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Aux sources d’un destin familial
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Le livre Jade est un magnifique ouvrage, résultat d’un travail collectif dominé, sur le plan interprétatif par Pierre Pétrequin et Serge Cassen. Deux points forts dominent la réflexion :
– Le jade est une roche sacrée susceptible d’être fortement investie sur le plan idéel.
– La civilisation des tumulus carnacéens correspond à une société « royale ».
Lors de la conclusion du colloque Jade j’étais resté sceptique sur le caractère royal de la société carnacéenne. J’admettais alors que l’ensemble des sociétés mégalithiques ouest-européennes pouvait être regroupé sous le terme de sociétés à richesses ostentatoires, une position critiquée par Pierre Pétrequin (Gallay 2006). Nous aimerions donc ici : 1. Mieux comprendre comment les données ethnographiques sont mobilisées avec autant de pertinence par les auteurs de Jade. 2. Réévaluer ici deux notions : celle de société à richesses ostentatoires et celle de bien de prestige, terme jugé également inadéquat pour désigner les grandes haches en jade.
Je compléterais cette analyse en reprenant mes réflexions sur la notion de bien de prestige présentée au colloque de Yenne en 2009. Ce travail n’a en effet fait l’objet que d’une publication dans une revue confidentielle (Gallay 2010).
L’analyse de Jade proposée ici s’écarte quelque peu de l’orthodoxie afin de permettre une lecture plus facile des propositions : Ces dernières ont été réunies par paquets selon leurs proximités (carrés du schéma de la figure 1). Les niveaux d’intégrations sont d’autre part limités à quatre : observations, modalités de transfert des jades, problèmes taxonomiques, types de sociétés. L’analyse ne mobilise pas toute l’information du livre, extrêmement riche, mais uniquement les éléments jugés pertinents par rapport aux objectifs posés. Je me suis également permis quelques écarts pour mieux faire cadrer la démonstration avec mes propres réflexions. L’analyse logiciste est en effet un exercice de réécriture qui peut prendre quelques distances par rapport au texte original.
Jade constitue à mes yeux un modèle pour une utilisation judicieuse des données de l’ethnologie en archéologie. Nous pouvons distinguer deux composantes :
Fig. 1. Analyse logiciste des composantes de jade concernant les notions contestées de « biens de prestige » et de « sociétés à richesses ostentatoires ».
Analyse logiciste de Jade : liste des propositions
On explicite ici les diverses propositions organisées selon le schéma de la figure 1.
Un premier lot d’observations concerne la Franche-Comté avec notamment la découverte des exploitations de pélites-quartz des Vosges, une identification déjà ancienne, mais qui prend désormais toute sa signification par rapport au contexte européen.
– L’exploitation des pélites-quartz de Plancher-les-Mines illustre un cas « normal » de haches et herminettes destinées à des tâches techniques et à la reproduction matérielle des sociétés, notamment le défrichement de la forêt, la construction de habitations et le façonnage de divers outils (Pétrequin, Jeunesse 1995).
– L’exploitation impliquait plusieurs dizaines d’hommes, dont de véritables spécialistes.
– La mise en en forme des ébauches était affaire de spécialistes.
– Les camps de la Trouée de Belfort correspondent à des habitats ayant un accès direct aux carrières à 25-60 km des villages.
– Les ébauches sont encore fréquentes dans un cercle de 60 à 110 km, très rares entre 110 et 200 km. Les lames polies circulent en faible nombre au delà de 200 km.
– Les pélites-quartz représentent 90 à 100% des haches dans un cercle de 60 km, 70 à 90 % à 90 km, 50 à 70% à 110 km. 20 à 50% à 180 km et moins de 25% au delà de 180 km. Cela est compatible avec une courbe down-the-line, mais avec des fluctuations (représentant des places centrales ?).
– La décroissance est orientée selon des réseaux complexes et instables.
– On ne peut distinguer échanges marchands et non marchands.
– Trois modèles sociaux peuvent expliquer la diffusion de la pélite-quartz :
1. Échanges marchands : production de lames taillées non socialement valorisées, 2. Échanges non marchands : transferts avec retours de biens non identifiables,
3. Dons : dons cérémoniels d’ébauches.
Un second ensemble d’observations découle de l’engagement de Pierre et Anne-Marie Pétrequin sur les terrains particulièrement difficiles de West Papoua. Ces observations ethnologiques portent notamment sur l’exploitation des roches destinées à la fabrication des haches polies et sur l’insertion de ces objets dans le tissu politique et social.
– Les haches à lames polies ne sont pas seulement des outils d’abattage ou, parfois, des armes, mais également des signes sociaux (Pétrequin, Pétrequin 1993, 2006).
– L’extraction et le travail de certaines roches communes demandent un niveau de savoir-faire plutôt faible à la portée de tous les hommes.
– L’extraction et le travail des roches les plus tenaces demandent un haut niveau de savoir- faire et sont prises en charge par des spécialistes à temps partiel.
– Le production des haches polies implique une composante rituelle essentielle.
– Les divers stades de mise ne forme d’une ébauche sont dispersées dans l’espace.
– La direction prise par la diffusion des haches dépend de contraintes sociales.
– Les roches utilisées pour la confection des haches polies proviennent le plus souvent de carrières et non de galets de rivière.
– Le système où les produits circulent à longue distance sans pouvoir être retenus correspond à des situations de sociétés relativement égalitaires (fonctionnement de type down-the-line).
– Les transferts à moyenne distance sont réglés par la demande sociale (paiements compensatoires en relation avec la résolution de certains conflits, alliances matrimoniales).
– La présence d’ébauches loin des carrières parle en faveur d’une production épisodique par des spécialistes.
– Il y a deux types de surpolissage, un surpolissage à vocation technique et un surpolissage à valeur sociale et idéelle.
Les populations situées à proximité du lac Sentani appartiennent aux basses terres proches de la côte septentrionale de West Papoua et offre une image radicalement différente de celle des populations des hautes terres.
« En aucune manière les ondoafi de la culture Sentani ne peuvent être comparés aux leaders de guerre des Hautes terres de Nouvelle-Guinée, ni aux « entrepreneurs » du type Big man. » (p. 1408)
– Sentani : la société est composée de deux moitiés (de la Terre et de l’Eau) comportant plusieurs lignages. La moitié de la Terre est dominante (maîtres de la Terre).
« Une inégalité sociale est marquée entre les lignages et surtout entre une moitié (dite de la Terre, où les hommes sont considérés comme les anciens propriétaires du sol) et une moitié de la Mer (regroupant, dit-on, les lignages arrivés tardivement par bateau). » (p. 1408)
– Sentani : absence de propriété de la terre.
– Sentani : pas de mobiliers funéraires.
– Sentani : pas de tributs.
– Sentani : Monumentalité. La maison des hommes a également une fonction religieuse.
– Sentani : l’habitat est structuré en hameaux.
– Sentani : certains chefs de lignages dominants exhibent des lames de haches en roches tenaces fortement polies, non emmanchées.
– Sentani : certaines haches surpolies et anneaux divers, propriétés du lignage dominant participent à des échanges spécifiques à l’aristocratie.
– Sentani : les haches polies entrent dans les compensations matrimoniales, le prix du sang et les dons entre élites.
« Les paiements des compensations matrimoniales et du prix du sang comportent systématiquement des haches polies, de la viande de porc et des produits du jardin. En particulier pour le paiement des dots, des centaines de haches polies circulent entre les hameaux. » (p. 1408)
– Sentani : Les échanges à longue distance, contrôlés par les chefs (Ondoati), sont peu importants.
« Les biens qu’ils (les ondoafi) peuvent recevoir au retour de la chasse ou lors de la réception de partenaires sont rapidement redistribués au point qu’ils vivent parfois chichement. Quant aux milliers de haches qui circulent dans les groupes sentani, essentiellement sous forme de paiements compensatoires, elles sont à peu près également représentées dans tous les villages ; ce sont de plus des biens transmis d’une génération à l’autre sans jamais figurer dans les mobiliers funéraires. » (p. 1408)
L’une des retombées les plus spectaculaires des connaissances acquises en West Papoua est la découverte dans les Alpes des exploitations de jade du Mont Viso, un matériau qui s’insère à l’échelle européenne dans de vastes réseaux d’échanges et de diffusion.
– Les exploitants spécialisés du jade appartiennent à des communautés installées aux pieds des deux versants des Alpes.
– Les gites du Mont Viso, entre 1700 et 2400 m, ne sont accessibles qu’en été.
– L’extraction des roches est répartie entre des exploitations dispersées de roches communes (tous les hommes) et des exploitations de roches tenaces concentrées autour de certains abris (spécialistes).
– La production de haches du Viso est très faible, au maximum 18 exemplaires par an, probablement moins.
– La diffusion des jades alpins est orientée à l’opposé des influences balkaniques.
