Recherches
Dédicace
Aux sources d’un destin familial
Donation Tessin
Site web réalisé par Lune d’Elle
Pdf de la page
Ce troisième volet de la réflexion sur l’avenir de l’ethnographie aborde la question de la mobilisation de sources historiques issues de sources européennes et de traditions orales locales.
Quelles voies pour restituer l’histoire récente de l’Afrique de l’Ouest ?
Comment restituer l’histoire précoloniale de l’Afrique de l’Ouest ?
Cette question est au cœur de mes réflexions depuis longtemps et je me suis attaché à cerner quelques domaines où il était possible de développer des approches combinant archéologie, ethnohistoire et ethnoarchéologie. Nos fouilles sur le site mégalithique de Santhiou Kohel au Sénégal (1980-81) ont été, depuis plus de trente ans, l’un des sujets demandant ce type de réflexion (Gallay, Pignat, Curdy 1982 ; Becker, Martin 1982).
Rappelons tout d’abord quelques faits.
– les sépultures mégalithiques sénégambiennes se développent entre Ve siècle av. J.-C. et le XVe siècle pour les estimations les plus larges concernant essentiellement les cercles mégalithiques. Les sépultures les plus tardives de ce type ne devraient néanmoins pas dépasser le XIIIe siècle (Cros et al. 2013).Les tumulus à pierre frontale, comme celui que nous avons fouillé à Santhiou Kohel, ne sont par contre, à ce jour, pas datés.
– Le phénomène mégalithique n’a laissé aucune trace dans la mémoire collective, alors qu’il est partiellement contemporain de périodes abordées par les traditionnalistes et les textes historiques précoloniaux pour d’autres régions de l’Afrique de l’Ouest. La population qui aurait été à l’origine du phénomène n’est jamais mentionnée.
– Les recherches archéologiques actuelles, souvent d’excellente qualité, se sont donc totalement détournées des questionnements ethnohistoriques. Un récent projet de recherche se focalise ainsi sur la question du déterminisme paléoenvironnemental et climatique du phénomène et sur des questions de paléogénétique des populations inhumées, deux questions en conformité avec les paradigmes actuellement en vogue dans les milieux scientifiques, comme si les contextes ethnohistoriques, sociaux et politiques associés à ce type de phénomène était totalement inatteignables et/ou sans aucun intérêt.
Une possibilité de recouvrement, certes partiel, entre données archéologiques et données ethnohistoriques existe pourtant.
Le livre posthume de Jean Boulègue Les royaumes wolof dans l’espace sénégambien (XIIIe-XVIIIesiècles) nous invite à nouveau à nous plonger sur cette question. Ce livre de référence essentiel dresse un bilan historique de l’histoire des royaumes wolof entre le XIIIe siècle et le XVIIIe siècle fondé sur une analyse extrêmement fouillée, exhaustive et pointue des sources historiques, traditions orales, textes européens de la période des contacts et de la traite esclavagiste (récits de voyage, documents d’archives, etc.) précédant la colonisation.
« La documentation est en grande partie constituée par les sources européennes : récits de voyageurs, marins et commerçants et synthèses de compilateurs et de géographes. Ces écrits sont d’abord portugais ou liés à l’expansion portugaise, puis français, anglais et néerlandais. A partir de la fin du XVIIe siècle interviennent les archives des compagnies de commerce, françaises et anglaises. Elles apportent des informations plus précises et plus suivies, à la fois ponctuelles et mises en séries.
Non moins important est l’apport des sources orales. Les traditions sont multiples, propre aux collectivités locales comme aux centres islamiques, et se présentent sous des formes différentes plus ou moins figées. Parmi elles, les chroniques des royaumes ont la plus grande ampleur, et le plus grand développement narratif. » (Boulègue 2013, p. 8)
Ces sources nous offrent notamment un bilan de nos connaissances sur l’histoire des royaumes sereer du Siine et du Saalum, qui concerne directement notre propos. On remarquera que les sources les plus anciennes ne remontent guère au-delà du XIIIe siècle, soit à une époque contemporaine de la date admise pour la fin du phénomène mégalithique. Le recouvrement entre archéologie et ethnohistoire semble donc, a priori, très faible ou nul.
Rappelons brièvement la thèse que je défends.
