaires du tronc.
L’absence de la patte arrière droite du chien pourrait provenir d’un problème taphonomique, mais on peut se demander si elle n’a pas une réelle signification rituelle (cf. ci-dessous).
L’analyse des croyances concernant les chiens est conduite par Dupire en distinguant les trois niveaux de signification de Turner (1967) :
Nous avons tenté de réorganiser les données de Dupire selon ce schéma qui n’apparaît pas clairement dans la rédaction de l’article.
Le chien est un animal domestique ambigu et ambivalent qui a donné lieu aux attitudes et aux croyances les plus paradoxales.
Dogs Are The Closest human animal. They live dans le domestic housing and are fed into a trough Placed at the main entrance near the domestic altar. Sereer breed dogs for hunting, herding, guarding the house and the fields. They Recognize the dog Many qualities. Dogs Have More Power than men. They see ten kilometers of day or night. He felt death in a town a week in advance.
Il existe néanmoins parallèlement une vision négative du chien due principalement au fait, qu’étant peu nourri, il fréquente les tas d’ordures, mange des charognes aux alentours des villages et devient ainsi un éventuel vecteur de rage.
Dans le Siine ont lui donne le nom d’un cousin croisé à plaisanterie ou encore celui d’un ennemi.
Les Sereer ne consomment pas la viande de chien, à l’exception du foie à la cérémonie annuelle de purification de la terre
Connotation des tombes de chiens
Cette ambiguïté se retrouve dans les discours concernant les tombes dites de chien.
L’importance des tertres funéraires est directement mise en relation avec le statut du défunt. Ce volume peut être le résultat de plusieurs dépôts successifs en relation avec le dépôt de nouvelles toitures. Chez les Safen matrilinéaires l’initiative concernant l’agrandissement était prise par le fils d’abord, puis par d’autres parents ou des gens des villages voisins, lorsqu’il s’agissait d’un notable. A chaque fois du sable était jeté sur le tumulus et l’agrandissait.
Les tertres de grandes dimensions liés au village sont considérés comme des tombes de chien, substitut d’individus de haut statut. Ils sont considérés comme avoir été refaits à de nombreuses reprises, ce qui implique un travail considérable. C’est un travail de ceux qui mangent de la viande de chien, ce qui est exceptionnel puisque les Sereer ne consomment pas la viande de cet animal, mis à part le foie.
Les récits mythiques
Ces tombes-tumulus sont liées à un mythe sur l’origine de la mort.
« Le premiers hommes ne mourraient pas et ne devaient pas mourir. Le premier être qui mourut fut un chien. Il fut enterré à trois ou quatre kilomètres de Thiès, à Lui mbay fa, le tombeau du chien, dans une termitière au pied d’un baobab. Comme on avait jamais vu de mort ce fut une grande désolation ! Les femmes pleurèrent, on enveloppa le cadavre dans des pagnes et l’on tira force coups de fusils… Koh (Dieu) vit cette scène et accouru en colère : « comment ! vous faites tant de bruit pour un chien crevé ! Eh bien ! vous mourrez vous aussi. »
« Les gens du clan daya n’étaient pas mortels, alors que ceux des autres matriclans l’étaient et faisaient à leurs morts de grandes funérailles. Les gens daya assistaient à ces funérailles, faisaient des dons, mais ne recevaient rien en retour puisqu’ils ne mourraient pas. Le chef du clan daya décida alors de tuer son chien et les Daya lui firent des funérailles somptueuses. Ils égorgèrent trente boeufs, firent un énorme tumulus (visible à Dobou) dans lequel des barres de fer soutenaient la toiture de la case. Depuis les Daya furent mortels et leurs funérailles identiques à celle des autres clans safen (…). Si les Daya on fait cela, c’est qu’ils voulaient, eux aussi, bénéficier de condoléances.»
2. Rapport entre le dire et le faire
Les rites horizontaux : les tombes de chien et les relations d’échanges entre matrilignages
La mise à mort d’un chien est l’acte qui a permis l’apparition de la mort et qui est à l’origine des échanges « horizontaux » qui ont lieu à l’occasion des funérailles.
L’édification des tumulus découlent de l’apparition de la mort et permet de mettre en place les échanges qui lient les divers lignages. On doit souligner l’importance des relations de réciprocité entre matrilignages que tous appellent en français « dettes ». Lors des funérailles un membre du matrilignage note les nom des donateurs et l’importance des cadeaux. Les grandes funérailles apparaissent comme l’occasion d’échange d’animaux sacrifiés et de cadeaux, consommables ou non, entre matrilignages et matriclans donneurs et receveurs de femmes (celui du défunt, de son père et de ses alliés), ainsi qu’entre amis (les dettes entre amis s’héritent aussi).
On donnera ici une vue simplifiée du système des prestations liées aux funérailles en se concentrant sur ce que l’on pourrait appeler le « noyau dur » de l’institution (fig.6).
Rappelons que les Sereer forment une société bilinéaire. Les Sereer sont des agriculteurs qui capitalisent au niveau des matrilignages leurs surplus sous forme de bétail, utilisé dans diverses cérémonies et surtout lors des funérailles. Bien que la matrilignage domine en matière économique, le patrilignage est également un groupe solidaire, nommé, dirigé par un patriarche et transmettant le statut social et la responsabilité de la gestion des terres, à l’exception de la fonction sociale que détient la matrilignée des Guelewar.
La participation aux funérailles est l’occasion officielle permettant l’expression de la solidarité obligatoire entre parents utérins. Nous pouvons y déceler deux niveaux de prestations et contreprestations : 1. les compensations matrimoniales impliquant des dons de bétail au moment des funérailles, 2. des dons horizontaux entre matrilignages qui génèrent des dettes et donc des obligations de rendre.