– La diffusion des haches en Europe s’oppose au domaine balkanique avec ses grandes nécropoles de tombes riches, ses véritables temples-sanctuaires, ses sacrifices animaux et humains, sa métallurgie du cuivre où des lignages privilégiés auraient occupé le haut de la pyramide sociale.
– Les longues haches ne figurent pratiquement jamais dans les sépultures, à l’exception de la Bretagne.
– La plupart des haches en jade sont des découvertes isolées hors habitats et tombes dans des lieux où elles semblent avoir été respectées loin du monde des hommes.
– Les dépôts de paires de haches (ou leurs figurations) ont probablement des significations différentes de celles des dépôts comprenant un plus grand nombre d’exemplaires.
– Les dépôts de haches sont souvent liés à des abris sous roches ou des zones aquatiques ou humides, fonctionnant comme des zones de contact entre le profane et le sacré.
– La bas niveau de production des haches en jade et les difficultés techniques de son travail permettent d’avancer l’idée que le jade est un produit rare et précieux.
La Bretagne offre à la fois l’une de plus forte concentration de haches de jade et une association avec des monuments prestigieux qui interrogent sur la nature des sociétés capables de générer une telle richesse.
– Bretagne : Il existe un lien organique entre les tombeaux monumentaux et les dépôts de haches associés aux menhirs.
– En Bretagne la hache est devenue un objet-signe, conçu comme symbole en tant que lame isolée ou insérée dans des emmanchements non fonctionnels.
– Les tumulus carnacéens constituent un phénomène unique en Europe.
– Bretagne : les grandes haches en éclogites et jadéites trouvées dans les tombes ont été cassées et brûlées. Il s’agit d’une procédure inversée du processus d’extraction.
– Bretagne : 70% des fractures observées sur les haches provenant des tombes ont été pratiquées pour se débarrasser du tranchant, soit de la partie jugée dangereuse.
– Bretagne : les grandes haches de jade trouvées dans les tombes sont le plus souvent intactes.
Les données compilatoires de la construction sont complétées par un certain nombre de règles considérées comme transculturelles, issues de l’ethnologie et de l’ethnohistoire.
– Dans de nombreuses cultures les objets en roches tenaces servent aux paiements compensatoires, au rééquilibrage des rapports sociaux, à la conclusion d’alliances, à offrir ou consacrer aux dieux ou aux puissances surnaturelles, en résumé à faire face à ses obligations sociales ou religieuses.
– dans de nombreuses cultures le jade est une pierre sacrée :
Chine : roche d’éternité, d’immortalité et de jeunesse se retrouvant dans les sépultures les plus riches,
Chine : offrande du jade à l’Eau sacrée et à la Montagne,
Maoris : jade donné pour sceller des accords entre personnages importants.
– On trouve de très nombreux objets précieux dans les tombes royales.
– La distance aux sources d’origine du jade augmente en fonction du caractère inégalitaire des sociétés selon un certain continuum, de la Nouvelle Guinée (200 km) à la Chine (Birmanie 2200 km, Turkestan 4000 km).
– Natchez
– Présence d’un souverain héréditaire secondé par son frère ayant charge de chef de guerre. Autorité despotique.
« Le fonctionnement rituel est entièrement soumis à un souverain héréditaire, Le Soleil (dit Grand Soleil), tandis que son frère (dit Serpent tatoué) organise la vie de la société et les guerres. » (p. 1411)
« Cette bipolarité du pouvoir partagé (…) est une tendance intéressante dans des conceptions où les souverains ne sont jamais considérés comme des dieux et ne peuvent prétendre être les descendants de Puissances surnaturelles qui dominent le monde. » (p. 1412)
« Mais à l’évidence ce ne sont pas des dieux et la vénération dont ils font l’objet n’est pas la même que celle offerte aux puissances surnaturelles (…). Pour les personnages hors normes dont nous parlons, leurs corps sont finalement placés dans un temple ou bien dans un mausolée qui n’est pas un sanctuaire ; leurs possessions personnelles sont pour partie seulement utilisées comme viatique funéraire, tandis que d’autres sont transmises par héritage. » (p. 1412)
– Habitat dispersé avec centre cérémoniel ne comprenant que quelques habitations et deux grands mounds.
– Pas de propriété individuelle de la terre.
– Société hiérarchisée avec nobles et peuple.
– Échanges à longue distance de biens précieux entre élites (pipes en stéatite).
– Mobiliers précieux dans les tombes des deux chefs et morts d’accompagnement.
Funérailles de Serpent tatoué : « Autour de son lit étaient présentés tous les calumets de la paix qu’il avait reçu de son vivant : la plupart de ces objets sont déposés dans sa tombe à l’intérieur du temple, tandis que plusieurs de ses proches sont étranglés et mis en terre à proximité (…). Plus tard lorsque les os du défunt Grand Soleil sont exhumés pour être placés dans le temple, d’autres proches se suicident en signe de dévotion.» (p. 1412)
– Tonga
– Société fortement hiérarchisée sans esclavage.
– Présence d’un chef suprême sacré.
« Cette société centralisée où le chef suprême, le Tu’i Tonga, était considéré « d’un rang exalté », « sacré », « trop tabou » pour que les tongiens puissent avoir affaire directement à lui » (…) pourrait être un des aboutissements poussé à l’extrême des « chefferies polynésiennes » (p. 1408)
« Il existe donc un lien entre le « divin », le chef et les produits de la terre, et les mythes se chargeant d’en préciser la nature (…). C’est également dans ce sens que peuvent être expliqués les privilèges et les honneurs liés à la charge sacrée du Tu’i Tonga qui présidait le grand rituel au cours duquel les plus grands chefs présentaient les fruits de la première récolte. » (p. 1410)
– Système élaboré au profit des élites.
– Chef inhumé dans de grands mausolées à entourage de blocs taillés.
– Mobiliers funéraires précieux dans les tombes (dents de cachalots, nattes).
– Objets précieux (dents de cachalots) réservés aux chefs.
– On distingue dans les transferts de richesse : des échanges marchands en fonction des spécialisations insulaires, des échanges cérémoniels comprenant également de la nourriture, des trésors transmis héréditairement, des richesses accompagnant les morts de haut rang, des possessions précieuses consacrées aux dieux,
– L’habitat est dispersé. Le centre est limité à un centre cérémoniel doublé d’une nécropole à grands monuments et d’une enceinte fortifiée.
– Il n’y a pas de propriété individuelle de la terre.
Certaines hypothèses sont proposées quant aux modalités de transfert des jades en Europe.
– La production des haches en roches tenaces est maintenue sous un certain seuil afin de valoriser les produits à travers une offre inférieure à la demande.
– La densité des jades en Europe de l’Ouest ne diminue pas régulièrement depuis le Viso mais présente des concentrations correspondant à des zones de forte densité humaine, sur de bonnes terres agricoles.
– Les transferts des produits en roches tenaces ne semblent pas perdre de puissance tandis qu’augmente la distance aux carrières.
– L‘intensité et la finesse du polissage croît en fonction de la distance aux carrières.
– Les concentrations de haches correspondent à des transferts contrôlés par des élites régionales dans un contexte social fortement inégalitaire (Cerny par exemple).
– Dans chaque zone de concentration les jades étaient repolis pour correspondre aux standards esthétiques locaux.
– Le processus de repolissage des haches s’arrête au Morbihan où la hache s’intègre dans une véritable grammaire religieuse.
– Les grandes lames de jade polies ne sont pas des biens de prestige, des biens cérémoniels ou des biens rituels.
« L’idée que seul le prestige des grandes haches soit directement le but recherché doit être abandonnée, d’autant que la circulation des lames polies pour des paiements compensatoires (Nouvelle Guinée) ou des fonctions ostentatoires (Kula) ou compétitives (Potlatsch dans la conception de Boas) aurait conduit à des répartitions très différents de celles observées pour les jades alpins ». (p.1414)
– La circulation des grandes haches pour des paiements compensatoires, des fonctions ostentatoires ou des échanges compétitifs auraient produit des répartitions différentes.
– Les grandes haches signes sont affectées au sacré et au surnaturel.
– La diffusion des haches est en relation avec les croyances concernant l’origine « magique » de la roche.
– Le concept de « destruction de richesses » ne peut s’appliquer aux mécanismes de retrait des haches sur le trajet de diffusion.
Le concept de richesse ostentatoire doit être corrigé sous l’angle de la valeur idéelle et religieuse des haches.
Certains problèmes taxonomiques sont développés à propos de la nature des sociétés concernées.
– Le statut de la société sentani diffère de celui des sociétés à big men et leaders de guerre des hautes terres.
– La société sentani accorde un poids important à l’organisation en moitiés et en lignages.
– Tonga et Natchez illustrent des cas de « royautés » dans un contexte non étatique.
« Ces personnages très puissants sont supérieurs aux hommes en général et aux élites en particulier, mais ne sont pas eux-mêmes considérés comme des Créatures surnaturelles elles-mêmes. » (p.1417).
