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Aux sources d’un destin familial
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On se concentre ici sur l’analyse cladistique comme moyen d’approche de l’évolution de la société wolof. Le classement est fondé uniquement sur des facteurs internes. Les facteurs historiques externes n’apparaissent que dans l’explicitation des dérivations.
Le livre d’Abdulaye-Bara Diop, consacré aux Wolof du Sénégal, est probablement l’une des meilleures analyses jamais présentée sur l’évolution d’une société ouest-africaine. La précision du langage et de la pensée, ainsi que la richesse de la documentation réunie en font un ouvrage exceptionnel.
L’analyse logiciste du livre permet de dégager les grandes lignes de l’évolution socio-politique des sociétés wolof. Sur cette base, nous avons tenté une analyse cladistique permettant de mieux comprendre l’articulation logique des différents stades évolutifs distingués par Diop.
L’auteur distingue clairement trois stades, trois taxons : les lamanat (qui correspondent aux chefferies de notre terminologie), la monarchie (pour nous l’État marchand) et la société post coloniale. Le stade le plus primitif des sociétés lignagères n’apparaît qu’en filigrane. L’analyse logiciste du texte montre néanmoins qu’il est également nécessaire d’intercaler un stade proto-étatique entre les lamanat et la monarchie si l’on veut rendre compte du texte et des enchaînements caractères primitifs – caractères dérivés de façon cohérente.
Les ordres dit jàambur (chefs détenant le pouvoir politique) et garmi(noblesse au sein de laquelle se recrute les souverains) correspondent à notre secteur dit « aristocratique ».
Je me suis permis de compléter les textes sur quelques points mineurs n’altérant pas la démonstration afin de rendre certaines articulations plus explicites.
Soulignons encore quelques points qui font l’originalité et l’intérêt de ce texte.
1. A la suite de Georges Balandier, dont il a été l’élève, Diop distingue nettement le système des castes d’un système des ordres.
« Rang et ordre (ou état) sont des termes souvent confondus, ou utilisés indifféremment, dans la littérature anthropologique (…). Le premier reporte cependant à une hiérarchie particulière, que ce soit celle des groupes sociaux constitués selon la descendance, celle des groupes socio-professionnels ou celle des charges à titre dans le cadre de l’organisation politique. Le second (…) à une hiérarchie globale : celle que présente toute société où existent des « classes » presque fermées, définies légalement, pour lesquelles l’appartenance est essentiellement régie par le fait de naissance. Le système des ordres ou états doit être envisagé comme une des formes complexes de la stratification sociale, parallèlement au système des castes et au système des classes. » (Ballandier 1967, p. 105)
2. Fait totalement inhabituel dans l’anthropologie de l’Afrique de l’Ouest, le système des castes est étendu à l’ensemble de la société selon le modèle indien. La caste supérieure correspond donc aux paysans « nobles » de la terminologie habituellement utilisée. Cette perspective n’est pas totalement dénuée d’intérêt, même s’il est difficile d’y adhérer vu le poids des habitudes et la position actuelle de la communauté scientifique. Elle introduit en effet une meilleure compréhension de la hiérarchie et est parfaitement cohérente par rapport à l’opposition castes/ordres.
3. On notera l’importance portée à la progression de l’Islam dans la société coloniale, puis post-coloniale, suite à l’effondrement du despotisme imposé par la monarchie traditionnelle, effondrement provoqué par les Européens. Comment ne pas faire le lien entre cette dynamique et ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe. Il est des figures récurrentes de l’histoire auxquelles il convient de porter toute son attention.
Suivant les principes de l’analyse cladistique nous retiendrons ci-dessous des caractéristiques dites primitives (P) et des caractéristiques dites dérivées (D). Les notations P et D sont relatives. Une caractéristique dérivée peut devenir une caractéristique primitive pour le stade évolutif suivant (tab. 2 et 3).
Nous n’avons tenu compte ici que des caractéristiques « internes » spécifiquement liées à l’évolution de la société. Les facteurs historiques externes notés par un astérisque (*) n’apparaissent que dans l’explicitation des dérivations. Ces facteurs sont importants car ils permettent de caler chronologiquement les diverses phases de développement et peuvent fournir une « explication » historique partielle du scénario présenté. Ces derniers sont au nombre de quatre, soit, par ordre chronologique : la traite arabe et le commerce transsaharien, la traite atlantique européenne, l’abolition de la traite et la pénétration européenne (1848), la colonisation française.