Pour moi, les tumulus à pierre frontale, qui, dans les nécropoles, se situent souvent à la périphérie des zones occupées par les pierres frontales et sont particulièrement abondants dans le bassin du Saalum et du Bao Bolon, doivent être mis en relation avec les formations étatiques du Siine et surtout du Saalum. Ils signalent la prééminence politique des Gelwaar; ils sont donc tardifs et devraient se situer entre le XIVe et le XVIe siècle.
Les sépultures sous tumulus du Saalum et du Bao Bolon sont donc à mettre en relation avec le notion de monarchie d’Abdulay Bara Diop ou d’Etat marchand de ma classification (Diop 1981 ; Gallay 2011a et b, 2013) et pourraient concerner l’aristocratie de ces formations, enrichie par le commerce atlantique et la traite des esclaves. Dans ce cadre une régression du nombre des morts d’accompagnement devrait être attendue, étant donné la place qu’occupent désormais les esclaves dans le fonctionnement de la royauté (esclaves de la Couronne) et le commerce, une situation qui trouve aujourd’hui un début de confirmation dans les deux tumulus fouillés à Sine Ngayène (malheureusement non datés) (Holl, Bocum 2006 ; Holl et al. 2007). Les deux sépultures ne contenaient en effet chacune qu’un individu (fig. 8).
Je résumerai ici l’histoire des royaumes du Siine er du Saalum en me fondant sur les données du livre de Boulègue, complétées par d’autres travaux utilisés dans mes précédents travaux.
Le Sereer adoptent le rite funéraire sous tumulus. Depuis Delafosse, on admet que les Sereer sont originaires de la vallée du fleuve Sénégal et qu’ils auraient migré en direction du Siine dans le contexte des bouleversements causés par la poussée des Almoravides et la fin de l’empire du Ghana. Cette formation étatique s’effondre sous la pression des Berbères (prise de Ghana en 1076-1077), entraînant le refoulement vers le Sud des réfractaires animistes. A leur arrivée dans le Siine, les Sereer adoptent le rituel funéraire sous tumulus des Socé.
Une royauté d’origine étrangère se consolide au sud de la Gambie. Dans cette formation la transmission en ligne matrilinéaire du pouvoir est « expliquée » par l’union du conquérant étranger et d’une femme, soit d’origine locale, soit d’origine aristocratique malinké.
Un lieutenant de Sundiata Keyta, Tirimaxan Traoré ou Amari Sonko (selon Boulègue 2013)ou encore Tyira Magan Ba (selon Girard 1992), affronte les forces du Jolof et fonde un royaume malinké au sud de la Gambie, dit royaume du Gabou, qui jouit d’une certaine autonomie par rapport au Mali. Cette conquête n’est probablement pas postérieure à l’apogée du Mali (1300-1350 environ).
Selon Girard (1992) la légende de Balana/Balaba Sané (ou Ténéba/Ténemba Gassama), femme issue du Mandé, mais imprégnée des traditions locales beliyan, illustre le passage à une tradition matriarcale de transmission du pouvoir royal (d’oncle à neveu utérin). La nouvelle caste matrilinéaire manding des Nyantyo naît de l’union de cette femme avec les envahisseurs et devient détentrice du pouvoir royal dans l’empire animiste du Gabou (fig. 2). Certaines traditions fixent cette mutation sous Mansa Mamprong Sané, un descendant de Tyira Magan Ba. Une autre tradition considère que le premier Nyantyo est Mana Siri Bana Sané, fils de Tyiri Magan Ba et d’une femme beliyan nommée Sira Sané ou Tyira Sané. Au milieu du siècle suivant, les Européens constateront, en Gambie, l’existence de royaumes malinké dépendant encore de l’empire du Mali.
Des structures sociales originales apparaissent, fondées sur la fusion des traditions malinké et des traditions locales beliyan (terme désignant les Bassari, les Bedik, les Bedoyen et les Badyaranké actuels). Une structure étatique se superpose aux anciennes structures lignagères.
Les traditions de l’origine des Gelwaar reprennent les motifs des légendes de l’origine des Nyantyo du Gabou en reliant la lignée à l’empereur du Mali. La fille illégitime de Bayira Kéyta, elle-même fille de Soundiata, s’exile au Gabou accompagnée de son griot. Cette légende est parallèle à celle de l’origine des Nyantyo du Gabou et se réfère aux mêmes évènements historiques. Cette confrontation permet de fixer les limites de l’utilisation des mythes de fondation dans la reconstitution de l’histoire.