– Il y a contrôle de la reproduction idéelle de la société par les élites et particulièrement par deux chefs se situe à l’écart de la reproduction sexuelle, technique et économique.
– La bipolarité religion/guerre de la chefferie natchez montre qu’ils ne sont pas considérés comme des dieux. La vénération est orientée vers les chefs eux-mêmes.
– Les élites contrôlent les transferts à longue distance.
A la suite les auteurs retiennent certaines hypothèses au sujet de la nature des sociétés concernée, tant en Europe qu’en Nouvelle Guinée.
– Les élites contrôlent les fonctions idéelles et fonctionnelles des jades.
– Il existe une inégalité imaginaire entre les élites et les Puissances surnaturelles contrôlées par des puissants qui assurent la marche du monde.
– En Bretagne les personnages inhumés dans les grands tumulus illustrent une strate supplémentaire de la société entre les élites et les Puissances surnaturelles.
– Les termes de « royauté sacrée » ou « divine », utilisés en Afrique, ne peuvent être appliqués à la situation bretonne.
– Les tumulus carnacéens sont associés à une royauté sacrée (rois mages) ou divine cf. Frazer : rois magiques, rois divins, rois-prêtres.
– Les exemples ethnographiques illustrent des possibles, mais pas tous les possibles.
Le modèle développé dans Jade établit une claire distinction entre biens à valeur idéelle et religieuse et biens de prestige à valeur sociale. Il convient donc de reprendre en détail l’analyse de la notion de bien de prestige comme je l’avais proposé au colloque de Yenne.
Je propose d’englober les biens à valeur idéelle et religieuse dans l’ensemble général des biens de prestige dont ils forment une sous-catégorie.
La compréhension anthropologique du terme montre que la seule définition possible du terme est d’ordre fonctionnel : c’est un bien détourné du réseau marchand, utilisé pour répondre à ses obligations sociales (et religieuses). Cette définition extrêmement large, qui ne tient pas compte de la nature intrinsèque des biens, convient à une gamme variée de produits (y compris des biens communs) dans des sociétés extrêmement variées (Gallay 2010, 2013). Il est néanmoins possible d’isoler un sous-ensemble qualifié d’ « ostentatoire » (qui peut porter sur des biens communs ou précieux). Ce terme me paraît convenir aux jades alpins.
La notion de bien de prestige est couramment utilisée par les archéologues pour désigner des objets qui présentent souvent un fort investissement technique et pour lesquels on suggère une fonction sociale dépassant le strict cadre technique et économique. Curieusement ce concept trouve très (trop ?) peu d’écho dans la littérature ethnologique et anthropologique et l’on chercherait en vain une définition de cette notion dans les dictionnaires consacrés à ces disciplines (Panoff, Perrin 1973 ; Bonté, Izard 1991).
Pour tenter de préciser la portée du terme au niveau anthropologique nous analyserons dans un premier temps son insertion dans la pratique archéologique. Nous partirons ainsi de la définition que pourrait en donner un archéologue, définition fondée sur les particularités intrinsèques des objets eux-mêmes, puisque seul ce domaine est, du moins dans un premier temps, accessible à l’archéologie (niveau 1). Nous verrons ensuite ce qu’implique ces particularités au niveau fonctionnel selon le sens commun auquel les archéologues se réfèrent généralement, ne retenant ici que quelques interprétations utiles pour notre propos (niveau 2). Nous tenterons ensuite de préciser ces concepts au plan anthropologique (niveau 3) et nous verrons comment des objets ainsi définis s’insèrent dans le fonctionnement des sociétés dites traditionnelles en proposant un modèle exprimant l’ensemble des propriétés fonctionnelles possibles (niveau 4). Il nous faudra enfin aborder la question des relations que ces objets à connotation sociale et/ou politique et/ou religieuse entretiennent avec l’économie marchande au cas où cette sphère particulière d’activité serait présente (niveau 5).
La démarche ainsi proposée répond au schéma classique d’une analyse logiciste (niveaux 1 et 2) suivi d’une synthèse proposant une version enrichie des concepts dégagés dans la première phase (niveaux 3 à 5) (Gallay 2007) (fig. 2).
Fig. 2. Procédure d’analyse de la notion de bien de prestige.
Proposition 1. En archéologie un bien de prestige est défini par une série de caractéristiques intrinsèques. Leur présence simultanée n’est pas nécessaire à la reconnaissance d’un bien de prestige. Une seule peut, à la limite, suffire.
Les archéologues ont l’habitude de considérer comme un bien de prestige des objets réunissant un certain nombre de caractéristiques intrinsèques parmi les suivantes (Gallay, Ceuninck 1998) :
– la (les) matière(s) première(s) utilisée(s) est(sont) d’origine(s) lointaine(s),
– la (les) matière(s) première(s) utilisée(s) est(sont) rare(s),
– l’ornementation est riche et soignée,
– plusieurs matières premières sont utilisées conjointement,
– la chaîne opératoire de fabrication est particulièrement complexe,
– le temps et/ou l’énergie investie dans la fabrication est important,
– l’objet répond à certains critères de standardisation,
– l’objet n’a pas une utilité pratique dans la vie quotidienne,
– l’objet peut être intégré dans l’univers symbolique et se trouver ainsi incorporé dans l’iconographie.
La présence simultanée de tous ces caractères n’est pas nécessaire à la reconnaissance d’un bien de prestige, ce qui en rend l’identification délicate. Une seule caractéristique peut en effet, à la limite, suffire. Chez les Gouro de Côte d’Ivoire, les défenses d’éléphants brutes étaient des biens de prestige (Meillassoux 1964). Il en va de même des peaux de léopard habillant certains rois africains ou des peaux de tigre chez certaines populations thibétaines. Cette situation montre que l’identification d’un bien de prestige dans la pratique archéologique mobilise en général également des critères extrinsèques relevant du contexte de découverte, lieux de découverte, répartition spatiale ou géographique, associations avec d’autres objets, etc.
Il convient d’autre part de ne pas oublier que des êtres vivants peuvent entrer dans la catégorie ; c’est le cas du bétail présentant un fort investissement économique dans son élevage ou même des êtres humains en tant qu’esclaves, produits d’un investissement guerrier dans la capture.
Selon l’analyse de certains textes rédigés par des archéologues des arguments du sens commun permettent de prolonger les critères intrinsèques des objets par certaines des interprétations fonctionnelles relevant d’une sémantique universelle :
– La rareté des matières premières utilisées, leur origine lointaine, la complexité et la sophistication de la chaîne opératoire qui implique un fort investissement technique et énergétique, peuvent révéler une certaine spécialisation artisanale.
– La standardisation garantit l’interchangeabilité d’objets de même valeur, un critère valable aussi bien dans la sphère des transactions à connotation sociale propre aux biens de prestige qu’à des objets relevant du seul domaine économique.
– Les objets de prestiges, rares et/ou sophistiqués, se situent en marge des besoins de la vie quotidienne. Ils peuvent faire l’objet d’accumulation et témoignent donc d’une certaine richesse.
– Les objets de prestige peuvent être manipulés par les élites pour affirmer leur pouvoir politique.
Spécialisation, étalonnage, richesse et pouvoir politique sont donc quatre notions, parmi d’autres, que nous retiendrons également, qu’il convient d’approfondir en recourant à des informations d’ordre anthropologique.
Proposition 2. Il n’existe pas de liens bi-univoques entre spécialisation de la production et bien de prestige.
Proposition 3. Sur le plan fonctionnel un bien de prestige se distingue d’une marchandise, d’une monnaie et/ou d’une monnaie de commodité dans la mesure où sa signification n‘est pas indépendante des partenaires qui le possèdent, le manipulent ou l’échangent.
Proposition 4. La seule définition nécessaire et suffisante d’un bien de prestige est d’ordre fonctionnel et relève de son intégration dans des échanges non marchands ou dans des transferts de troisième type.
Proposition 5. Les biens de prestiges sont associés au fonctionnement du monde II de Testart, soit aux sociétés à richesses ostentatoires, aux sociétés semi-étatiques (sociétés lignagères et démocraties primitives) et très partiellement au monde III des sociétés étatiques dans le cas des société royales (fig. 3).
Fig. 3. Relations entre biens de prestige et types de sociétés.
La première question qui se pose est de savoir si la fabrication d’un bien de prestige implique un statut de production particulier notamment une spécialisation des tâches.
Roux et Corbetta (1990) donnent de ce concept la définition suivante : la spécialisation technique est la production exclusive, par un sous-groupe d’individus, d’objets consommés par la communauté villageoise ou régionale tout entière.
Il peut être intéressant de confronter cette définition aux critères diagnostics de la spécialisation proposés par les initiateurs de la table ronde « Spécialisation des tâches et sociétés », tenue en 2004-2005 à l’Université de Nanterre (Brun et al. 2005-2006). Si la typologie des sociétés retenue peut être discutée (cf Testart 2005), les critères d’identification de la spécialisation nous paraissent par contre parfaitement opératoires à savoir : la taille de l’unité de production, la périodicité de l’activité, le niveau de segmentation technique, le niveau de segmentation spatiale, le volume de la production, le niveau d’autonomie vivrière, l’échelle de diffusion de la production, le niveau de technicité.
