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Aux sources d’un destin familial
Donation Tessin
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Edith ne connaissait que peu de choses sur la famille Engelson : des origines lointaines en Biélorussie près de Minsk , un oncle pendu par le Tsar lors de la Révolution, un grand père paternel originaire de Riga et émigré à Genève. La légende était réduite à sa plus simple expression : son père lui avait simplement dit avoir un ancêtre qui avait indiqué à Napoléon un endroit où franchir la Bérézina et qu’en remerciement Napoléon l’avait baptisé Engelsohn, « Fils d’ange », une origine du nom que l’on sait aujourd’hui erronée.
Les plus anciennes mentions de la famille proviennent de Borisov en Biélorussie et remontent à 1795. La légende du nom de famille restait controversée puisque les archives consultées à Borisov parlent d’un changement de nom d’Engelgardt en Engelson.
La tradition napoléonienne
La reconstitution des faits historiques permet néanmoins de restituer aujourd’hui le scénario suivant grâce aux recherches de Viktor Schatz, le cousin et de Marianne, la soeur d’Edith :
Lors de la retraite de Russie, Napoléon se trouvait en 1812 face au cours de la Bérézina.
Encerclé de toute part, par les troupes du Tzar Alexandre 1er, l’Empereur, suivi d’une petite troupe de fidèles, dont ceux du régiments suisse, parlant allemand, cherchait à découvrir une issue secrète par où pouvoir s’échapper pour rejoindre la France. Il s’adressa au chef de la communauté juive (au maire) – Movshah Shapiro – de Borisow par l’intermédiaire d’un interprète de langue allemande. Et Shapiro lui indiqua le chemin à suivre afin d’échapper à ses poursuivants au lieu dit Studianka. Grâce aux renseignements recueillis, la troupe pourra maîtriser l’obstacle, à 3 lieues au nord de Borisov. Ce fut un grand moment de l’Histoire.
Des habitants francophiles sont mobilisés parallèlement pour propager de fausses informations concernant l’endroit où les français allaient franchir le fleuve. Movshah Shapiro, accompagné de deux juifs de Boryssov – Leib Benenson et Boruch Humner -, participe à cette campagne de désinformation. En signe de reconnaissance, Napoléon lui décerna alors le nom d’Engelgardt, qui signifie fermeté d’ange, un nom de consonance germanique, puisque Shapiro ne parlait pas français.
Ces manoeuvres furent ébruitées, et le chef de la communauté juive fut conduit devant le tsar, Alexandre 1er, désireux de l’interroger lui-même sur ses agissements, considéré comme une traîtrise envers la Russie. Movshah Shapiro dit Egelgardt, considéré comme traître, passa en jugement et échappa de peu à la potence. Pour sa défense, il répondit en rappelant que lors de la pénétration de l’armée française en Russie, Napoléon, fidèle aux idéaux révolutionnaires, avait proclamé l’égalité des droits de citoyenneté des juifs avec les autres citoyens russes. C’est à ce titre que les juifs de Russie avaient prêté serment de fidélité à Napoléon. En aidant à la fuite de l’Empereur des Français, il n’était donc, déclara-t-il, que demeuré fidèle à son serment, comme il l’avait toujours été jusque-là, et qu’il le serait aussi désormais, aux lois du Tsar Alexandre Ier.
L’Empereur de Russie accepta cette explication et le chef de la communauté juive de la petite ville de Russie Blanche put repartir en paix chez lui.
Une trentaine d’années plus tard, un général russe nommé Engelhardt ayant appris qu’un « traître » avait déshonoré son prestigieux nom, demanda au Tsar de débaptiser la famille du renégat. Ce qui fut fait. C’est donc d’Alexandre Ier et non de Napoléon que les descendants de Movshah Shapiro reçurent le nom d’Engelson évoquant Engelsohn, fils d’ange.
Les petits-enfants de Movshah furent les premiers à naître sous ce nom. Le grand-père d’Edith appartenait donc à la deuxième génération née Engelson.
Les parents de Riga
Un jour, grâce à Internet, Edith découvre à Riga toute une branche de la famille Engelson qu’elle croyait disparue, rescapée des pogroms, de l’holocauste (plusieurs membres de la famille furent exécutés en 1941 lors de la shoah par balles) et des purges staliniennes. Une occasion de faire une plongée aux sources mêmes de cette famille retrouvée en 2007 lors d’un voyage en Lettonie, puis en 2011 à l’occasion d’un voyage en Suède. Une occasion de se réapproprier et d’apprivoiser un parcours douloureux. Un grand moment de vie où soudain l’on se sent partie prenante de l’Histoire.
La famille genevoise
Les deux familles de Riga et de Genève descendent de Leiba Engelson né en 1824. Son fils Jakob (Jankel) Engelson, né en 1856, est à l’origine de la branche genevoise; son fils Schmuel Engelson, né en 1858, de la branche vivant aujourd’hui à Riga et dont Viktor Schatz est actuellement le représentant.
Les deux frères se sont installés à Riga en 1885 pour Schmuel, et quelques années plus tard pour Jakob.
En 1998, les descendants de Schmuel ont pu récupérer à Riga leurs biens spoliés par les Soviétiques en 1941.
Jakob (Jankel) Engelson (1854-1948), émigré à Genève, avait eu en première noce deux enfants : Berta (Beila) et Boris (Berka) Engelson, tous deux impliqués dans le processus révolutionnaire.
Boris Engelson est né en 1881. Anarchiste communiste, il a été l’un des fondateurs de la maison d’édition Anarkhiia de Bialystok. Comme beaucoup de révolutionnaires de l’époque, Boris fait de longs séjours en Suisse, à Paris ou à Londres où il poursuit le combat pour mieux le reprendre sur le sol natal. Emprisonné plusieurs fois pour ses activités subversives, il est exécuté par pendaison à Vilnius en 1907, à l’âge de vingt-sept ans.
On connaît Berta Engelson (1875-1962), très active politiquement, pour avoir participé à la rédaction ou à la création d’un journal anarchiste à Paris. Sa fille Maria Gorgachkowski, née en prison, est morte dans les années 60 à Moscou. Elle a donné naissance à un fils du nom d’Alexei, que Victor Schatz a rencontré à Moscou, mais qui n’était pas intéressé par ces histoires de famille.
En seconde noce, Jakob Engelson épouse Henia (Genya), descendante d’un penseur juif lituanien du 19ème siècle, Haïm de Volozine. Dans « L’âme de la vie » cet illustre rabbin témoigne de l’importance du travail intellectuel et de l’écriture : Dieu a créé le monde ; mais aussitôt Il s’en est retiré; Il l’a abandonné à lui même et à ses forces d’autodestruction ; en sorte que seules les lettres peuvent l’empêcher de se décréer et faire qu’il reste debout. Ces dernières ne sont pas les reflets mais les piliers d’un monde qui, sans cela, retournerait au néant; les livres ne sont pas le miroir, mais les poutres de l’univers.
Par sa grand-mère paternelle, Edith est donc une lointaine descendante de cet illustre penseur. Sa passion de la lecture remonte loin.
Cette histoire ne m’appartient pas, mais j’ai le devoir de ne point l’oublier et d’en témoigner. Au delà, j’en ai surtout l’envie et la fierté.
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