Une royauté d’origine étrangère dans le Siine adopte également la transmission matrilinéaire du pouvoir et les rites funéraires Sereer, elle s’ouvre aux traites esclavagistes et au commerce atlantique.
La description que fait Da Mosto des Sereer comme de peuples sans État et à faible hiérarchisation sociale ne s’applique pas aux Sereer du Siine (qui, comme le terme même de Barbacins l’indique, dépendaient d’un roi). Le royaume Sereer du Siine, voisin méridional des royaumes wolof et inclus dans le Grand Jolof à l’arrivée des Portugais, est concerné de beaucoup plus près par l’empire du Mali. Les Sereer se pourvoient en effet en rois sur la mode malinké. Issus de la caste royale des Nyantyo du Gabou, dont ils forment l’aristocratie, ces derniers prennent le nom de Gelwaar en conservant la matrilinéarité de la transmission du pouvoir. Le premier mansa gelwaar est Mayssa Wali Joon (Maissa Waly Dione), qui aurait fui le royaume du Gabou ou serait né au Siine même d’un fils du mansa nyantyo Soliman Koli.
Par la suite, les conquérants malinké adoptent la langue des Sereer et beaucoup d’institutions wolof. La fondation du Siine ne fut qu’une extension de l’empire du Mali au-delà de l’empire. Les listes dynastiques permettent de situer l’épopée de Mayssa Wali Joon entre 1350 et 1420 approximativement. Sous Wagane Faye, 3ème roi du Siine, les Gelwaar contrôlent à la fois la région proche de la côte et l’intérieur des terres. Les premiers règnes gelwaar ont eu pour conséquence une profonde réorganisation des peuplements, marquée par les nombreuses fondations de villages et les mouvements de populations que confirment les traditions villageoises.
L’histoire du Grand Jolof se superpose à celle des royaumes du Siine et du Saalum. L’entrée su Siine et du Saalum dans la mouvance du Grand Jolof, n’a pu avoir lieu qu’après la conquête du Siine par Maysa Wali Joon, soit dans la seconde moitié du XIVe siècle. La dernière phase, celle de la domination sur la rive nord de la Gambie, n’a pu avoir lieu que lors du déclin du Mali, au plus tôt, à la fin du XIVe siècle, peut-être au début du XVe siècle, peu avant l’arrivée des Portugais.
La chronologie de l’expansion du Jolof est donc la suivante :
– fondation du royaume du Walo : deuxième moitié du XIIIe siècle
– expansion sur le Jolof, le Kajoor et le Bawol : XIVe siècle
– Expansion sur le Siine et le Saalum : fin du XIVe ou début du XVe siècle
– Expansion sur la rive nord de la Gambie : première moitié du XVe siècle
– Dislocation : seconde moitié du XVe siècle.
Un substrat de chefferies traditionnelles. Dans la première moitié XVe siècle, des chefferies se forment au Saalum et en Gambie. La région entre les deux fleuves est placée sous l’autorité de chefferies comparables à celle du Siine traditionnel alors que des micro-états théocratiques islamiques dirigés par des marabouts peul occupent la rive droite du Saalum.
Lors de la période des contacts, les Portugais découvrent les côtes de Sénégambie entre 1444 et 1446. A cette époque, l’autorité du roi du Mali existe sur toute la rive méridionale du fleuve Gambie (Casamance et Gabou), alors que la rive Nord est sous la suzeraineté du Jolof. Le Portugais Da Mosto est accueilli d’une manière hostile dans l’estuaire du Saalum et à l’embouchure de la Gambie, mais à son second voyage, en 1456, il peut pénétrer et entrer en contact avec le roi du Bati.
La même année, Diogo Gomes remonte la Gambie jusqu’à Cantor. Peu de temps après, le Siine s’ouvre au commerce avec les Portugais. La province se trouve ainsi très tôt en possession d’un port où, en 1460, Diego Gomes rapporte l’échange d’esclaves contre des chevaux. Il nomme ce port Zaza. Quel que fût l’emplacement de Zaza, le commerce entre le Siine et le Portugal y était fort actif dès 1460. De son côté le Portugais Pacheco Pereira décrit avec précision le Rio dos Barbacins (le Saaloum) comme point de traite, mais ne mentionne pas de royaume dans cette région. Les indications données par Pereira doivent être antérieures à la formation du royaume du Saaloum ou contemporaines des troubles qui ont précédé cette conquête.