Cette longue liste montre d’abord la complexité de la notion de spécialisation. Elle permet d’autre part d’écarter tout lien univoque entre les deux notions. Si effectivement un bien de prestige est souvent lié à une production spécialisée, toute production spécialisée n’aboutit pas obligatoirement à des biens de prestige. Il conviendrait donc de reprendre systématiquement cette question en différenciant les types de sociétés. A première vue le lien paraît plus fort dans les sociétés du monde II de Testart (cf infra) qui nous occupe ici que dans les sociétés étatiques où il est courant d’observer une production spécialisée et quasi industrielle de biens d’usage courant diffusés à grande distance.
La nature des biens et celle des transferts affectant ces derniers apparaissent comme une composante essentielle d’une définition anthropologique du bien de prestige. Pour faire court, nous donnerons ici quelques définitions fondamentales sur lesquelles nous pourrons nous appuyer.
Nous regrouperons ici des notions relevant de l’économique s. str. et des notions à connotation sociale.
– Marchandise
La marchandise est un bien qui ne vaut aux yeux de son possesseur que comme valeur d’échange et non comme valeur d’usage.
« La marchandise est un objet à propos duquel la décision de l’offre à la vente a déjà été prise. En conséquence, son échange effectif ne dépend plus que des termes de l’échange (prix, possibilité de trouver un acquéreur, etc.). » (Testart 2007, p. 134)
La marchandise implique la présence de marchés. Si l’on écarte le sens de ce terme en économie politique, « Le marché – entendu comme place ou réseau où s’échangent entre elles les marchandises – est un lieu sur lequel la décision de vendre est déjà acquise. En conséquence, c’est un lieu où l’échange se réalise sans que soit nécessaire l’intervention, entre échangistes, d’un autre rapport social que celui qu’ils nouent dans l’acte même de l’échange. » (Testart 2007, p. 134)
– Monnaie
Selon l’Encyclopedia Universalis (1968, vol. 2, p. 268-269), la monnaie présente trois caractéristiques.
Le Petit Robert ajoute :
Au total une monnaie est un avoir liquide imposé et garanti par une autorité centrale en règlement d’un achat ou d’une dette. La monnaie a valeur de signe et sert d’intermédiaire dans l’échange, d’étalon de valeur ou de mesure et de réserve de valeur.
– Monnaie primitive
Le débat sur la monnaie s’est étendu à l’ethnologie autour de deux questions essentielles : les sociétés non étatiques possèdent-elles parfois des monnaies répondant aux critères ci-dessus d’une part ; existe-t-il des formes particulières de « monnaies » dont la définition ne correspondrait pas à la définition classique du terme, qui se réfère à nos sociétés industrielles, d’autre part (Garenne-Marot, Hurtel 2004-2005 ; Héritier 1975) ? Sans entrer dans les nombreuses discussions concernant des notions comme monnaie primitive, monnaie de commodité ou bien de prestiges, rappelons ici quelques faits.
Certains objets comme les lingots de sel ou les brasses de coquillages de Mélanésie (Pétrequin, 2006 ; Weller 2005-2006), ainsi que les cuivres de la Côte du Nord-Ouest, présentent toutes les caractéristiques d’une monnaie puisqu’ils sont à la fois réserve de valeur, étalon de mesure et moyen d’échange. Ces objets, proches de la notion de bien de prestige, présentent néanmoins des fonctions sociales complémentaires, tant en ce qui concerne leur valeur de signe que leur valeur d’usage, de sorte qu’il n’est pas possible d’établir par leur intermédiaire des échanges indépendants de l’identité des partenaires en jeu (Bonte, Izard 1991). On notera à ce propos que les lingots de sel de Nouvelle Guinée sont souvent composés d’une potasse non comestible, ce qui réduit leur valeur d’usage à l’économique et au social. Selon Godelier (1969, p. 26), la barre de sel végétal utilisée par les Baruya :
« remplit les quatre conditions auxquelles un produit doit satisfaire pour servir de monnaie : 1. C’est un bien durable et facile à conserver. 2. Elle est divisible en unités plus petites. 3. Sa valeur d’échange étant élevée, les quantités de sel nécessaires pour effectuer une transaction restent limités. 4. Enfin, et surtout, le sel fait office d’ « équivalent général », puisqu’il est convertible en n’importe quelle marchandise. »
– Bien de prestige
Sur le plan fonctionnel la notion de bien de prestige reste très proche de celle de monnaie primitive et se confond souvent avec cette dernière.
Il peut en effet partager avec elle les caractéristiques suivantes :
Il se distingue par contre de la monnaie primitive par deux traits :
Cette opposition montre que le bien de prestige au sens strict se distingue de la monnaie primitive moins par ses caractéristiques intrinsèques (matière, propriétés formelles) que par la nature des transactions dont il fait l’objet et qui relèvent soit de la sphère économique, soit de la sphère sociale (fig. 4, tab. 1).
Tableau 1. Monnaies, monnaies primitives, biens de prestige : essai de définition. Les exemples proposés proviennent d’Afrique (cauris, poudre d’or, lingots métalliques), de Nouvelle Guinée (monnaies de sel) et d’Amérique (cuivres Kwakiult).
Fig. 4. Définition des monnaies de commodité par rapport aux bien de prestige.
Toutes les valeurs définies ci-dessus font l’objet de transferts entre individus ou collectivités. La nature de cette circulation peut varier.
– Don
La notion de don a souvent été mal comprise dans la mesure où de nombreux auteurs l’associent à celle de contre-don, soit à une contrepartie plus ou moins obligatoire (Mauss 1950/1923-24). Il est donc nécessaire de donner ici une définition plus restrictive de ce concept afin de le distinguer clairement de l’échange non marchand :
« Le don est la cession d’un bien qui implique la renonciation à tout droit sur ce bien ainsi qu’à tout droit qui pourrait émaner de cette cession, en particulier celui d’exiger quoi que ce soit en contrepartie. » (Testart 2007, p. 19)
D’une manière générale ni le don, ni sa contrepartie ne sont exigibles. Dans le cadeau comme dans le potlatch le donneur acquiert du prestige par son don alors que le receveur acquiert des biens (logique A+ >B+).
Apparentée à un don, la dot peut ne pas être exigible. Son versement confère alors au père de l’épouse un certain prestige, mais aucun droit sur son gendre (logique A+ >B+). On distingue habituellement la dot ad uxorem, destinée à l’épouse, de la dot ad maritum destinée à la famille de l’épouse et notamment à son mari (fig. 5).
Fig. 5. Relations entre dot et prix de la fiancée. Recomposé de Testart et al. 2002.
– Échange
Le terme échange peut avoir trois sens qui se retrouvent dans le texte de Lévi-Strauss désormais classique sur la communication (Lévi-Strauss, 1958, p. 326) :
L’échange implique de plus que les biens puissent être aliénés et renvoie à la notion de propriété privée ou collective : « L’échange suppose enfin le droit de propriété qui permet au possesseur d’un bien d’en disposer librement et d’en transférer l’usage, la jouissance et de même le droit d’aliénation. » (Meillassoux 1977, p. 148)
– Échange marchand
« Est échange marchand tout échange de marchandises, ou encore tout échange dans lequel les échangistes n’ont pas besoin d’entretenir entre eux d’autres rapports que celui de l’échange ; c’est-à-dire encore un échange qui n’est pas intrinsèquement lié, ni conditionné par un autre rapport entre les protagonistes. » (Testart, 2007, p. 134)
On trouve une illustration de cette situation dans la position du marchand au sein des économies de l’Afrique de l’Ouest :
« Dans le stade premier du commerce, la non appartenance aux communautés est donc une condition nécessaire à l’établissement de rapports marchands : les commerçants relèvent en général d’ethnies étrangères à celles qu’ils prospectent. » (Meillassoux 1977, p. 148)
Dans ce cas chacun des deux transferts sont exigibles (logique A>B+/B>A+).
– Échange non marchand
Un échange non marchand est un échange dans lequel les rapports sociaux prédominent, soit « un échange conditionné par un autre rapport social qui le dépasse, à la fois parce qu’il le commande et généralement parce qu’il lui survit. » (Testart 2007, p. 143)
Dans ce cas chacun des deux transferts sont également exigibles (logique A>B+/B>A+).
On associera à ce type de transfert le prix de la fiancée qui est :
« l’échange entre un prix (ou des biens) et des droits sur la personne de l’épouse : cet échange n‘est pas marchand parce que sa réalisation est subordonnée à l’établissement d’une autre relation, que ce soit le rapport matrimonial entre les époux ou celui de l’affinité entre les familles. » (Testart 2007, p. 45)
– Transfert de troisième type
Le transfert de troisième type (t3t), selon la dénomination retenue par Testart, est associé à des liens sociaux statutaires entre des individus et n’existe qu’à travers ces liens. Le transfert de troisième type est exigible sans qu’aucune contrepartie ne le soit. La cession des biens relève d’une obligation soit permanente – pour autant que dure la dépendance – soit répétée, si les prestations sont dues de façon échelonnée, soit unique comme dans le cas d’une dot exigible.