Le système de prestations- contre-prestation suit le cycle suivant :
Phase 1. Compensation matrimoniale (prix de la fiancée) : le père du défunt rétribue le père de la future fiancée de son fils. La compensation matrimoniale comprend deux parts, approximativement égales, l’une destinée au père de la jeune fille et l’autre à sa famille utérine. La première était composée d’une barre de fer servant à la fabrication de lames de houe et pour la plupart des villages, d’un bœuf donnant un droit relatif sur les enfants. La seconde comprend une quantité plus ou moins importante de bovins, donnant droit sur l’épouse. Cette prestation était fournie en quasi totalité par le matrilignage du jeune homme, son père pouvant concourir à fournir la part du père.
Phase 2. Mariage : l’épouse vient habiter chez son mari et supervise la gestion des surplus (la richesse) issus du travail agricole.
Phase 3. Décès du mari : au moment de la mort du mari les fils aînés des épouses du défunt doivent offrir des bœufs prélevés sur le patrimoine de leurs mères.
Cette prestation du matrilignage joint est un remboursement partiel de la prestation matrimoniale effectuée par le père du défunt ; elle est donc considérée comme le moyen de garder le droit d’occuper l’habitation agnatique du défunt et de cultiver ses champs situés sur des terres d’usage agnatique dépendant du patrilignage.
Le mari reconnaissait le transfert de son épouse chez lui; les fils réclament le droit de succéder à l’habitation et aux champs du père. Il y a symétrie des deux sacrifices ; celui du mari sanctionne son droit de résidence virilocale, celui des enfants envers leur père permet leur maintien au domicile paternel.
Offrir un bovin aux funérailles, c’est en quelque sorte prolonger ou renouveler le contrat de mariage. Le don est un remboursement partiel de la prestation matrimoniale qu’a versée en son temps le père du défunt pour épouser la mère de celui-ci.
D’autres dons entre matrilignages s’effectuent de façon plus directe, mais tous peuvent être considérés comme des dettes nécessitant remboursement à l’occasion d’un autre décès.
Selon Dupire, les biens offerts – bovins, caprins, nourriture, numéraire – sont massivement consommés ou redistribués sur place. Il n’y a rien qui ressemble à un potlach au sens strict, à une distribution de richesse en vue d’obtenir un gain de prestige. Tout au plus pourrait-on parler, dans certains cas de gaspillage, puisque le surplus ainsi dépensé représente une part importante du revenu annuel d’un cultivateur, par contre l’ostentation n’est pas absente de ces comportements économiques, comme l’atteste le vocabulaire qui distingue les funérailles « sèches », pauvres, des funérailles « mouillées », abondantes.
Le matrilignage du défunt n’étale pas sa richesse propre mais, en acceptant des dons, il s’engage à les retourner et par là même affirme son potentiel économique. Tous ces dons sont en effet comptabilisés et les Sereer les considèrent comme des dettes collectives au matrilignage.
Les rites « verticaux » : les sacrifices de chiens
Un chien était sacrifié autrefois chez tous les Sereer cangin pour purifier les champs et assurer leur fertilité. Le sacrifice, de caractère religieux, fait appel à la réciprocité entre les hommes et les forces surnaturelle, grands ancêtres, génie, Dieu.
Dans les royaumes du Siine et du Saalum on ne trouve aucune mention du sacrifice du chien, alors que toutes les sous-ethnies sereer cangin le pratiquent encore annuellement ou l’on pratiqué dans un passé proche.
Le chien est égorgé avec une pointe de lance. Ce mode de mise à mort semble conférer à l‘animal un caractère humain. Le sang est répandu au pied de l’autel des ancêtres. Seul le foie est mangé, consommé grillé, par l’officiant et les jeunes enfants qui acquièrent le courage du chien. Le cadavre de l’animal est pendu à un arbre à la limite des terres. Une des pattes est détachée et déposée dans une mare en offrande au génie qui l’habite.
3. Intégration structurale
Le chien est donc un animal polysémique. Trois oppositions permettent de saisir cette ambivalence :
– intérieur/extérieur. Les vraies sépultures sont liées aux habitant du village reliés entre eux par des liens de filiation. Les gens de caste, considérés comme des étrangers, n’ont pas droit à ce type de sépulture (les griots étaient déposés dans les troncs creux des baobabs).
– élevé/plat. La hauteur du tumulus est le symbole du statut du défunt .
– chien substitut d’un homme de haut rang/chien substitut de bas statut. Le chien est le substitut de l’hommes et exprime les mêmes oppositions.
3. Intégration structurale
En résumé le chien est un animal bon à penser les relations entre clans, qui s’expriment dans les récits de l’origine de la mort et des systèmes de réciprocités (niveau mythique selon Dupire) et dans les relations entre les hommes et les forces surnaturelles (niveau rituel selon Dupire).
On comprend, dans cette perspective, qu’on puisse le retrouver dans une sépulture, sans pour autant pouvoir préciser le sens précis donné à cet acte par les gens de l’époque.
CROS, J.-P., LAPORTE, L., GALLAY, A. (à paraître). Pratiques funéraires dans le mégalithisme sénégambien : décryptages et révisions. Afrique, Archéologie, Art (Paris)
CROS, J.-P., LAPORTE, L, BOCUM, H et al. (à paraître). Wanar : pratiques funéraires dans le mégalithisme sénégambien, 2. Etudes anthropologiques et comparaisons. Congrès panafricain de préhistoire : Dakar
TURNER, V. W. 1967. The forest of symbols : aspects of Ndembu ritual. Ithaka, London : Cornell U.P.