Développement du commerce atlantique. Extension de la royauté au Saloum et diffusion possible du rite funéraire sous tumulus.
Dans la deuxième moitié du 15ème siècle le Jolof ne contrôlait plus le Siin. Au début du 16ème siècle, Mbagaan Nduur (Mbégane Ndour), roi du Siin et contemporain de Koli Tengela, intervient dans le Saalum et crée un second royaume.
Le Siin et le Saalum profitent du commerce atlantique.
Les échanges se font obligatoirement par le fleuve, qu’il fallait remonter sur une certaine distance. La traite mentionnée par Pereira dans le rio dos Barbacins peut s’appliquer aussi bien au royaume du Saalum qu’au royaume du Siin. Les vingt lieues indiquées par l’auteur nous conduisent aux environs de Kaolak (112 km de la mer), sur le Saalum tandis que le Sine n’est pas navigable sur une aussi longue distance. Avec l’affermissement de la monarchie gelwaar sur le pays, le commerce prend un essor dont avons connaissance avec Almada. En 1576, celui-ci se trouvait auprès du roi du Saalum pour lui acheter des esclaves ; il nous indique plus loin que c’est la région la plus sûre de toute la Guinée et que les rois de ce pays sont traditionnellement favorables aux commerçants portugais.
Alors que le Grand Jolof se disloque (1549 – 1575), le Saalum étend son emprise vers le Sud et contrôle désormais la moitié de la rive nord de la Gambie.
Dès le début, les échanges atlantiques provoquent une rupture d’équilibre entre les communautés rurales, dirigées par des laman, et le pouvoir royal. Bénéficiaires des échanges, les souverains sont désormais en mesure d’accroître leur puissance et leur pouvoir. La centralisation fait des progrès au détriment des Laman. Ce n’est là qu’un simple début.
L’influence manding s’étendra par la suite au nord du fleuve Gambie avec la création des royaumes du Nioni et du Badibou, fondés au détriment du royaume du Saloum.
Lors du développement du commerce atlantique on constate une extension de la royauté au Saalum (Boulèghue 1966) et la diffusion possible du rite funéraire sous tumulus.
Dans la deuxième moitié du XVe siècle le Jolof ne contrôlait plus le Siine. Au début du XVIe siècle, Mbagaan Nduur (Mbégane Ndour), roi du Siine et contemporain de Koli Tengela, intervient dans le Saalum et crée un second royaume. Le Siine et le Saalum profitent alors du commerce atlantique.
Les échanges se font obligatoirement par le fleuve, qu’il fallait remonter sur une certaine distance. La traite mentionnée par Pereira dans le rio dos Barbacins peut s’appliquer aussi bien au royaume du Saalum qu’au royaume du Siine. Les vingt lieues indiquées par l’auteur nous conduisent aux environs de Kaolak (112 km de la mer), sur le Saalum tandis que le Sine n’est pas navigable sur une aussi longue distance. Avec l’affermissement de la monarchie gelwaar sur le pays, le commerce prend un essor dont avons connaissance avec Almada (1654). En 1576, celui-ci se trouvait auprès du roi du Saalum pour lui acheter des esclaves ; il nous indique plus loin que c’est la région la plus sûre de toute la Guinée et que les rois de ce pays sont traditionnellement favorables aux commerçants portugais.
Alors que le Grand Jolof se disloque (1549 – 1575), le Saalum étend son emprise vers le Sud et contrôle désormais la moitié de la rive nord de la Gambie. Dès le début, les échanges atlantiques provoquent une rupture d’équilibre entre les communautés rurales, dirigées par des laman, et le pouvoir royal. Bénéficiaires des échanges, les souverains sont désormais en mesure d’accroître leur puissance et leur pouvoir. La centralisation fait des progrès au détriment des Laman. Ce n’est là qu’un simple début.
L’influence manding s’étendra par la suite au nord du fleuve Gambie avec la création des royaumes du Nioni et du Badibou, fondés au détriment du royaume du Saalum.