La taxe du serf vis-à-vis de son seigneur, due du seul fait qu’il est serf, relève de ce type de transfert mais ne nous concerne pas ici. Le domaine par excellence dans lequel se rencontre ce type de transfert est la parenté. Il se rencontre à chaque fois qu’un parent est tenu vis-à-vis d’un autre à des obligations permanentes du seul fait qu’il est dans ce rapport de parenté avec cet autre. Le travail servile et les productions artisanales intervenant dans ce cadre – fabrication de la céramique ou de bracelets de marbre chez les Sonraï, bijouterie chez les Peul dans la Boucle du Niger au Mali – exacerbe ce type de relation (logique A >B+/B>A0).
La dotexigible peut relever du même type d’obligation bien qu’il s’agisse d’un acte unique intervenant lors du mariage. Comme précédemment le versement de la dot ne confère au père de l’épouse aucun droit sur son gendre (logique A >B+/B>A0).
Les dédommagements pour réparation, notamment le règlement des dettes de sang, peuvent être comparés à ce type de transfert exigible sans contrepartie entre des partenaires dont le seul lien, essentiel pour la définition de ce type de transfert est alors est un rapport d’affrontement (logique A ®B-/A®B+). Les échanges de type vendetta sont comparables mais la contrepartie, qui n’est pas exigible, est toujours négative (logique A >B-/B>A-).
Les biens de prestige font ainsi l’objet de divers transferts qui relèvent du don, de l’échange non marchand ou de transferts de troisième type (t3t). Ils relèvent donc de l’économie primitive qui, selon Testart, est « caractérisée par l’absence d’échange marchand, de monnaie métallique et de propriété foncière analogue à celle que nous connaissons. » (Testart 2007, p. 9)
Le tableau 2 permet de préciser le sens donné à ces termes.
Tableau 2. Typologie des échanges. Les flèches horizontales indiquent le sens des transferts, les signes les conséquences positives ou négatives des transferts. Modifié et complété d’après Testart 2007.
Les sociétés pour lesquelles la notion de bien de prestige a un sens
Afin de garder un minimum de cohérence à notre définition fonctionnelle du bien de prestige, nous proposons d’exclure de notre propos les sociétés sans richesses dites acrématiques et les sociétés étatiques et urbaines comportant des classes sociales. Ce faisant nous n’excluons pas la présence possible de ce type de biens dans ces sociétés mais nous en reconnaissons dans ce cas le caractère marginal ou archaïque. Nous retiendrons donc ici l’ensemble des sociétés du monde II de Testart (2005). Dans ce monde caractérisé le plus souvent par une économie primitive, la richesse relève avant tout du prestige mais permet également de répondre à ses obligations sociales. Cette situation est donc différente des sociétés industrielles où la richesse peut également être investie ou réinvestie productivement. Le monde II et les sociétés étatiques (monde III) sans classes sociales regroupent les sociétés à richesses ostentatoires, les sociétés semi-étatiques (société lignagères et démocraties primitives) et, pour le monde III, les seules sociétés royales. Dans tous ces cas la richesse ne peut reposer sur la propriété de la terre qui n’existe pas au sens strict de bien aliénable ou sur le contrôle de moyens de production (mis à part les esclaves) comme dans les sociétés de classes. Les biens servent ici avant tout au paiement des obligations sociales et d’une façon tout à fait secondaire de moyens d’échange entre biens matériels.
En suivant Testart nous retiendrons les caractéristiques communes suivantes :
– la différenciation sociale s’organise selon la richesse ;
– la société est inégalitaire et la stratification sociale s’organise selon système formel d’acquisition, de gradation et de comptabilisation du prestige ;
– il y a menace de mise en dépendance des exclus,
– en l’absence d’un autre mécanisme politique, le pouvoir appartient au plus riche ; ce sont des sociétés spontanément ploutocratiques ;
– parce que l’excès de richesse ne peut être investi productivement, il existe une tendance intrinsèque à la dépense ostentatoire.
Cette restriction souffre néanmoins d’une exception concernant la dot plus particulièrement liée aux sociétés étatiques d’Eurasie où ce type de transaction apparaît clairement comme une spécificité propre aux sociétés de classes.
Niveau 4 : un schéma résumant l’intégration possible des biens de prestige dans le fonctionnement de la société
Proposition 6. Un modèle général illustrant le fonctionnement des biens de prestiges distingue une zone centrale de thésaurisation ostentatoire où les biens de prestige restent stockés d’une zone où ils peuvent être transférés lors d’échanges non marchands et de transferts de troisième type dans un contexte relevant du social.
Proposition 7. Le modèle est complété par deux types de transferts impliquant l’aliénation, la perte ou la destruction des biens de prestige : les transferts à connotation politique résultant de dons ou de dotations funéraires et les transferts de nature religieuse, offrandes et sacrifices. Ces types de transferts impliquent également des biens d’usage courant.
Nous pouvons désormais utiliser les notions présentées pour construire un schéma intégrant les fonctionnalités possibles d’un bien de prestige. Ce dernier oppose un domaine où les biens dits de prestiges sont produits, conservés et peuvent faire l’objet de stockage et de thésaurisation d’un secteur où s’exerce divers types de transferts. Les biens de prestige relèvent pour la plupart à la fois des deux domaines ; ils concernent des biens meubles, du bétail ou des esclaves. Certains biens comme les trophées de guerre (têtes coupées, etc.), les insignes de pouvoir ou les regalia relèvent par contre plus particulièrement du domaine central et ne font qu’exceptionnellement l’objet de transactions. Dans cette zone centrale la richesse découle de la thésaurisation et le pouvoir est lié à des pratiques ostentatoires. Le schéma cumule toutes les situations théoriques possibles ; il n’est donc pas l’expression de situations particulières qui ne se développent que dans certaines directions.
De part leur sophistication, les biens de prestiges sont souvent le produit d’un artisanat spécialisé. Ils font l’objet d’accumulation et de thésaurisation, processus qui révèlent la capacité de la société à générer des richesses 1. issues de surplus de production détournés des impératifs de la survie quotidienne, 2. obtenues par échanges ou 3. prélevées par la force dans les sociétés voisines.
Certains de ces biens relèvent d’abord de l’accumulation, de la thésaurisation, et de l’affichage ostentatoire et ne sont pas destinés à des transferts.
– Les regalia et l’art de cour dans les sociétés royales d’Afrique de l’Ouest et du bassin du Congo.
Les arts de cour de l’Afrique noir, par l’importance qu’ils donnent à l’idéologie du pouvoir et par le déploiement de matériaux rares, couteux et prestigieux concourent au soutien et à l’exaltation de l’autorité politique du souverain. La plupart des regalia sont produits par des artisans spécialisés attachés au palais et réunis en guildes (Bénin), mais le souverain lui-même peut être amené à fabriquer certains objets sacrés (Dahomey, Kuba). La plupart des cours africaines réunissent une gamme impressionnante d’objets rares et précieux, sceptres, couronnes, instruments de musique, armes, vaisselles diverses (Preston Blier 1998 ; Garrard 1989).
Les autels ancestraux royaux du Bénin réunissent sur une plateforme d’argile semi-circulaire divers objets de prestige dont des têtes de souverains de laiton surmontés de défenses d’éléphants sculptées, des bâtons cérémoniels et des cloches de laiton.
Le Yorouba connaît des personnifications masquées de l’autorité royale.
L’Ashanti offre une débauche d’objets d’or, trônes royaux, bijoux, emblèmes, etc. Des poids en laiton historiés servent à peser l’or entrant dans les transactions économiques, les amendes et les impôts. Divers tissus de pagne richement ornés jouent un rôle dans la définition du statut. Des coffres richement ouvragés sont destinés à recevoir les ossements royaux.
Au Kongo nous trouvons des armes non fonctionnelles, des cors sculptés dans des défenses d’éléphant et des statues protectrices cloutées ornées de miroirs. Le roi peut se revêtir de peaux de léopard.
– Les têtes coupées
La chasse aux têtes était une pratique largement répandue. On l’observe chez les Scythes du nord de la mer Noire au VIe siècle av. J.-C. et dans la culture de Nasca comme dans les autres formations proto-urbaines de la côte péruvienne avant l’unification Huari entre 500 BC et 500 AD (Proulx 1999 ; Drusini à paraitre). Elle semble bien avoir été pratiquée pour la dernière fois en Assam dans le nord-est de l’Inde en 1963. Elle s’apparente à la pratique du scalp chez les Indiens des plaines ou celle des têtes réduites en Amazonie. On la rencontrait fréquemment dans l’aire culturelle des tribus du Sud-Est asiatique (Nias, Bornéo, Toraja dans l’île de Célèbes). Dans cette région ramener une tête permettait de se concilier les esprits des récoltes et de gagner du prestige social. L’acquisition des têtes relève de transferts de troisième type de type vendetta.