Le stade lignager, ne présentant que des caractéristiques « primitives », reste conjectural, ce qui est une propriété générale de toute analyse cladistique.
Tableau 1. Évolution de la société wolof restituée d’après les travaux d’Abdulaye-Bara Diop Les points marquent, dans la perspective cladistique, les pas de transformation.
Tableau 2. Évolution des sociétés d’Afrique de l’Ouest restituée Les points marquent, dans la perspective cladistique, les pas de transformation.
Le cladogramme relativement peu parcimonieux (fig. 1) permet de dégager trois clades «monophylétique », malgré la présence de plusieurs homoplasies : les sociétés segmentaires, les sociétés de prestige et les sociétés étatiques de classes (fig. 2 et 3).
Fig. 2. Analyse cladistique des stades de développement des sociétés de l’Afrique de l’Ouest en relation avec le développement du monumentalisme funéraire.
Fig. 3. Comparaison des cladogrammes des sociétés wolof et d’Afrique de l’Ouest.
On résume ci-dessous les données permettant de dresser l’arbre dynamique des transformations de la société wolof à travers une analyse logiciste des transitions économiques, sociales, politiques et religieuses ayant affecté l’histoire des sociétés wolof selon A.-B. Diop. P désigne les caractéristiques primitives et D les caractéristiques dérivées. Les astérisques marquent les facteurs « externes » non retenu dans le cladogramme considérés comme des mécanismes explicatifs (Gallay 2012).
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La stratification sociale, primitive, repose sur la parenté et l’alliance.
Le mode de production est domestique et les rapports familiaux fonctionnent comme des rapports de production.
Les cadets cultivent et travaillent pour le chef de famille, qui centralise les récoltes et procède à la distribution journalière du grain nécessaire à l’alimentation. A la tête de la communauté se trouve le laman, l’aîné des hommes du groupe agnatique qui dispose d’une autorité patriarcale exercée avec l’aide d’un conseil des anciens et détient toutes les fonctions : religieuse, politico-juridique, foncière.
L’esclavage est quasi inexistant. Les étrangers sont capturés par poignade et leur descendance rapidement assimilée.
Comme dans la plupart des sociétés, les stratifications sociales chez les Wolof apparaissent d’abord dans le domaine de la parenté et de l’alliance. A ce niveau primaire, elles reposent sur de facteurs biologiques dominants, comme l’âge et le sexe, créant ainsi faite de supériorité des anciens sur les jeunes (des aînés sur les cadets et des hommes sur les femmes).
Le principe hiérarchique ordonnant les pouvoirs et les statuts, et réglant les relations des membres du groupe n’exclut pas le principe communautaire qu’on observe en particulier, dans l’organisation familiale. Le patriarche disposait d’une autorité exercée avec l’aide du conseil des anciens. Il détenait toutes les fonctions, à l’échelle de la communauté, qui étaient, essentiellement, au nombre de trois : religieuse, politico-juridique, foncière.
Le pouvoir politique est décentralisé et se répartit entre les aînés des divers lignages.
Une violence affectant les relations entre populations existe dès l’origine. La violence n’explique pas les changements fondamentaux de l’histoire (apparition des classes, de l’Etat, de la propriété privée), bien qu’elle joue un grand rôle ; les sociétés primitives ne sont pas égalitaires et contiennent les germes de la formation des classes et de l’Etat.
Les tout premiers souverains, issus directement des grands laman et appartenant, au Kajoor et au Baol, aux clans matrilinéaires Wagadu, Muyooy et Sôno, étaient réputés pour leur savoir magique, comme les souverains sereer. Mais en général, les souverains wolof ont perdu très tôt l’essentiel de leur caractère sacré.
Il n’y a pas de classes sociales. Les rapports de classes ou de protoclasses sont impossibles à déceler dans le système des castes wolof où l’on constate l’absence de castes dominantes politiquement (ou même religieusement) conmme en Inde ou au Rwanda. Les rapports de classes ne se développeront que lorsque les individus au service de la communauté transformeront leur pouvoir de fonction en pouvoir d’exploitation, sans cesser d’assumer les fonctions d’intérêt général qui leur étaient confiées et qui constitueront à justifier leur domination.