Nous avons pour les périodes récentes, d’un côté, une histoire bien connue, emblématique des dynamiques qui peuvent affecter les sociétés ouest-africaines précoloniales et, de l’autre, des sépultures particulières. Comment ces deux types de données n’ont-ils jamais été confrontés, comme si les populations historiques n’enterraient jamais leurs morts et comme si les sépultures relevaient d’une réalité autonome, dénuée de tout contexte historique, social et politique humain ?
Je suis parfaitement conscient que le scénario que je défends ne relève que de l’hypothèse. Mais l’intérêt de cette démarche est que la proposition peut être parfaitement testée et (in)validée en datant les tumulus à pierres frontales et en repérant dans les mobiliers funéraires des objets qui pourraient relever du commerce avec les Portugais. Comment se fait-il que, depuis trente ans, aucun archéologue n’ait jamais cherché à répondre à cette question essentielle pour l’histoire du Sénégal ? Rappelons que nous l’avions posée dès les années 80, mais que nous n’avions pas pu obtenir de dates C14 pour l’érection du tumulus 43 de Santhiou Kohel.
Le sujet de la datation de sépultures sous tumulus avec pierres frontales été à nouveau soulevée par Adrien Delvoye (à paraître) dans sa thèse, un point qui nécessite une discussion approfondie. Il concerne la nouvelle datation du tumulus 43 proposée, qui, s’il fallait l’accepter, remettrait en cause une grande partie des scénarios historiques que nous proposons pour expliquer l’apparition de ce type de sépulture dans la région du Bao Bolon et qui a fait l’objet de plusieurs publications (par ex. Gallay 2006, à paraître). Nous pouvons néanmoins montrer que l’interprétation historique qui est la nôtre peut être préservée.
Dans sa thèse Adrien Delvoye (à paraître) propose, sur la base des données du site mégalithique de Wanar situé à peu de distance de Santhiou Kohel, une réévaluation des datations du cercle 15 et du tumulus 43 fondée sur la chronologie de la céramique qu’il a pu établir à Wanar selon une argumentation qu’il résume ainsi :
« L’ensemble de ces données suggèrent ainsi une légère mais significative différence typologique entre les assemblages du cercle mégalithique n° 15 et du tumulus n° 43. La mise en phase avec la séquence céramique de Wanar suggère ainsi que les productions liées au tertre funéraire à pierre frontale à bouton sont contemporaines de son horizon III, soit aux environs des XI1eet XIIesiècles de notre ère. Cette architecture funéraire serait donc légèrement antérieure au cercle mégalithique 15, un monument de type B dont la production céramique représentée au sein de poteries entières coïncide avec l’horizon II de Wanar, placé entre les XIIIeet XIVes. de notre ère. » (p. 671).
L’enjeu est de taille au regard des interprétations historiques que je propose pour le tumulus 43. Je peux répondre ici à la proposition de Delvoye sous la forme d’une argumentation présentée sous forme logiciste. Cette démonstration un peu technique montre comment il convient de mobiliser sources historiques et archéologiques.
P1. J’accepte les expertises d’Adrien Delvoye concernant le rattachement du matériel du cercle 15 à l’horizon II correspondant aux cercles à monolithes trapus et celui du tumulus 43 à l’horizon III de Wanar correspondant à des monolithes élancés.
L’analyse du matériel de Wanar constitue en effet une référence incontournable et parfaitement argumentée pour la chronologie de la céramique mégalithique sénégambienne.
Deux ensembles de propositions permettent néanmoins de rejeter l’interprétation chronologique avancée par l’auteur pour le tumulus 43.
La première est une proposition centrale forte comprenant deux volets (P2 et P3) :
P2. Le matériel contenu dans le tumulus, rattaché à l’horizon III, ne permet pas de dater le monument.
Nous pouvons donc conserver l’hypothèse d’une datation tardive pour ce monument et donc les interprétations historiques que nous avons proposées à ce jour.
Car :
Traditions du terroir
Des analogies entre les rituels funéraires des cercles mégalithiques sénégambiens et les traditions du terroir, décrites notamment par Luc Laporte (Laporte et al.,2018), permettent de proposer un rattachement des mégalithes sénégambiens à cette famille atlantique et, comme démontré, une date relativement ancienne.