Nous distinguerons ici les trois domaines du social, du politique et du religieux. Les transferts relevant du social s’organisent selon un double flux reliant le domaine central à la zone des transferts alors que les domaines politique et religieux concernent des biens qui ne retournent pas dans le système car ils sont détruits (sacrifices), perdus (offrandes, dotations funéraires) ou aliénés et conservés définitivement en mains propres selon des règles de succession variant de cas en cas (dot, cadeaux).
On notera ici une difficulté conceptuelle générale concernant l’ensemble des biens impliqués dans ces transferts. Si nous avons associé plus haut la notion de bien de prestige au caractère particulier des transferts dont ils sont l’objet en l’occurrence des transferts non marchands et de troisième type. La nature des transactions est-elle, par rapport à cette définition, nécessaire et suffisante ? En deux mots les transferts non marchands peuvent-ils impliquer des biens qui ne soient pas des biens de prestige ? La réponse provisoire que nous donnons ici est la suivante :
– les objets intégrés dans les échanges non marchands et les transferts de troisième type peuvent être tous considérés par définition comme des biens de prestiges.
– Par contre les objets relevant du domaine politique et religieux qui sortent du système peuvent impliquer également des biens communs.
Le domaine social regroupe des transferts relevant de certaines obligations sociales et concerne à la fois des échanges non marchands et des échanges de troisième type.
Exemples d’échanges non marchands
– Le prix de la fiancée chez les Gouro de Côte d’Ivoire
Les Gouro possèdent divers types de biens de prestige, notamment des couvertures tissées par les chefs de familles, des défenses d’éléphant, ou des fusils de traite. Les lingots de fer obtenus de l’extérieur des forgerons malinké auraient quant à eux plutôt valeur de monnaies de commodité. La possession d’esclaves présente également un signe de richesse. Outre les pagnes à valeur d’usage et les pagnes à valeur d’échange, les Gouro produisent des pagnes ayant valeur de trésor destinés aux transactions matrimoniales. Les pagnes de prestige ainsi que les pagnes destinés aux échanges avec l’extérieur, dans la mesure où ils se convertissent ainsi en d’autres biens de prestige, se concentrent entre les mains de l’aîné. Leur fabrication est plus difficile, tous les hommes n’en connaissent pas les procédés (Meillassoux 1964). Le prix de la fiancée était composé autrefois de gros bétail, de pagnes de prestiges, de lingots de fer, d’ivoires, de fusils, d’or et d’esclaves.
« La dot (sic, il s’agit du prix de la fiancée) traditionnelle est toujours composée de plusieurs biens et ces biens sont très précisément ceux que l’on cite comme composant la richesse des aînés ; la dot, par son importance comme par sa composition, est hors de portée des individus dépendants, tenus par leur statut de remettre le produit de leur travail à leur aîné. Ces derniers sont donc les seuls capables d’engager des rapports matrimoniaux. La possession des richesses leur permet de se marier eux-mêmes et d’avoir plusieurs épouses. Les autres dépendent d’eux pour obtenir femme. » (Meillassoux 1964, p. 217)
– La kula mélanésienne
La kula mélanésienne englobant plusieurs îles de Mélanésie orientale implique le transfert de multiples biens dont deux types de biens de prestige, des brassards et des colliers composés notamment de coquilles marines et qui circulent en sens inverse entre les îles. La cession d’un brassard contre un collier relève de l’échange non marchand même si la réciprocité peut être différée puisqu’il y a obligation de donner et obligation de rendre (Malinowski 1922/1963 ; Leach 1983 ; Testart 2007, p. 38-45).
– La circulation des biens taonga en Nouvelle Zélande
Les biens taongoa désignent chez les Maoris toute une série de biens précieux, mais surtout des figurines de jade appelées tiki (Testart 2007, p. 213). On observe ici deux mouvements inverses, celui du jade, issu de l’île du Sud, vers le nord et, en sens inverse celui de nourriture, de vêtements et d’autres objets finement manufacturés. La contrepartie étant toujours demandée, nous avons affaire ici, comme dans la kula, à des échanges non marchands intertribaux à grande échelle et non à des dons.
Exemple d’échanges de troisième type
– La dot dans les sociétés étatiques de l’Eurasie
On peut considérer le prix de la fiancée et la dot comme deux institutions indépendantes relevant de modalités de transferts différentes. La première relève des échanges non marchands. La seconde du don (dot non exigible) ou du transfert de troisième type (dot exigible). Selon Goody et Tambiah (1973),le prix de la fiancée semble lié à une organisation unilinéaire de la filiation, la dot à un système de filiation indifférencié ou un système à deux lignées. Le prix de la fiancée est le fait de sociétés qui excluent les femmes de la transmission des biens, la dot est pratiquée au contraire par des sociétés qui tendent à répartir les biens entre tous les enfants quel que soit le sexe. Le prix de la fiancée est lié à une exploitation collective de la terre, la dot à une exploitation intensive. Testart (1996a et b, 1998) s’est élevé contre cette relation et avance qu’aucuns liens structurels ne lient les deux institutions qui doivent être étudiés à séparément et qui peuvent du reste se superposer dans la même société. Pour ce dernier la dot est liée à la fois au rôle moins considérable de la parenté dans l’organisation du groupe social et au développement de la propriété de la terre. Fine et Leduc (1998) montrent quant à elles que la dot comme mode de transmission des biens familiaux est liée à la notion de « maison » (Bonte, Izard 1991, p. 434-436) et concerne les enfants, filles, plus rarement garçons, que l’on écarte du domaine familial. Selon ces deux auteurs la dot est :
« indissociable de quatre éléments : l’absence de communauté conjugale, l’accès de tous les enfants aux richesses de la maison, la transmission inégalitaire de richesses entre enfants gardés par la maison et ceux qu’elle met en circulation, la composition mobilière de la transaction. » (Fine, Ledux 1998, p. 14)
La dot reste plus particulièrement liée aux sociétés de classes et ne nous concerne moins ici. On notera ainsi que l’organisation en « maisons » existe dans certaines sociétés de l’Inde (Lévi-Strauss 1983, 1984).
La dot reste liée essentiellement aux sociétés étatiques de l’Eurasie, Grèce, Inde, Chine, Europe de l’Ancien régime, etc. (Testart 1996a et b, 2007).
La Grèce homérique des siècles obscurs (Xe-IXe s.) connaît le prix de la fiancée, mais le père de la future femme fournit une dot sous forme d’un trousseau. Par la suite la Grèce classique (Ve-IVe s.) sera caractérisée par le système de la dot qui assure la légitimité du mariage et fait figure de don gratuit. Le prix de la fiancée apparaît donc ici comme un archaïsme par rapport à la dot.
En Inde la forme la plus valorisée du mariage implique une dot librement consentie par le père de famille accompagnant le don de la jeune fille vierge. La « vente » de la fiancée impliquée par le prix de la fiancée, également présent, est considérée comme indigne ; elle est réservée aux basses castes de la société.
La Chine constitue l’exemple le plus net de superposition des deux types de transactions. Des cadeaux de fiançailles sont obligatoirement donnés au père de l’épouse et assurent la validité du mariage. Par contre la dot n’a aucune existence rituelle et la validité du mariage n’en dépend pas. Il s’agit donc d’un don au sens strict du terme.
Dans la France de l’Ancien régime, tant aristocratique que paysanne enfin, la dot s’éloigne du don pour devenir une obligation. La dette est exigible et fait l’objet d’un engagement devant notaire. Les gendres pouvaient poursuivre leur beau-père en justice s’il n’avait pas versé la dot.
– Les paiements compensatoires en haches de pierre en Irian Jaya
Les Dani représentent une société à leaders de guerre. La matière première des haches polies de prestige provient de sources lointaines comme les carrière d’Awigobi en Pays Wano. La matière première est fragile et peu utilisable pour un usage courant. Les ébauches sont soigneusement polies et conservées dans la maison des hommes. Elles sont signes de richesse et peuvent être exhibées lors des funérailles. Elles sont souvent ornées d’une ceinture de paille imitant la jupe d’une femme, un ornement les qualifiant clairement comme des substituts des femmes. Chez les Dani, tous les délits et les tués à la guerre doivent être payés. Comme le sel, les coquilles marines ou les porcs, les haches servent donc à ces paiements compensatoires. On retrouve néanmoins également ces haches dans des échanges non marchands favorisant la circulation des femmes (Pétrequin et al.1998 ; Pétrequin 1993, 2006 ; Weller 2005-2006).
