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Sur l'île autrefois appelée Ceylan
Myriam Béatrice
Petit texte d'Edith écrit à l'occasion du départ à la retraite d'Alain
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Je dédie ce site à mon épouse Edith Engelson pour tout ce qu’elle m’a donné.
Elle est tout ce que je ne suis pas. Fille engagée d’un destin marqué par les grands drames du dernier siècle, lectrice infatigable et insatiable, curieuse de tout et avide de connaissances nouvelles, elle m’a ouvert tous les horizons du monde. Elle a libéré ma parole prisonnière.
Au jour où l’action immédiate et soutenue se double de quelques regards sur les chemins parcourus je rassemble ici, dans le bric à brac de mes souvenirs, quelques bribes de vie subjectives et incomplètes au cœur de ce voyage qui se poursuit et s’enrichit encore aujourd’hui. Un voyage plus intime auquel je n’ai pas toujours accordé l’attention nécessaire, trop absorbé par mes errances lointaines dans les savanes brumeuses de l'Afrique.
LE VOYAGE EN ITALIE Edith m’a souvent parlé du voyage en Italie qu’elle avait effectué avec sa tante, découvrant les richesses artistiques du Quatrocento et de la Renaissance. Elle avait gardé de ce périple un souvenir inoubliable. Les arts de l’Italie n’ont, depuis lors, cessé de l’habiter.
En évoquant cette expérience adolescente, je ne puis m’empêcher de penser aux blondes figures féminines de Botticelli aux amples chevelures déployées sous les vents, mais également aux nattes si savamment agencées.
LES ANNÉES UNI Nous étions une bande de copains et de copines, fils, fille d’artistes qui avaient fréquenté ensemble les Beaux Arts de Genève. Par une curieux hasard nous nous sommes tous retrouvés, fils de peintres ou de sculpteurs, fille d’artisan marbrier, en Faculté des sciences pour préparer des diplômes de biologie ou de sciences naturelles.
J’ai rencontré Edith pour la première fois au chalet du Tronchet à Saint-Gervais dans la vallée de Chamonix, un lieu d'accueil rustique que le club de montagne de mon père avait l'usage. La bande s’y était retrouvée pour quelques vacances de neige. Dans le séjour, très entourée, elle parlait avec cette passion qui ne l’a jamais quittée du dernier livre qu’elle avait lu. Sa renommée l’avait précédée en ces lieux. Je suis tombé sous le charme. Mais nous étions chacuns pris par des mondes différents. Réservé et timide, je n’étais pas personne à forcer des destins qui me paraissaient gravés dans le roc. Nous nous sommes revus dans le mas ardéchois de l’une d’entre nous. Nous nous sommes amusés à tourner une vague ébauche de film dont nos deux amies devaient être les héroïnes, aventure sans lendemain, sitôt abandonnée. Jamais, les êtres qui hantaient mes rêveries d’étudiant ne m’avaient paru aussi inaccessibles. CALIFORNIE ET MEXIQUE 1964, je revenais d’Afrique et m’apprêtais à y repartir pour la troisième fois . Sans enthousiasme après une première expérience douloureuse. En ces premières années de l’indépendance du Mali, la vie dans ce pays y était particulièrement difficile. Pour un jeune sans préparation, propulsé seul dans l’inconnu, l’expérience du Tiers monde n’est jamais anodine.
Pour Edith cela a été les années exaltantes des campus californiens, la période des mobilisations étudiantes, des sit in contre la guerre du Vietnam. Mais également la découverte du Mexique en compagnie de son compagnon d'alors, un physicien théoricien.
Au Mexique, sur les sites olmèque de la Venta et zapotèque de Monte Alban
TOUR DU MONDE 1966, le retour en Europe en faisant le tour du monde : Hawai, Japon, Hong Kong, Malaisie, Thailande, Ceylan, Indes, Cachemire, Népal, Afghanistan, Israel, et Grèce . Alors les temples d'Anghor et les Bouddha de Bamian nétaient pas encore détruits.
En compagnie de David Atkinson Photographies Edith Engelson : Afghanistan, Népal, Ceylan, Thailande
RETROUVAILLES 1970, j’étais à Genève, seul et à nouveau libre. Plainpalais, je traversais la rue Dancet pour me rendre au Département d’anthropologie où j’avais retrouvé une place d’assistant. Une voiture me claxonne… Edith est de retour à Genève. Sans s’arrêter, la voiture disparaît dans la circulation. Encore aujourd’hui je ne sais comment j’ai trouvé grâce auprès d’une des plus belles filles de Genève. Il y a aussi des moments d’un bonheur intense qui s’effacent de votre vie et qui, tout à coup, se rappellent à votre mémoire défaillante, tout comme une illumination soudaine, 40 ans plus tard. Ainsi ce jour où j’ai présenté Edith à mes amis, dans un petit café du quartier des Grottes, autour d’une fondue. Paraît-il : « Alain arriva avec une ravissante jeune femme qu’il avait retrouvée et qui revenait de Berkeley nous dit-il ». Comment puis-je avoir oublié cela ?