Traditions tumulaires primitives
Les tumulus caractérisent essentiellement des populations sahéliennes des groupes mandé et atlantique septentrionaux pour lesquelles on a décrit des formations étatiques. Les tumulus les plus imposants semblent liés au groupe mandé et présentent donc une connotation tardive, l’impact de l’empire du Mali s’étant manifesté tardivement dans l’ouest, notamment au Sénégal.
Traditions tumulaires dérivées
Les traditions tumulaires de la famille atlantique septentrionale, notamment les traditions sereer peuvent être considérées comme des émanations récentes du monumentalisme mandé dont les circonstances historiques sont bien connues à travers la formation du royaume du Saalum.
Ce groupe atlantique septentrional (Wolof et Sereer) se caractérise par des constructions plus modestes. Ici, comme dans les traditions tumulaires primitives, les masses de terre peuvent recouvrir des constructions qui sont souvent simplement des toits de cases déplacés permettant éventuellement un accès ultérieur à l’espace funéraire, cela pendant un temps limité. On peut donc proposer une filiation entre tradition tumulaire primitive d’origine mandé et tradition tumulaire dérivée dont le scénario reste à préciser au plan monumental.
Les zones méridionales voient disparaître les tumulus. Alors que la coutume de mettre à mort des dépendants reste relativement discrète en zone sahélienne dans les formations étatiques, nous assistons par contre à de véritables hécatombes dans les sociétés non étatiques de la zone forestière, que ce soit les îles Bissagos ou l’ancienne Côte d’Or. Ce contraste conforte ce que nous disons de l’importance de l’État dans la limitation du nombre des individus mis à mort lors des funérailles.
Selon Delvoye la poterie 1, une jatte à pâte blanche, est typologiquement identique à certains exemplaires de la production à pâte blanche de l’horizon III.
Mais : cette poterie ne comporte pas d’éléments diagnostiques formels déterminants dans la perspective d’une attribution fondée sur la sériation de Wanar.
Selon Delvoye la poterie 2, dont le dépôt est plus tardif, est une jatte à pâte noire et impression TCR (roulette de cordelette torsadée), à torsion en S, qui peut être rattachée à l’horizon IIcoïncidant avec l’adoption massive des roulettes TCR à torsion en Z.
Mais : cette poterie est en fait à pâte rouge et on rappellera que nous l’avions assimilée au type 20 de notre série G, ce qui renvoie à la question de la place de cette série dans l’histoire de la sépulture (cf infra) (Gallay 2010-1).
P3. L’origine du matériel remanié dans le tumulus reste donc inconnue.
Il est possible qu’il s’agisse d’un matériel primitivement en relation avec des dépôts rituels de certains cercles de la nécropole de type A (cercles 7 ou 9 par exemple ?). Il semble en effet que les matériaux céramiques associés aux maisons funéraires contemporaines des inhumations soient largement détruites au moment de l’édification des monuments funéraires définitifs à l’occasion des grandes funérailles.
Cette analyse peut être complétée par trois propositions dites faibles, indépendantes, qui concernent le statut chronologique à accorder au décor imprimé roulé à l’aide d’un cylindre de bois donnant des motifs de chevrons (BCHEV). Cette interprétation est dite faible car elle entre partiellement en contradiction avec l’idée que la masse tumulaire ne comporte que des matériaux antérieurs au processus funéraire à l’origine du tumulus, mais ne remet pas en question les propositions P1 à P3.
P4. Les poteries à décor en chevrons constituent un matériel intrusif tardif contemporain du processus funéraire ayant mené à l’édification du tumulus.
Celles-ci peuvent être interprétées comme les vestiges des poteries disposées en offrande autour de la maison des morts au moment des inhumations. Ce type de décor est donc remanié dans la masse du tumulus au même titre que le reste du matériel, mais l’écart chronologique qui sépare son utilisation première de ce dépôt est probablement plus court que pour le matériel attribué à juste titre à l’horizon III de Wanar. Cette interprétation ne contredit donc pas le postulat avancé pour la signification du matériel contenu dans les masses tumulaires.
Car :
P5. Ce décor de chevrons est d’origine certainement plus ancienne, mais ne trouve son plein développement qu’à l’époque de l’édification du tumulus 43.