Il n’y a pas de propriété individuelle de la terre avec droit d’aliénation. Chaque communauté dispose d’un territoire agricole (droit de propriété par le feu). Le patriarche distribue des parcelles aux familles avec droit d’usufruit (droit de hache), droit transmissible au sein de la famille. La terre revient à la communauté quand la famille s’éteint ou émigre.
La société est une société d’autosubsistance produisant pratiquement tout ce qu’elle consomme dans les limites de son propre terroir. La production céréalière génère un léger surplus cédé aux chefs de famille.
Les échanges se réalisent par troc (NB. Diop distingue le troc de l’échange sans expliciter la différence). Etant donné l’absence d’un véritable marché intérieur, qui ne s’est constitué que tardivement, principalement sous l’influence de la pénétration européenne, les produits n’avaient pas de valeur d’échange sur une vaste échelle.
Le pouvoir politique repose essentiellement sur les fonctions exercées par les laman.
Le développement récent des castes s’est opéré dans une société agricole d’économie de subsistance dont le caractère d’autosubsistance même était fortement marqué.
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Diop utilise le terme local de lamanat pour ce que nous désignons par chefferies
Le mode de production lamalal est défini comme transition entre le mode de production patriarcal (sans redevances) et le mode de production tributaire ( avec redevance et tributs). Il résulte du dualisme structurel entre propriété commune des terres et possession ou exploitation individuelle et familiale. Avant la naissance des monarchies centralisées, existaient des communautés lignagères, claniques, devenues territoriales ayant à leur tête des chefs appelés laman dont la fonction patriarcale de responsable et de gérant devient une fonction politique nettement constituée au dessus des lignages et des familles.
Les instruments et techniques agricoles permettent le dégagement d’un surplus, si faible soit-il, dont le laman bénéfice sous forme de redevances coutumières prélevées sur la production des chefs de famille, maîtres du droit d’usage. Avant l’avènement de l’empire du jolof, vers le milieu du XIIIe siècle, de grands laman se rencontrent à la tête de chaque région wolof (Waalo, Jolof, Kajoor, Baol), au dessus des autres laman. Ils deviendront même des souverains vassaux de l’empire Jolof , avant de prendre leur indépendance, au milieu du 16ème siècle, à la suite de batailles victorieuses.
L’esclavage a certainement existé à l’époque du lamanat, même s’il ne devait pas être très développé, ce qui n’implique pas que les conditions de vie des esclaves soit bonne.
L’un des ordres, qui est certainement antérieur dans le temps, correspond à la dimension liberté-servilité. Il crée une division binaire principale de la société hommes libres / esclaves.
Les lignages se hiérarchisent, ce qui permet à certains laman d’acquérir des positions dominantes.
Une économie de marché se superpose à l’économie de troc. Diop ne précise pas de quels types de marché il s’agit, mais le contexte du texte exclut les marchés internationaux.
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La mode de production tributaire ne définit pas un stade esclavagiste car l’essentiel de la production n’est pas assumée par des esclaves. Il apparait dès l’époque du lamanat sous une forme atténuée avec le prélèvement de redevances foncières par le laman. Il a favorisé l’apparition de la monarchie avec l’apparition progressive d’une catégorie sociale de notables fonciers, les laman gérant les terres de la communauté, qui constitueront plus tard l’Etat.
Le commerce transsaharien* est à l’origine d’un premier esclavage de traite.
Le mode de production lamanal favorise l’apparition d’un premier ordre (mis à part celui des esclaves), celui des jàmbur, soit de chefs détenant le pouvoir politique.
Le commerce transsaharien* favorise le développement de marchés internationaux. Les marchés, pauvres et périodiques encore au XVe et XVIe siècles, et qui ne devaient pas être bien antérieurs à cette période ne se développeront qu’avec le commerce transsaharien qui profitera, principalement, aux catégories sociales privilégiées de l’ordre monarchique.
Les individus au service de la communauté transforme leur pouvoir de fonction en pouvoir d’exploitation, sans cesser d’assumer les fonctions d’intérêt général qui leur étaient confiées et qui constitueront à justifier leur domination.
Le développement des castes s’est opéré dans une société agricole d’économie de subsistance dont le caractère d’autosubsistance même était fortement marqué. L’avènement d’un ordre supérieur jàmbur assurant une certaine centralisation du pouvoir a favorisé l’apparition du système des castes, les artisans offrant leurs produits et leurs services à l’aristocratie pour en tirer largement profit.
