Genève, mai 2016
JEUNESSE, C., LE ROUX, P., BOULESTIN, B. (eds) 2016
Mégalithismes vivants et passés : approches croisées. Oxford : Archaeopress publishing ltd.
Et plus particulièrement :
JEUNESSE, C. 2016. De l’île de Pâques aux mégalithes du Morbihan : un demi siècle de confrontation entre ethnologie et archéologie autour du mégalithisme, p. 3-18 (CJ1)
BOULESTIN, B. 2016. Qu’est-ce que le mégalithisme ? p. 57-94 (BB)
JEUNESSE, C. 2016. Une expédition allemande chez les Konso : présentation de l’ouvrage « Im Lande des Gada » de A. E. Jensen, Stuttgart 1936, p. 181-189 (CJ2)
Les deux rencontres du « groupe de Strasbourg » de 2014 et 2015 ont montré tout l’intérêt de la formule de séminaire initié par Alain Testart et aujourd’hui reprise par Christian Jeunesse dans le cadre de la MISHA : thème bien délimité et nombre limité d’interventions permettant de larges discussions.
Nous reviendrons ici sur l’apparent différent nous opposant à Alain Testart à propos des sociétés à mégalithes, une opposition que les deux rencontres de Strasbourg ont permis, pensons nous, de résoudre.
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Le différent Testart-Gallay
Alain Testart (2012, 2014) postule l’existence d’une relation univoque et nécessaire entre le mégalithisme et les sociétés à richesses ostentatoires et dissocie mégalithisme et sociétés lignagères. Pour ce dernier l’ostentation, fille de la compétition sociale, n’est jamais très marquée dans les sociétés lignagères, où les relations hiérarchiques sont figées par la coutume.
Alain Testart (2014) tente de nous démontrer trois points :
- Le mégalithisme n’est présent dans aucune société lignagère.
- Les sociétés à mégalithes sont toutes ostentatoires.
- Le mégalithisme est une démonstration de la richesse et du pouvoir que celle-ci procure.
Bruno Boulestin confirme que la relation que nous avons établie nous-même entre sociétés lignagères et mégalithisme est erronée car 1. nous confondons lignages et sociétés lignagères, 2. nous nous appuyons sur les classifications de Testart qui présentent de nombreuses incohérences, une position que nous partageons, mais qu’il convient d’approfondir.
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Sortir de l’impasse
Les fondements de la position de Testart et ses limites
L’argument développé par Alain Testart se résume au fond à ceci : l’érection de monuments en pierre est une manifestation ostentatoire – or les sociétés lignagères sont peu ostentatoires – donc les sociétés mégalithiques appartiennent toutes à la catégorie des sociétés à richesses ostentatoires.
Deux points doivent être soulignés :
- Les classements par Alain Testart ne sont pas exempts de contradictions. La classification présentée en 2005 souffre notamment d’un défaut d’étanchéité manifeste entre les catégories « ploutocraties ostentatoires » et « organisations lignagères ». Le tableau n’est pas dépourvu d’incohérences. Ainsi on y trouve classés les Toradja, les Naga et les Nias dans les semi-Etats avec les sociétés lignagères ou villageoises-lignagères (fig. 1). Pourtant les Toradjas ne sont même pas lignagers au sens de la parenté, et antérieurement dans son ouvrage Alain Testart donne les Nias et les Naga comme « les exemples les plus spectaculaires de la ploutocratie ». Postérieurement, il les a d’ailleurs clairement éjecté des sociétés lignagères (Testart 2014, p. 333). Ce ne sont pas les seules incohérences de ce tableau qui doit être considéré avec la plus grande prudence : si la base classificatoire est apparemment juste, il reste encore à étudier de près comment on y distribue les sociétés sur cette base.

Fig. 1. Classement des sociétés à richesses (classe II) selon Testart 2005. En grisé, sociétés « mégalithiques »
De plus, le statut des sociétés royales reste ambigu. Dans le tableau de 2005, les royautés sont rattachées au monde II, mais sont considérées comme déjà étatiques. Le séminaire du Collège de France (Testart 2010) n’éclaircit du reste guère cette question.

Fig. 2. Classement des sociétés à richesses selon Gallay 2006. En grisé, sociétés mégalithiques. Actuellement nous aurions tendance à étendre le mégalithisme sénégambien jusqu’au despotisme guerrier.