Car :
– A Wanar, la présence de ce type de décor est extrêmement discrète : quelques tessons isolés sur plusieurs milliers (7028) et absence de ce décor sur les 57 poteries complètes décrites. Cette situation témoigne de son l’ancienneté, mais sa position est totalement marginale dans le développement des traditions céramiques de cette nécropole.
– L’ancienneté de ce décor est confirmée par les quelques tessons trouvés en avant du cercle 15.
P6. La soudaine augmentation de ce type de décor témoin de l’édification des tumulus dans la région pourrait avoir accompagné l’installation d’une nouvelle caste de potières qui auraient développé auparavant leur activité dans des zones géographique externes (le Saalum ?).
Cela expliquerait la présence de poteries portant ce type de décor en faible quantité aux périodes anciennes, présence due à des transferts marchands à partir de centres de production extérieurs. Ce modèle est parfaitement validé par ce que nous savons de la diffusion des poteries dans un régime d’économie à marchés périphériques (Gallay 2010a, 2012, 2014).
P7. L’acceptation de la proposition 2 redonne donc une actualité à la question de l’origine, non résolue, d’une partie du matériel remanié qui devait se trouver dans le sol entourant le tumulus.
Nous avions marginalisé cette question en attribuant l’ensemble de ce matériel au remaniement des matériaux associés à la cabane funéraire primitive ce qui ne peut plus être accepté aujourd’hui.
Rappelons que la question d’un matériel contenu dans le sol des nécropoles avait déjà posé un problème à Delvoye dans le cadre de la nécropole de Wanar.
Dans cette perspective le statut fonctionnel de l’horizon IV dit « prémégalithique » n’est pas discuté par l’auteur qui adopte tout au long de son travail une vision essentiellement descriptive selon la séquence compilation (Cc) – ordination (Ct) en marginalisant les préoccupations interprétatives (Ce), ce qu’on ne saurait lui reprocher. On peut néanmoins se demander si cet ensemble ancien ne pourrait pas être mis en rapport avec la phase d’installation des sépultures qui seront par la suite surmontées des cercles de type A. Ces poteries auraient alors joué le rôle d’offrandes déposées aux environs des maisons funéraires. Mais alors, quid de la situation observée pour les monuments de type B qui devraient logiquement révéler les traces de pratiques similaires pour des poteries stylistiquement distinctes, ce qui ne semble pas être le cas.
Le rejet de cette hypothèse nécessiterait que l’on propose d’autres pistes pour expliquer l’origine de ces matériaux, une question comparable à celle sur laquelle nous avions buté lors de notre première analyse de la céramique de Santhiou Kohel.
La question ne pourra être tranchée que lorsque nous disposerons d’un ensemble de datations C14 pour les tumulus. Nous avons appelé de nos vœux depuis longtemps ce type d’enquête mais nous n’avons semble-t-il pas été entendu par la communauté scientifique. L’interprétation proposée par Delvoye montre aujourd’hui que cette question revêt une certaine urgence. Nous attendons donc beaucoup des nouvelles fouilles du tumulus de Soto près de Kaffrine initiées par Luc Laporte, un monument d’où provient la pierre-lyre conservée au Musée du quai Branly à Paris. Les premières observations (2018) montrent déjà que le tumulus est constitué, comme à Santhiou Kohel d’un emboîtement de plusieurs couvertures.
Ci-dessous quelques illustrations concernant les rituels funéraires sereer
ALMADA A. A, de 1654. Tratado breve dos rios de Guiné do Cabo Verde dês do Rio Sanagá até os baixos de Santa Ana de todas as naçoes de negros que há na dita costa e de seus costumes, armas, trajos, juramentos, guerras. Ano 1594. Lisbon : Editorial LIAM.
BECKER C., MARTIN V., 1982. Rites de sépulture préislamiques au Sénégal et vestiges protohistoriques. Archives suisses d’anthropologie générale (Genève), 46, 2, p. 261-293.
BOCUM H. 2000. L’âge du fer au Sénégal : histoire et archéologie. Dakar, IFAN, Cheikh Anta Diop, Nouakchott, CRIAA.
BOULÈGUE J., 1966. Contribution à la chronologie du royaume du Saalum. Bulletin de l’Institut fondamental d’Afrique noire : série B, sciences humaines, 28, p. 657-662.
BOULÈGUE J. 2013 Les royaumes wolof dans l’espace sénégambien (XIIIe-XVIIIe siècles). Paris : l’Harmatan.