Le système des castes, certainement plus ancien, antérieur à la formation de l’Etat, concernait une société comportant probablement peu d’esclaves qui n’étaient pas constitués en catégorie sociale distincte, comme dans beaucoup de sociétés patriarcales.
Le commerce transsaharien* favorise le développement d’un islam marginal affectant essentiellement l’aristocratie.
Certains échange de biens spécialisés s’organisent entre les diverses castes. Ces derniers révèlent l’héritage d’une société de prestige où la générosité rehaussait la condition sociale des gens. Les relations hiérarchiques intercastes sont des relations de clientèle largement à l’avantage de castes inférieures et non des rapports de classes.
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Le mode de production tributaire se transforme en impôts exigés par le souverain.
L’esclavage se développe considérablement à partir du dernier quart du 17ème siècle jusqu’au début du 19ème , favorisé par la traite atlantique* qui donne lieu à un trafic d’esclaves et non à une utilisation de ces derniers dans la production. Les esclaves ne seront jamais vraiment des forces productives de biens d’usage ou d’échange, à la place des baadolo, mais serviront eux-mêmes de biens échangés contre des armes, des chevaux, de l’eau de vie, des tissus, revenant au souverain, aux chefs politiques et aux guerriers. Les gens du peuple, les baadolo, possédaient peu d’esclaves.
Saint louis en 1720.
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Les conséquences les plus profondes de la traite atlantique* ont concerné le domaine socio-politique. Celle-ci a favorisé la centralisation de l’état monarchique, l’accentuation du caractère guerrier du pouvoir. L’ordre social des esclaves de la couronne, constitué en armée, sur lequel repose désormais la monarchie, a connu une hypertrophie.
Un système d’ordres hiérachisés se superpose au système des castes avec l’avènement de l’Etat.
La société monarchique wolof peut donc être considérée comme composée de cinq ordres principaux : garmi, jàmpur, baadoolo, jaami-buur, jaami-baadoolo. » Les causes majeures des transformations de la monarchie précoloniale sont externes : elles sont liées à la pénétration européenne et, particulièrement, à la traite esclavagiste. Ces phénomènes ont puissamment contribué au renforcement du pouvoir central monarchique et à la suprématie de l’ordre garmi qui se détachera nettement de l’ordre jambur d’où il provient. Pour accéder au trône, il faut descendre, en ligne patrilinéaire, du premier roi et, en ligne matrilinéaire, d’un certain nombre de dynasties constituant cet ordre.
Les jàmpur, représentés anciennement, au plus haut niveau, par les familles de laman – chefs de communauté et de terre – qui constituaient les plus importants lignages de la société en l’absence de système global d’ordres politiques, passeront au second rang avec la constitution de familles royales, garmi, sous la monarchie. Ils deviennent des chefs politiques, et des nobles de deuxième catégorie. L’ordre jàmbur, constitué par tous les détenteurs de fonctions poitico-administratives – au niveau principalement local – avaient un statut libre sans pouvoir accéder au trône. L’hérédité de leur statut se transmettait au sein du patrilignage selon la même voie que l’héritage de celles-ci.
La traite atlantique favorise la centralisation de l’Etat monarchique.
Les changements les plus importants ont un caractère politique avec pour but la transformation des lamanat indépendants en provinces du royaume. L’évolution de cette organisation politico-administrative locale a été marquée par deux faits importants. L’un d’eux a été la prise progressive du commandement provincial par les guerriers et notamment les esclaves de la couronne au détriment des notables de la terre, les laman.
Le second fait caractéristique a été le morcellement administratif régional. Les chefs de province avaient surtout, à lutter contre les invasions des seigneurs et souverains étrangers qui se livraient, fréquemment, dans les régions frontalières, à des pillages et razzias pour enlever des troupeaux et des personnes. » Ce contrôle politique ménageait, de la sorte, une transition en maintenant les autorités patriarcales tout en réduisant leurs attributions, dont l’une des plus importantes – la gérance des terres – leur restait, même si des spoliations ont eu lieu ; les communautés ne manquaient généralement pas de terres, d’autant plus que le dépeuplement se réalisait avec le développement des razzias et des guerres alimentant la traite des esclaves.