Fig. 3. Classement des sociétés à richesses selon Gallay 2016a, fig. 6). En grisé, sociétés mégalithiques. On notera que nous ajoutons aujourd’hui l’étiquette « cité-Etat » à la société konso subactuelle.
- Les deux tableaux que nous avons publiés (fig. 2 et 3) montrent également que nous n’avons jamais établi une relation univoque simple entre sociétés lignagères et mégalithisme, comme les textes nous citant le donne à penser.
Le débat sur les sociétés lignagères africaines reste obscurci, selon nous, du fait qu’Alain Testart (2010) se fonde essentiellement sur les Lobi pour proposer un tableau des sociétés lignagères africaines et ne tient pas compte de la hiérarchisation possible de ce type de société, telle que décrite par Claude Meillassoux (1977), Diop (1981), puis par nous-même (Gallay 2011, 2012, 2015) :
« Les données sur les Lobi sont parmi les meilleures (…). C’est une des raisons qui nous a fait choisir ce peuple comme exemple de référence pour les sociétés lignagères africaines (Testart 2010, note 121, p. 190).
Le séminaire du Collège de France montre néanmoins qu’Alain Testart est parfaitement conscient de la complexification possible des sociétés africaines.
Pour sortir des ces contradictions il convient tout d’abord d’accepter les deux prémisses admises par Bruno Boulestin : 1. il existe deux type de mégalithisme, 2. Il convient de distinguer le lignage comme expression de la parenté et l’organisation lignagère segmentaire comme organisation politique.
Distinguer deux types de mégalithismes
Le mégalithisme ne doit plus faire référence à des monuments, puisqu’il en concerne plusieurs types et qu’aucun n’est systématiquement mégalithique, mais seulement au choix d’un matériau. Il ne s’agit pas non plus d’un procédé technique (BB, p. 69). Le lien entre mégalithisme et monumentalisme tient à ce que l’un et l’autre sont des façons possibles de faire de la démonstration. En ce sens, cela traduit en partie une même façon de penser qui a sans doute quelque chose en commun avec un niveau social (BB, p. 72).
Mégalithisme de type I
C’est un mégalithisme caractérisé par la présence de gros et de très gros mégalithes, c’est-à-dire d’une masse dépassant la quinzaine de tonnes, s’élevant à plusieurs dizaines, voir plusieurs centaines de tonnes (fig. 4).
Les auteurs insistent sur le fait que ce type de mégalithisme n’est, en dehors des Etats, démontrable ni en Afrique ni en Amérique.

Fig. 4. Formes de pouvoir politique envisageables en fonction de l’existence (mégalithisme de type I) ou non (mégalithisme de type II) de mégalithes de masse supérieure à une quinzaine de tonnes (BB, fig. 14).
Si l’on met de côté l’Europe néolithique et la question des sociétés étatiques, le mégalithisme de type I est clairement présent, en dehors des Etats, en Asie du Sud-Est, avec un léger débordement sur l’Asie du Sud (est de l’Inde) et une double extension aux îles du Pacifique (jusqu’à l’île de Pâques) d’une part, à la bordure est de la Chine et jusqu’en Corée et au Japon d’autre part. Cette répartition correspond à l’extension des langues austronésiennes (CJ1, p.15), un point important qui nous conforte dans l’option que nous avons retenue d’intégrer dans notre démarche sur le mégalithisme le contexte des grandes familles linguistiques (Gallay 2016c, à paraître). Christian Jeunesse a parfaitement raison de rappeler que cette connexion est un phénomène « culturel » au sens fort du terme, par opposition aux faits de « sociétés » (fig. 5).