CROS J.-P., LAPORTE L., GALLAY, A., 2013. Pratiques funéraires dans le mégalithisme sénégambien : décryptages et révisions. Afrique, Archéologie, Art (Paris), 9, p. 67-84.
DELVOYE A. à paraître. Les productions céramiques protohistoriques de l’aire mégalithique sénégambienne dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest aux Ieret IIemillénaire de notre ère.2 vol. Thèse Université Paris I, Panthéon Sorbonne.
DIOP A. B., 1981, La société wolof, tradition et changement : les systèmes d’inégalité et de domination. Paris : Karthala.
GALLAY A., 2006. Le Mégalithisme sénégambien, une approche logistique. In : Descamps C., Camara A., (éds), Senegalia, Études sur le patrimoine ouest-africain, Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, p. 205-223.
GALLAY A. 2010a. Les mécanismes de diffusion de la céramique traditionnelle dans la boucle du Niger (Mali) : une évaluation des réseaux de distribution. In : Manen C., Convertini F., Binder D. et al.(éds). Organisation et fonctionnement des premières sociétés paysannes : structure des productions céramiques. Séance SPF, Toulouse, mai 2007. Paris : Société préhistorique française (Mémoires de la Société préhistorique française).
GALLAY A., 2010b. Rites funéraires mégalithiques sénégambiens et sociétés africaines précoloniales : quelles compatibilités ? Bulletin et mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, 22, 6-10, p. 42-61.
GALLAY A., 2011a. De mil, d’or et d’esclaves : le Sahel précolonial. Presses polytechniques et universitaires romandes, Le Savoir suisse : histoire.
GALLAY A., 2011b. les sociétés mégalithiques, 2ème édition, collection le Savoir Suisse, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, EPFL, Robex Learning Center, CP 119, 1015 Lausanne.
GALLAY A. & HUYSECOM, E., MAYOR, A., GELBERT, A. collab. 2012.Potières du Sahel : à la découverte des traditions céramiques de la boucle du Niger (Mali). Gollion : Infolio.
GALLAY A., 2013. Approche cladistique et classification des sociétés ouest-africaines: un essai épistémologique. Journal des Africanistes (Paris), 82, 1-2, p. 209-248.
GALLAY A. 2014. La diffusion de la céramique dans éa plaine du Séno enPays dogon (Mali) : un modèle pour une économie à marchés périphériques ? In : Bullinger J., Crotti P., Huguenin C. (éds). De l’âge du Fer à l’usage du verre : mélanges offertsàgilbert Keanl,. Dit « Auguste », à l’occasion de son 65èmeanniversaire, p. 89-98.
GALLAY A. à paraître. Des tumulus dans les nécropoles mégalithiques sénégambiennes : un état de la question. In : Bocum H., Laporte L. (éds). Paysages mégalithiques du Sénégal et de la Gambie.Éditions État du Sénégal et Tautem, Chapitre 3.
GALLAY A., PIGNAT G., CURDY P., 1982. Mbolop Tobé (Santhiou Kohel, Sénégal) contribution à la connaissance du mégalithisme sénégambien. Archives suisses d’anthropologie générale, 46, 2, p. 217-259.
GIRARD J., 1992. L’or du Bambouk : une dynamique de civilisation ouest- africaine : du royaume de Gabou à la Casamance. Genève : Georg.
HOLL A., BOCUM H., 2006. Variabilité des pratiques funéraires dans le mégalithisme sénégambien : le cas de Siné-Ngayène, in : Senegalia, Études sur le patrimoine ouest-africain, Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, p. 224-234.
HOLL A.F.C., BOCUM H., DUEPPEN S., GALLAGHER D., 2007. Switching mortuary codes and ritual programs : the Double-monolith-Circle from Siné-Ngayène, Sénégal. Journal of African Archeology, 5, 1, p. 3-24.
LAPORTE, L., CROS, J.-P., BOCOUM, H., TEIXEIRA, M. 2018. Mégalithes du Sénégal : l’hypothèses de rites funéraires différés. Journal des Africanistes88, 1, 118-147.
THILMANS G., DESCAMPS C. 1974. Le site mégalithique de Tiékène-Boussoura (Sénégal) : fouilles de 1973-1974. Bulletin de l’IFAN, B, 36, 3, p. 447-496.