Le souverain détenait une autre fonction importante, la défense des populations et de l’intégrité du territoire contre les agressions extérieures : pillages, razzias, qui se sont multipliés pendant l’ère de la traite des esclaves. A cet effet, il disposait d’une force militaire – constituée principalement, par les esclaves de la couronne – dont il prenait le commandement effectif en cas de guerre.
Si la violence est inscrite très tôt, voire dès l’origine, dans l’ordre politique, elle a revêtu ce caractère aigu avec la traite atlantique*, pour le grand bénéfice des ordres dirigeants. Les pillages ont été signalés par Ca da Mosto, dès le XVe siècle, comme source de revenu pour le souverain wolof. Des razzias étaient entreprises dans les pays voisins, à travers les régions frontalières, pour se procurer du bétail, du mil et surtout des esclaves . Le roi en était également arrivé à piller et à razzier ses propres sujets pour satisfaire la demande des négriers et subvenir, par ce moyen, à ses besoins et ceux de sa suite – dont cetains étaient nouveaux ou acrus par le commerce atlantique (verroterie, tissus, eau de vie, armes à feu, chevaux, etc.).
La violence étatique peut s’expliquer au niveau monarchique, par l’absence d’idéologie faisant des souverains des dieux ou leurs grands prêtres malgré le savoir magique attribué aux premiers souverains. Deux facteurs ont joué un rôle important dans cette désacralisation : l’Islam et le mode de transmission non automatique du pouvoir, vu l’inexistance du droit d’aînesse et la pluralité des clans royaux. Au milieu du 18ème siècle, lors de la monarchie, l’Islam ne progresse pas et reste périphérique au sein d’une monarchie essentiellement païenne.
Le système des ordres est né avec la formation d’un pouvoir politique centralisé créant des ordres dont celui des esclaves qui s’est constitué et s’est développé à la suite des guerres extérieure ou intestines. L’évolution de la société sous la monarchie – avec l’acquisition de nombreux esclaves qui en est résultée – s’est réalisée avec une tentative d’intégrer ceux-ci dans les castes les faisant ainsi participer, comme tous les membres de la société à deux systèmes sociaux à la fois. La forme des alliances matrimoniales, dans ce système rapprochait les ordres en général plus des classes sociales que des castes où l’endogamie de rigueur se justifiait par une idéologie biologique mieux élaborée. Les ordres socio-politiques constituaient donc des classes sociales entretenant des rapports d’exploitation.
Les terres des communautés lignagères n’étaient plus totalement inaliénables et pouvaient faire l’objets de donations de la part du souverain ; c’étaient, en réalité, les partie inexploitées du territoire peuvent l’objet de donations. Elles étaient surtout, perdues par le laman qui ne pouvait plus prélever de redevances pour leur possible exploitation.
Les grands laman – qui se transformeront en souverains – ont été choisis au départ, par leurs pairs à cause de leur sagesse, de leur sens de la justice, pour arbitrer les litiges fonciers fréquents du fait de l’incertitude des limites tracées par le feu.
Plus les régimes ou les règnes étaient guerriers, moins les souverains accordaient de l’importance aux cultures de leurs champs par les corvées, et plus ils vivaient des ressources provenant de l’impôt en nature et de pillages. Sous la monarchie, l’abandon de la rente travail en faveur de la rente en nature, de l’impôt, est le signe du passage du pouvoir foncier au pouvoir politique reposant, non plus sur la propriété de terres gérés par les laman, mais sur la violence premettant le prélèvement – sous une forne extra économique – du surplus des baadolo par les ordres dominants, garmi et jàmbur.
C’est la conception d’Engels, développée dans Anti-Dühring, qui peut satisfaire le mieux l’interprétation des fondements du pouvoir. Les sociétés primitives ne sont pas égalitaires et contiennent les germes de la formation des classes et de l’Etat. Ceux-ci se développent lorsque les individus au service de la communauté transforme leur pouvoir de fonction en pouvoir d’exploitation, sans cesser d’assumer les fonctions d’intérêt général qui leur étaient confiées et qui constitueront à justifier leur domination.
Si le mode de production n’a pas radicalement changé de forme sous la monarchie avec le prélèvement de surplus sur les communautés paysannes et l’assujettissement de leurs membres au pouvoir d’Etat, l’exploitation se développait et s’aggravait en même temps que s’accentuait la différenciation sociale de classes antagonistes avec l’exercice du pouvoir par la violence.