Fig. 5. Sociétés à mégalithes actuelles et subactuelles et aire de répartition des langues austronésiennes (CJ1, fig. 11).
Aucune des populations qui pratiquent le mégalithisme de type I ne peut être qualifiée de lignagère au sens politique bien que l’organisation de la parenté puisse présenter des formes lignagères. Toutes sont des sociétés qui présentent des pratiques ostentatoires.
Le degré d’ostentation est lié au niveau d’instabilité du pouvoir. Il est très élevé dans les sociétés hiérarchisées où la compétition pour le prestige est endémique et connaît en revanche des fluctuations importantes dans les contextes à pouvoir politique institutionnalisé, où les phases de compétition pour le pouvoir sont entrecoupées de périodes de stabilité.
Ce qui donne son unité au phénomène est :
- la nécessité d’une main d’oeuvre humaine importante, un investissement en énergie humaine contrastant avec les faibles moyens techniques disponibles, donc d’un cadre social large, dépassant celui de la famille ;
- une autorité politique capable de mobiliser une force de travail considérable. La logique technique dans laquelle se situent les expérimentations de transports de mégalithes est moins importante que les aspects sociaux liés à ce phénomène.
- La démarche expérimentale a moins d’intérêt pour comprendre l’ingénierie mise en œuvre dans le mégalithisme que l’organisation du travail et l’impact social que le phénomène suppose. Il existe de toute évidence une discordance entre les données expérimentales et ethnographiques. Les nombres que les expérimentations fournissent ne sont en effet que des valeurs suffisantes, mais l’ethnographie démontre qu’on n’emploie pas toujours le nombre de gens strictement nécessaire et que là où 50 suffiraient on n’hésite pas à en faire participer 500 (BB, p. 74-78) (fig. 6 et 7).
Cette situation a d’importantes conséquences sociales et politiques. Au delà de 500 tonnes, qui plus est si l’on s’approche du millier ou qu’on le dépasse l’hypothèse d’un travail communautaire devient à peu près inenvisageable (BB, p. 79).

Fig. 6. Transport d’un mégalithe dans l’île de Nias vers 1910 (BB, fig. 10).
L’idée avancée par certains archéologues comme quoi ce type d’opération peut être réalisé dans le cadre d’une collaboration bénévole est totalement utopique. Dans des sociétés non étatiques, le paiement pour un travail collectif nécessitant la participation de plusieurs centaines de personnes ne peut rendre qu’une seule autre forme : celle où un commanditaire (individu ou groupe) invite des gens (puisqu’il ne peut pas les contraindre) à participer à un travail et les rétribue sous forme festive (une situation qui existe également dans le mégalithisme de type II). Il s’agit là du seul moyen de mobiliser une main d’œuvre volontaire importante avant l’apparition de la monnaie et la création du salariat.
Le principe est alors que les invités sont nourris par le commanditaire et travaillent pour lui, dans le but qu’il a fixé et sous sa direction. Chacun est libre de participer ou non, rien ne contraint quiconque et aucune sanction n’est possible : on est à l’opposé d’un système basé sur une hiérarchie d’autorité. (BB, p. 81-82). Ce type d’opération introduit donc la notion de richesse ; il faut pouvoir avoir les moyens de telles festivités.