Transferts relevant du domaine politique
La pratique du don relève essentiellement du domaine politique en ce qu’elle valorise socialement le donneur consolidant ainsi sa place dans la société. Nous pouvons réunir sous cette notion à la fois des cérémonies à caractère hautement politique comme le potlatch relevant du don et diverses coutumes impliquant des cadeaux. La dot, fait partie de cet ensemble lorsqu’elle n’est pas exigible et que son importance valorise le futur beau-père face à la famille de son gendre. Nous associons un peu artificiellement les dotations funéraires à ce domaine. Déposer des biens matériels dans une tombe n’est pas obligatoirement lié à la croyance en un au-delà organisé comme la vie terrestre dans lequel le défunt aurait besoin de ses biens. On peut en effet abandonner avec le défunt ses effets personnels simplement parce qu’il est impensable que quelqu’un d’autre puisse les utiliser. Les divers rites de condamnation concernant certains mobiliers funéraires parlent dans ce sens.
– Les cadeaux de mariage impliquant des céramiques dans le Delta intérieur du Niger au Mali
Dans le Delta intérieur du Niger, il est habituel, notamment chez les Peul et les Somono, d’offrir à la future mariée de belles poteries finement ouvragées achetées auprès des potières locales. Ces poteries exceptionnelles n’entrent que rarement dans les circuits marchands et ne sont pas habituellement offertes à la vente sur les marchés hebdomadaires locaux. Leur diffusion s’opère de façon préférentielle à l’intérieur du groupe ethnique contrairement aux poteries communes qui peuvent diffuser au delà (Burri 1997, 2003 ; Ceuninck 2000 ; Gallay 2005, 2010 ; Gallay, de Ceuninck 1998).
– Le potlatch de la Côte du Nord-Ouest
Le potlatch (Boas 1897 ; Testart 1999), qui se tient toujours à l‘occasion d’un événement important, funérailles, construction d’une maison, etc., implique la circulation de biens très variés selon des modes de transferts distincts (Testart 2006, p. 100-104, 2007, p. 71-110). Les transferts permettant d’acquérir les biens qui seront intégrés dans la cérémonie peuvent relever ainsi d’échanges marchands. Mais le cœur du potlatch met en scène des dons d’objets de prestige dont des couvertures ou les fameux cuivres. Il s’agit ici bien de dons car la contrepartie ne peut être exigée. Ces dons honorent à la fois le donneur et le receveur mais ils ne créent pas en eux-mêmes une hiérarchie En effet cette dernière ne provient que de l’aptitude différentielle à accumuler des biens ou à mobiliser des énergies humaines.
– Les dotations funéraires des mégalithes sénégambiens.
Les dotations funéraires des sépultures regroupent à la fois des objets précieux qui peuvent être considérés comme des biens de prestige, bracelets de cuivre ou perles de pierres semi-précieuses comme la cornaline, mais également des biens d’usage courant. Parmi ces derniers mentionnons des fers de lance aux pointes repliés en signe de condamnation et les poteries communes déposées au pied des pierres frontales des cercles en guise d’offrandes (Thilmans, Descamps 1974, 1975 ; Thilmans et al. 1980 ; Gallay, à paraître 2). La dotation funéraire comporte ici également des « dépendants » mis à mort – épouses, concubines et esclaves -considérés comme des morts d’accompagnement (Testart 2004a et b ; Gallay 2019).
On peut intégrer au modèle les relations entre les hommes et le sacré dans la mesure ou ces relations impliquent des biens meubles. On distinguera ici l’offrande du sacrifice (Testart 2006). L’offrande s’apparente au don et implique une certaine liberté de l’acteur vis-à-vis de l’acte. Elle concerne souvent des biens de faible valeur mais occasionnellement aussi des biens de prestige.
Le sacrifice, courant dans les sociétés de classes mais également dans le monde II comme dans les sociétés lignagères africaines, implique au contraire l’idée d’obligation. Chez les Aztèques le sacrifice est nécessaire à l’ordre du monde. Cette pratique s’apparente donc à des transferts de troisième type. Elle peut concerner des biens de prestiges meubles, mais également du bétail ou même des êtres humains. Le bétail n’est souvent qu’un substitut de l’être humain.
– Le sacrifice du buffle dans l’Asie du Sud-Est
Le buffle est l’animal le plus souvent impliqué dans les sacrifices pratiqués par les tribus de l’Asie du Sud-Est (Testart 2006, p. 73-82). Dans ces régions où la riziculture sur brulis domine et où le buffle ne peut guère être utilisé dans le labour des rizières, cet animal est un animal de prestige par excellence. Le sacrifice du buffle est du aux esprits qui sont largement humanisés car il s’agit le plus souvent d’esprits ancestraux. La dépendance vis-à-vis des esprits ancestraux est le trait le plus saillant des religions du Sud-Est asiatique. Un ancêtre est quelqu’un dont on dépend de naissance statutairement. Le sacrifice lui est donc dû et nous sommes ici dans la figure d’un transfert de troisième type.
Chez les Toraja dans l’île de Célèbes, aujourd’hui Sulawesi, les funérailles jouent un rôle central dans les stratégies sociales. Ces dernières impliquent que la famille réunisse une richesse considérable, dont des dizaines de bœufs qui seront sacrifiés pour ce type de célébration, qui doit transformer un notable en ancêtre, puisse avoir lieu. Les funérailles permettent de libérer ses âmes de leur enveloppe charnelle. La première s’en va dans le premier bœuf sacrifié, la seconde dans l’effigie de bois du défunt qui sera exposée devant le caveau familial, la troisième dans un menhir qui sera érigé au moment de la fête (Jannel, Lontcho 1992 ; Lontcho 2009).
Niveau 4 : les connexions avec la sphère des transactions marchandes
Proposition 8. A tout moment les biens peuvent sortir des circuits marchands pour se transformer en biens de prestige (perte de la valeur d’usage et acquisition d’une valeur de signe). A l’inverse ces derniers peuvent entrer ou ré-entrer dans le réseau marchand (perte de la valeur de signe et acquisition d’une valeur d’usage).
Un bien de prestige résulte d’une soustraction délibérée de richesses au réseau d’échanges marchand ; elle empêche ainsi la perte graduelle de leur valeur due à l’introduction par production ou échange de nouveaux objets dans le système économique. A tout moment les biens de prestige peuvent ainsi sortir des circuits marchands pour s’intégrer à la sphère sociale, politique ou religieuse. Les cuivres du potlatch sont ainsi négociés au sein de réseaux marchands avant d’être offerts lors des cérémonies (Testart 2007, p. 74-75). A l’inverse ils peuvent également perdre ces connotations pour entrer ou ré-entrer dans le réseau purement marchand. Dans le premier cas l’objet perd sa valeur d’usage au sens économique et technique du terme pour acquérir une valeur de signe, dans le second il perd sa valeur de signe pour retrouver sa valeur d’usage.
En résumé le bien de prestige peut être défini sur le plan fonctionnel comme un objet qui est soustrait au domaine économique et marchand pour s’intégrer dans les réseaux sociaux, politiques et religieux au sein desquels il perd sa valeur d’usage et acquiert ainsi valeur de signe. Il relève avant tout du domaine social par la nature des transferts qui lui donne sens, que ce soient des échanges non marchands ou des échanges de troisième type. Cette manière de mise à l’écart révèle la capacité de la société à générer des surplus en marge des impératifs de la survie technique et économique. Ces objets peuvent donc faire l’objet de stockage et de thésaurisation et sont donc des signes de richesse.
Acquis à l’extérieur par des échanges s. latou par la force, ou relevant de l’artisanat local, les insignes de pouvoir, regalia, trophées de guerre, etc., constituent une catégorie particulière de biens de prestige dans la mesure où la fonctionnalité qui leur donne sens n’est pas l’intégration dans des transferts non marchands mais leur stockage et leur conservation à des fins ostentatoires.
Le bien de prestige signe la présence d’une société inégalitaire et souvent hiérarchisée où le pouvoir politique est fondé avant tout sur la richesse et le contrôle de sa circulation dans divers réseaux dominés par des préoccupations sociales. La possession et la manipulation de biens de prestige offre un puissant outil pour l’acquisition et le contrôle du pouvoir pour des sociétés dont la richesse ne peut se fonder sur la propriété foncière ou la possession des moyens de productions comme dans les sociétés de classes. Le fait que la richesse ne puisse pas être investie comme dans nos sociétés capitalistes pousse ainsi les plus favorisés à des dépenses purement ostentatoires.
Le tableau présenté présente néanmoins trois difficultés.
Nous avons lié la définition d’un bien de prestige à la notion d’échange non marchand s. lato. Transferts comprenant soit des échanges non marchand s.str. comme le prix de la fiancée, soit des échanges de troisième type.
Pourtant le bien de prestige peut être également soustrait au réseau actif des transferts lorsqu’il fait l’objet de dons, lorsqu’il compose des dots, lorsqu’il est intégré dans des mobiliers funéraires ou détruit lors de sacrifices à connotation religieuse. Ces pratiques de mise à l’écart et de destruction sont marginales pour notre essai de définition dans la mesure où elles ne permettent pas, seules, de définir un bien de prestige sur le plan fonctionnel mais elles peuvent, pour deux raisons, brouiller les pistes que peut décider de suivre l’archéologue dans ses interprétations.