En Sardaigne Nous ne nous sommes plus quitté depuis lors.
ENSEMBLE
Nous avons tenu bon le cap dans ce voyage au parcours semé d’embûches. Il y avait mes absences africaines à supporter. Nos deux filles ne nous ont guère laissé de répit. Il faillait piloter à distance Béatrice, notre fille cadette l’aventurière, partie à 16 ans en Californie sur les traces de sa mère. Ecole élémentaire à San Diego, retour en Suisse pour un bac international, puis études d’informatique graphique à l’Université de San Francisco. Au delà des ordinateurs, une passion dévastatrice pour les chevaux. Après un détour par l'enseignement de l'informatique 3D au Centre de formation professionnel Arts appliqués (CFP AA), ancienne Ecole des arts décoratifs de Genève, elle vient de fonder Lune d'elle, une entreprise de design informatique. Et puis il y a eu Myriam. École des arts déco à Genève. Une vie épanouie et d’extraordinaires dons artistiques brutalement stoppés. Notre fille errant un soir dans la rue, ne sachant plus qui elle était. L’abîme, l’angoisse, un autisme soudain. Le combat permanent d’Edith pour la santé de notre fille aînée malgré l’impuissance de la médecine et de la psychiatrie officielle. Son engagement de tous les instants pour les médecines autres et une compréhension en profondeur du fonctionnement biochimique du cerveau. Une vie décente et aimante offerte à Myriam chez nous jusqu’à aujourd’hui et de sérieux espoirs pour une vie meilleure. Quelle leçon !
Myriam : l a danse, avant et toujours (photos Sud-reportage, Genève)
Béatrice : en Egypte, à Saqqâra, ou à Genève, des chevaux toujours (photos Gallay et de Sepibus, Genève)
AUX SOURCES D’UN DESTIN FAMILIAL Edith ne connaissait que peu de choses sur la famille Engelson : des origines lointaines en Biélorussie près de Minsk , un oncle pendu par le Tsar lors de la Révolution, un grand père paternel originaire de Riga et émigré à Genève. La légende était réduite à sa plus simple expression : son père lui avait simplement dit avoir un ancêtre qui avait indiqué à Napoléon un endroit où franchir la Bérézina et qu’en remerciement Napoléon l’avait baptisé Engelsohn, « Fils d’ange », une origine du nom que l’on sait aujourd’hui erronée.
Jacob Engelson(1854-1948), le patriarche exilé à Genève
La reconstitution des faits historiques permet néanmoins de restituer aujourd'hui le scénario suivant grâce aux recherches de Viktor Schatz, le cousin et de Marianne, la soeur d'Edith : Lors de la retraite de Russie, Napoléon se trouvait en 1812 face au cours de la Bérézina.
Une trentaine d'années plus tard, un général russe nommé Engelhardt ayant appris qu'un "traître" avait déshonoré son prestigieux nom, demanda au Tsar de débaptiser la famille du renégat. Ce qui fut fait. C'est donc d'Alexandre Ier et non de Napoléon que les descendants de Movshah Shapiro reçurent le nom d'Engelson évoquant Engelsohn, fils d’ange. Les petits-enfants de Movshah furent les premiers à naître sous ce nom. Le grand-père d’Edith appartenait donc à la deuxième génération née Engelson. Un jour, grâce à Internet, Edith découvre à Riga toute une branche de la famille Engelson qu’elle croyait disparue, rescapée des pogroms, de l’holocauste (plusieurs membres de la famille furent exécutés en 1941 lors de la shoah par balles) et des purges staliniennes. Une occasion de faire une plongée aux sources mêmes de cette famille retrouvée en 2007 lors d’un voyage en Lettonie, puis en 2011 à l'occasion d'un voyage en Suède. Une occasion de se réapproprier et d’apprivoiser un parcours douloureux. Un grand moment de vie où soudain l’on se sent partie prenante de l’Histoire.
En 1998, les descendants de Schmuel ont pu récupérer à Riga leurs biens spoliés par les Soviétiques en 1941. Jakob (Jankel) Engelson (1854-1948), émigré à Genève, avait eu en première noce deux enfants : Berta (Beila) et Boris (Berka) Engelson, tous deux impliqués dans le processus révolutionnaire.
Deux destins tragiques : Maria Gorgachkowski et son oncle Boris (Berka) Engelson Consulter l'histoire de la famille rédigée par Marianne Hardy-Engelson
Cette histoire ne m’appartient pas, mais j’ai le devoir de ne point l’oublier et d’en témoigner. Au delà, j’en ai surtout l’envie et la fierté. "Je pense qu'il y a deux chemins pour rechercher le bonheur : tout faire pour obtenir ce que l'on désire ou aimer ce qui est là" COSEY 2008. Les aventures de Jonathan : Elle ou les dix milles lucioles, p. 17. Et pourquoi les deux voies ne seraient-elles pas indissociables ? |