Fig. 7. Transport d’un mégalithe dans l’île de Nias vers 1910. La pierre est la même que celle figurant sur la photo de droite de la fig. 6 (Schöder 1917)
Mégalithisme de type II
Les deux auteurs ne développent pas cette question, mais admettent sa présence en Afrique.
Distinguer lignage et société lignagère
Le lignage est un terme qui se rapporte à la parenté et désigne un groupe de filiation unilinéaire. Des sociétés organisées en lignages existent partout dans le monde et à toutes les époques.
Une société lignagère (dite aussi segmentaire) est, au contraire, une forme d’organisation politique bien particulière, structurée par le lignage et uniquement par lui (Testart 2005, p. 109 et suiv.). En pratique, le lignage ne gère donc que le système de parenté tandis que les sociétés lignagères sont lignagères au sens politique. Mais l’amalgame entre les deux notions est une source permanente de confusion, laquelle ne nous a pas épargné.
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La question du mégalithisme de type II en Afrique
Ces objections et précisions une fois admises qu’en est-il de la situation du mégalithisme de type II dans leurs relations avec les organisations lignagères en Afrique ? Deux dossiers peuvent être ouverts à ce sujet : celui de la Sénégambie et celui de l’Ethiopie (abordé dans le volume présenté dans cette page).
Le cas sénégambien
Selon Alain Testart, on peut définitivement conclure qu’aucune société lignagère ne pratique du mégalithisme (types I et II non distingués), tout simplement parce que le pouvoir dans ces sociétés ne le permet pas. Il n’est pas lié à la richesse, mais à la parenté, c’est un pouvoir de commandement qui s’appuie sur une structure d’autorité (Testart 2005, p. 109-110 ; 2014, p. 334). D’un côté il n’a pas besoin d’être confirmé, d’un autre il ne déborde pas l’échelle de la communauté. Il n’a en quelque sorte ni le mobile ni le moyen de faire tirer une grosse pierre.
Force pourtant est de constater qu’un mégalithisme de type II existe en Sénégambie, ce qui pose deux questions :
- Qu’en est-il de la richesse en Afrique de l’Ouest ?
- Comment évolue le pouvoir au sein des organisations lignagères ?
Richesse et pouvoir en Afrique de l’Ouest
Nous ne reviendrons pas ici sur la notion de richesse en Afrique de l’Ouest, une question abordée dans un autre travail (Gallay 2013), sauf pour souligner l’importance de l’esclavage dans cette question. La richesse est présente en Afrique de l’Ouest, bien que sous des formes moins ostentatoires qu’au sein des populations de langues austronésiennes. La question des morts d’accompagnement dans les sépultures sénégambiennes peut fournir à ce propos un point d’encrage.
Selon Alain Testart (2004), l’accompagnement est, pour la société qui le pratique, l’indice que les relations personnelles y ont une certaine importance. L’importance de l’esclavage vient d’abord de ce qu’il fournit des dépendants, de ce qu’il permet en conséquence d’accroître le nombre de ses dépendants au delà du cercle des apparentés et de fournir des fidélités personnelles.
L’esclavage, qu’il soit d’origine précoloniale, arabe ou européenne, qu’il soit un esclavage de guerre ou un esclavage pour dettes, est donc un point crucial dans l’évolution des sociétés de ces régions (Testart 2001). L’esclavage pour dettes transforme le pouvoir indirect de type économique eu un pouvoir direct. La vente de soi ou d’apparentés favorise toujours l’émergence de centres multiples de pouvoir.
Cette situation montre qu’un mégalithisme de type II peut se développer dans un contexte communautaire élargi au delà de la famille étendue ou du clan et regroupant ce qu’Alain Testart appelle des fidèles, clients et esclaves, et que cette situation génère des inégalités qui peuvent s’exprimer dans un certain monumentalisme, qu’il soit mégalithique (de type II) ou non (fig. 8).

Fig. 8. Tumulus de Saré Diouldé (Sénégal), fouilles Thilmans. On remarquera que les corps disposés en périphérie se présentent souvent en couples.
Mégalithisme et despotisme guerrier
Les travaux portant sur l’évolution des organisations segmentaires en Afrique de l’Ouest sont nombreux (Meillassoux 1977, Diop 1981, Gallay 2011, 2012), nous n’y reviendrons pas ici (fig. 9).
Les organisations lignagères ne se limitent pas aux organisations lignagères les plus simples comme celles de Lobi ; elles peuvent générer des secteurs aristocratiques, au sein de simples organisations villageoises et jusqu’au niveau des royautés. Nous avons lié le mégalithisme sénégambien à un stade « ancien » (dans le sens d’une taxonomie cladistique) de ce développement de la stratification sociale et politique, soit à l’émergence d’un despotisme guerrier. Ce mégalithisme peut se développer dans un cadre communautaire élargi à des dépendants. La question d’un pouvoir pouvant englober des communautés plus larges reste ouverte en l’état de la discussion.

Fig. 9. Structure hiérarchique d’une chefferie de type despotisme guerrier compatible avec le mégalithisme sénégambien. Crânes : morts d’accompagnement, triangles noirs : chefs de lignages, triangles blancs : artisans de castes. Schéma A. Gallay.