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L’abolition de la traite en 1848*, facteur de richesse pour la monarchie, et la pénétration européenne* ont entraîné l’effondrement des monarchies et la disparition du système des ordres qui lui était associé.
Le Royaume Unis en 1806 et les Etats Unis en 1807 seront les premiers états à interdire la traite qui sera abolie au Congrès de Vienne en 1815. Dans les colonies françaises la traite ne sera officiellement abolie qu’en 1848.
On retiendra les dates suivantes marquant l’instauration de la colonisation : 1659, fondation de Saint-Louis ; 1854, Faidherbe prend le commandement du Sénégal et fait construire l’année suivante sur le Haut Fleuve le poste de Médine (actuellement au Mali) ; 1864, Mort d’El Hadj Omar ; 1891, Création de la colonie du Soudan français.
Les monarchies anéanties et la crise passée, l’Islam, les marabouts, apparaîtra comme remplissant une fonction importante d’intégration des populations dans le système colonial, à deux des principaux niveaux (politique et économique), en favorisant l’obéissance à l’administration, le maintien de l’ordre socio-politique et la réalisation de l’économie de dépendance et de traite avec, en particulier, le développement de la culture arachidière. Il s’agit d’une hiérarchie pure, dans la mesure où le statut des groupes est idéologique et ne se réfère ni au pouvoir politique, comme dans le système des ordres, ni à la puissance économique, comme dans le système des classes sociales.
Le pouvoir colonial développe des cultures d’exportation comme l’arachide et le coton au détriment des cultigènes assurant la base de l’alimentation traditionnelle dans le régime d’autosubsistance.
Dans les conditions nouvelles créées par la colonisation, le système religieux s’adapte au mode de production tributaire dérivé de l’ancien et dont ses chefs tirent profit. Les marabouts font travailler leurs jeunes adeptes, à plein temps, pour produire d’importantes ressources, notamment dans le cadre des cultures arachidières, sans avoir l’obligation d’assurer entièrement) leur subsistance, mais leur promettent la récompense divine, le paradis.
Nous sommes en présence de rapports de production entre des personnes constituant de catégories sociales nettement distinctes. La mobilité entre celles–ci est faible à cause du caractère fortement héréditaire des statuts aux niveaux extrêmes de la hiérarchie religieuse. Au niveau des daara (terres exploitées par les taalibe), il s’agit bien de rapports d’exploitation des disciples par les maîtres spirituels, mais à caractère idéologique, reposant essentiellement sur l’aliénation religieuse. La possession foncière n’est pas le fondement de l’exploitation, comme le prouve l’existence des champs du mercredi et des daayira qui n’appartiennent pas aux marabouts, mais dont la production leur revient.
L’existence des castes impliquait des échanges socio-économiques qui s’actualisaient sous forme de réciprocités. Apparaît désormais un processus de libération sociale des castes inférieures, ouvert à la fois, par la généralisation de l’échange, la monétarisation de l’économie et les concentrations humaines. Ce processus a ainsi libéré les castes inférieures économiquement du surplus d’honneur qui n’avait plus sa raison d’être dans le forme mercantile de l’échange.
Resté longtemps limité et superficiel, l’Islam va s’étendre lentement dans les différentes royautés et régions. Ce n’est cependant qu’à partir de la fin du siècle dernier, avec la destruction des monarchies par la conquête coloniale*, que l’expansion de cette religion prend de grandes dimensions et finit par toucher toutes les populations. Les progrès rapides de l’Islam, notés par des auteurs comme G. Mollien au début du XIXXe siècle, s’expliquent en grande partie par les abus des chefs politiques à l’encontre des gens du peuple
BALANDIER G. 1967. Anthropologie politique. Paris : PUF.
DIOP A.-B. 1981.La société wolof, tradition et changement : les systèmes d’inégalité et de domination.Paris : Karthala.
ENGELS F. 1878. Herrn Eugen Dühring’s Umwälzung der Wissenschaft, Philosophie, politische Oekonomie, Sozialismus. Leipzig.
GALLAY A. 2012. Approche cladistique et classification des sociétés ouest-africaines : un essai épistémologique. Journal des Africanistes,82, 1-2, p. 209-248.