Fig. 11. Essai de représentation de la société konso telle que présentée par Jensen. Le schéma prend pour hypothèse (non attestée ?) une transmission patrilinéaire directe du titre de Poqolla de père à fils aîné (flèches épaisses). Schéma Alain Gallay.
Le cas éthiopien
Les ethnologues des années 60 et nous même, suivi en cela par A. Testart (2014), ont abordé la question de la démocratie primitive chez les Konso et autres populations de langues couchitiques en évoquant une société structurée par des clans patrilinéaires et un système des générations et de classes d’âge de type gada (Gallay 2006, p. 65, 2016a, b, c). La présentation effectuée par Christian Jeunesse du livre de Jensen (CJ2) livre une vue différente de cette société.
Jensen présente en effet une société Konso marquée par une tension permanente entre deux éthos – oligarchique et démocratique – dont l’équilibre, précaire, est susceptible de varier dans le temps. L’organisation de type « stratifiée » que dessinent ces deux classes sociales, et qui fonctionnent dans une relation à la fois parallèle et conflictuelle avec le système des classes d’âge, a curieusement été largement négligée par les ethnographies postérieures à l’expédition allemande des années 30.
La société konso est, selon Jensen, divisée en neuf clans exogames qui, suivant les informateurs indigènes, dériveraient d’autant de peuples qui se seraient naguère agrégés pour former le peuple konso. Chaque clan a à sa tête un poqolla appelé miskata-poqolla ou bamballe, qui est réputé appartenir à la lignée du fondateur du clan. Ces poqalla forment une oligarchie aristocratique aux fonctions à la fois religieuses et guerrières. C’est pour eux que l’on érige les monuments funéraires de type waaka, ces derniers étant beaucoup plus rarement dédiés au commun du peuple.
Il n’y a pas lieu de mettre en doute les observations de l’expédition allemande. Certains waaka montrent en effet une association de symboles propres au poqolla et au complexe guerrier du « héro » qui ne peuvent s’expliquer si les poqolla avaient uniquement des fonctions religieuses comme c’est le cas aujourd’hui. Certains informateurs prétendent néanmoins que des hommes du commun ayant fait preuve d’une grande bravoure au combat pouvaient bénéficier du même traitement, mais sous une forme beaucoup plus modeste.
Selon Christian Jeunesse la coexistence d’institutions « démocratiques » et d’institutions « oligarchiques » aurait généré une tension permanente entre deux ethos concurrents susceptibles de faire office alternativement d’idéologie dominante On serait alors dans un dispositif proche de l’opposition gumsa-gumlao telle que l’a décrit Leach (1954, 1972) pour les Kachin de Birmanie et qui se déploie horizontalement entre groupes voisins (système gada) et verticalement au sein du groupe donné (oligarchie), dans un mouvement de balancement entre deux extrêmes. L’expédition allemande aurait été confrontée à une phase à dominante gumsa (avec système stratifié dominé par des chefs cumulant fonctions guerrières et religieuses) et les visiteurs des années 60 à une phase à dominante gumlao (durant laquelle les aristocraties se replient sur les fonctions rituelles).
Les groupes funéraires konso relevant du mégalithisme de type II, leur fonction ostentatoire et les circonstances de leur mise en place seraient difficilement compréhensibles dans le cadre du système « démocratique » actuel. Ils constituent donc, clairement, une des expressions du versant « oligarchique » dont nous devons la connaissance aux observations de l’expédition Jensen (fig. 10).

Fig. 10. Waaka hybride représentant un poqolla comme guerrier. Le poqolla se reconnaît à ses cinq bracelets portés au bras droit, à ses colliers et au xallasha surmontant sa tête. Le caractère guerrier et héroïque du waaka est accentué par la présence de lances, d’un bouclier, de personnages asexués représentant des ennemis tués et d’une dépouille de léopard déposée au pied du défunt. La présence d’une tige annelée décomptant les poqolla décédés illustre par contre le statut de chef spirituel du personnage de la sépulture (Jensen 1936, fig. 141).
Il n’est pas très facile de se faire une idée précise du système décrit par Jensen. Le modèle que nous avons établi permet néanmoins quelques remarques (fig.11) :
- L’origine géographique des clans considérée par les informateurs comme hétérogène (un fait de la raison des acteurs) ne génère pas de hiérarchisation des clans. Les divers poqolla sont au même niveau hiérarchique. Dans cette perspective la société konso reste « démocratique » ou du moins égalitaire, malgré la présence d’une oligarchie.
- Les informations disponibles ne donnent pas d’information sur les règles de succession du titre de poqalla au sein des clans.
– S’agit-il d’élections ? Auquel cas le caractère démocratique de la société serait préservé.
– S’agit-il de règles de successions comme on en trouve en Afrique de l’Ouest ? Si c’est le cas, il serait important de les connaître car ces dernières peuvent, selon les cas, générer une hiérarchie des lignages au sein du clan, ou empêcher une telle hiérarchisation (Meillassoux 1977).

Fig. 11. Essai de représentation de la société konso telle que présentée par Jensen. Le schéma prend pour hypothèse (non attestée ?) une transmission patrilinéaire directe du titre de Poqolla de père à fils aîné (flèches épaisses). Schéma Alain Gallay.
Sur le plan de la dynamique sociale nous n’avons que très peu d’éléments pour situer l’apparition de la composante oligarchique dans les populations de langues est-couchitiques.
Il est néanmoins possible de présenter une proposition fondée sur une proposition très générale : la hiérarchisation des sociétés situées au sud du Sahara s’est accentuée avec l’apparition de la traite esclavagiste, arabe puis européenne (Gallay 2012).
Appliquée à la situation éthiopienne, cette propostion indique que l’apparition de la composante oligarchique pourrait être contemporaine de l’apparition de l’esclavage de guerre dans les sociétés de langues omotiques, et ceci bien que les groupes konsoïdes soient restés à l’écart de cette pratique. Cette hypothèse permettrait de situer ce phénomène au début de notre ère (fig. 12).Fig. 11. Essai de représentation de la société konso telle que présentée par Jensen. Le schéma prend pour hypothèse (non attestée ?) une transmission patrilinéaire directe du titre de Poqolla de père à fils aîné (flèches épaisses). Schéma Alain Gallay.

Fig. 11. Essai de représentation de la société konso telle que présentée par Jensen. Le schéma prend pour hypothèse (non attestée ?) une transmission patrilinéaire directe du titre de Poqolla de père à fils aîné (flèches épaisses). Schéma Alain Gallay.
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Conclusions
Les mécompréhensions anciennes ont eu pour bases trois erreurs, 1. avoir pris le mégalithisme comme un tout (Testart, Gallay), 2. avoir confondu lignage et organisation lignagère (Gallay), 3. avoir considéré que nous avions nous même établi une relation univoque simple entre organisation lignagère et mégalithisme (Testart).
Les rencontres de Strasbourg ont permis de résoudre plusieurs de ces erreurs et d’éclaircir le débat. Tout n’est pourtant pas terminé, notamment en ce qui concerne le mégalithisme de type II, ainsi que la nature de la société konso et de son éventuel statut de « démocratie primitive ».
Reste un point essentiel : comment cette nouvelle vision de la société konso s’insère-t-elle dans l’évolution des sociétés éthiopiennes et quels sont les relations de ce type de société avec les sociétés hiérarchisées omotiques ? Convient-il de modifier le schéma évolutif que nous avons proposé ?
Il serait également judicieux de revoir les classements des sociétés proposés par Alain Testart. afin de trouver un consensus sur cette questions difficile
Bruno Boulestin nous a fait parvenir la réaction suivante :
« Le type II n’exclut pas la ploutocratie, c’est dans l’autre sens que ça fonctionne :
Le type I implique soit État soit ploutocratie.
Pour le type II ça peut être n’importe quoi (mon graphique). Mais je pense quand même, je l’ai écrit et je maintiens, que le type II, c’est-à-dire l’absence totale de mégalithes de plus d’une quinzaine de tonnes, rend peu probable l’existence d’un pouvoir basé exclusivement ou principalement sur la richesse.
Et je crois que ça fonctionne, parce qu’il y a bien sûr des riches en Afrique, mais nulle part la richesse ne me paraît y être la source exclusive et principale du pouvoir (qui me semble le plus souvent correspondre à un pouvoir conféré par le lignage, c’est-à-dire reposant sur la parenté/l’ancestralité, ou à un pouvoir guerrier ; c’est un peu intuitif parce qu’il faudrait vraiment creuser cette question fort complexe, mais j’ai l’impression que toute l’Afrique subsaharienne, hors chasseurs-cueilleurs, se caractérise par un jeu, un équilibre, des allers-retours entre ces deux formes ».
Bibliographie
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GALLAY, A. 2006. Les sociétés mégalithiques : pouvoir des hommes, mémoire des morts. Lausanne : Presses polytechniques et univ. romandes. (Le Savoir suisse : histoire ; 37)
GALLAY, A. 2011. De mil, d’or et d’esclaves : le Sahel précolonial. Presses polytechniques et univ. romandes. (Le Savoir suisse : histoire ; 72).
GALLAY, A. 2012. Approche cladistique et classification des sociétés ouest-africaines: un essai épistémologique. Journal des Africanistes (Paris) 82, 1-2, p. 209-248.
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TESTART, A. 2004. L’origine de l’Etat : la servitude volontaire II. Paris : Errance.
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