La première difficulté réside dans la présence conjointe de biens d’usage courant remplissant les mêmes fonctions « politiques » ou religieuses.
La seconde difficulté provient du fait que ces mêmes pratiques ne sont plus exclusivement liées aux sociétés du monde II de Testart mais peuvent se retrouver dans des sociétés étatiques ou des sociétés de classe.
La troisième difficulté relève d’une critique relevant d’une vision fonctionnaliste du modèle. Ce dernier évacuerait les « raisons » des transferts et la charge idéelle et sociale du système. Nous répondrons qu’à la suite de Pareto les sociologues admettent que la sociologie ne commence qu’avec la fin de l’illusion de la transparence du sens des actions à la conscience des acteurs. Alain Testart ne dit pas autre chose lorsqu’il avance qu’il convient :
« de séparer nettement la question de la définition d’une institution de l’étude des fonctions qu’elle remplit ; tout autant, de séparer cette question de l’étude de l’intention que les hommes, des fins qu’ils proposent, et plus généralement ce que l’on peut appeler « l’esprit » de cette institution (…). La question de la définition ne doit pas non plus prendre en considération l’intention avouée des hommes, les fins qu’ils se proposent, le sens qu’ils accordent à une institution et les raisons qu’ils donnent de la trouver bonne. Ce sont là des données idéologiques intéressantes mais sans plus : il conviendrait certes d’en rendre compte à un moment de l’analyse mais on ne saurait les prendre comme point de départ. » (Testart 1996, p.15 et 16).
Terminons par une dernière question d’ordre archéologique. Nous avons vu que la mobilisation de certaines particularités intrinsèques des objets reste insuffisante pour définir un bien de prestige car il s’agit d’une notion ne relevant pas du matériel mais du fonctionnel et que la seule définition que l’on puisse en donner, valable par construction, est celle d’une intégration dans des transferts non marchands, échanges non marchands et échanges de troisième type. Cette situation pose un problème épineux pour la recherche archéologique. Nous devons en effet nous demander comment différentier dans l’analyse des vestiges ceux qui relèvent d’échanges marchands de ceux qui s’en écartent parce qu’ils participent à des échanges non marchands ou à des échanges de troisième type. Nous n’avons pas de solutions simples à proposer pour résoudre cette difficulté, mais au moins soyons prudent lorsque nous parlons de biens de prestiges à propos de certaines de nos découvertes.
Les auteurs évoquent la présence d’échanges marchands comme mécanisme possible de la diffusion des jades. Le terme demande à être précisé. Selon Alain Testart
« Est échange marchand tout échange de marchandises, ou encore tout échange dans lequel les échangistes n’ont pas besoin d’entretenir entre eux d’autres rapports que celui de l’échange ; c’est-à-dire encore un échange qui n’est pas intrinsèquement lié, ni conditionné par un autre rapport entre les protagonistes. » (Testart 2007, p. 134) et
Un échange non marchand est un échange dans lequel les rapports sociaux prédominent, soit « un échange conditionné par un autre rapport social qui le dépasse, à la fois parce qu’il le commande et généralement parce qu’il lui survit. » (Testart 2007, p. 143)
Vu la haute valeur idéelle du jade, il nous semble que ce matériau devait plutôt faire l’objet d’échanges non marchands. Nous pouvons d’autre part probablement exclure les échanges marchands impliquant dans la transaction une valeur tierce de type monnaie de commodité (Testart 2001a et b) dont nous avons aucune trace, le simple troc restant une alternative plausible pour des transactions de ce type.
Cette analyse montre que le caractère idéel et religieux du jade ne permet pas de rejeter les objets réalisés avec ce matériau de la grande catégorie des biens de prestige à vocation sociale. Par rapport au schéma de la figure 6seule la sphère strictement économique peut être exclue.
Fig. 6. Composantes économiques, sociales et politiques de la notion de bien de prestige.
Au plan géographique général nous proposons d’identifier sur la base des travaux de Jadetrois cercles concentriques se dessinant autour du Mont Viso et se superposant aux cercles concentriques identifiés par Christian Jeunesse à propos de la monumentalité funéraire (fig. 7).
Fig. 7. Structure spatiale des sociétés néolithiques des 5e et 4e millénaires d’Europe occidentale par rapport à la diffusion des jades du Mont Viso (en bleu).
Les cercles 1 à 3 correspondent à une phase ancienne regroupant Chambon, Cerny et la culture des bâtisseurs des tombes carnacéennes, toutes composantes situées dans l’horizon 4700 – 4300 BCE. Cette phase est donc la période de diffusion principale des jades alpins.
En effet l’exploitation du jade du Viso commence vers 5500 BCE avec un pic vers 5000-4900 BCE et décline à partir de 4300 pour disparaître après 3700 BCE. Par rapport à ces dates les grands monuments carnacéens se situent entre 4700 et 4300 BCE attestant d’un décalage entre le moment de production maximale du Viso et le maximum de l’arrivée des grandes lames polies en jade alpin dans le Morbihan (Pétrequin et al. 2017, p. 231).
– Le cercle 1 correspond à des sociétés ploutocratiques ostentatoires.
Les cultures ouest-alpines ou subalpines de l’horizon 4800 – 4300 seraient donc le VBQ ancien (Vases à bouches carrées) au sud et la phase ancienne des tombes Chamblandes au nord (plus au nord encore : Mittelneolithikum, avec la séquence Grossgartach – Roessen – Bischheim).
Un horizon postérieur se superpose à cet ensemble. Il est représenté par trois cultures postérieure à 4300 BCE regroupant le Chasséen, le NMB et le Cortaillod qui voient se développer des exploitations de roche à diffusion géographique plus restreinte, soit les haches en néphrites valaisannes (Cortaillod valaisan), les haches en pelite-quartz vosgiennes (NMB) et les haches en cinérite siliceuse de Requista. Dans les Alpes du Nord et le bassin du Rhône se rencontre un quatrième groupe directement impliqué dans la diffusion des jades, notamment au niveau de la réception d’ébauches qui vont subir un premier polissage (haches de type Durrington). C’est à ce groupe probablement chasséen que l’on peut attribuer les sépultures en fosses avec morts d’accompagnement donnant une connotation particulière à ce type de société.
Les données fournies par l’exploitation des pélites-quartz et des cinérites de Réquista confirment cette analyse. A Plancher-les-Mines dans les Vosges l’exploitation majeure des pélites quartz, initiée vers 4500 BCE, se site entre 4100 et 3700 BCE (ibidem, p. 465). Dans le Midi, le mise en place du réseau de diffusion des haches en cinérite de Réquista s’observe dès le Néolithique moyen1 (Mobolo, Chasséen ancien). L’apogée se situe pourtant pendant le Néolithique moyen II (4000-3500 BCE) soit pendant la première moitié du IVe millénaire (Maillé et al. 2016).
Au plan sociétal on peut considérer que ces cultures se situent dans le prolongement des sociétés ploutocratiques ostentatoires, mais la restriction géographique affectant la diffusion des haches et l’apparition de la pratique des morts d’accompagnement signent néanmoins de profonds bouleversements des sociétés.
– Le cercle 2 regroupe des sociétés qualifiées, faute de mieux, de « chefferies », un terme d’attente issu de l’anthropologie nord-américaine fortement critiqué, que l’on devra préciser à l’avenir. Ces sociétés qui se retrouvent sur la Loire et dans le bassin parisien sont à l’origine des grands monuments funéraires de type Cerny. Ce second cercle est le lieu d’un repolissage intense des jades.
– Le cercle 3 correspond aux grands monuments funéraires du Morbihan. Suite à la démonstration proposée, j’admets aujourd’hui que la Bretagne offre une situation très particulière, qui peut difficilement se placer dans le même cadre que les sociétés à richesses ostentatoires et qui se calque sur les cas les plus extrêmes de hiérarchisation des « chefferies » polynésiennes. « Royauté » ne nous paraît pourtant pas le meilleur terme pour connoter cette situation étant donné l’extrême polysémie du terme. Nous avons trouvé exactement le même problème pour l’Afrique de l’Ouest. Comme les auteurs l’indiquent les « royautés » carnacéennes ne correspondent pas aux royautés étatiques de l’Eurasie (auquel ce terme devrait être réservé). Il est également difficile de qualifier de royautés les sociétés de Tonga et des Natchez qui correspondent mieux à la situation carnacéenne.
Nous proposons donc le terme provisoire de « société semi-étatique royale » qui devrait être rattachée au monde II de Testart, mais qui s’écarterait de « sociétés royales » de cet auteur considérées comme étatiques (Testart 2005) et donc des sociétés proprement royales africaines d’Abomey et du Bénin, toutes sociétés où le roi a le monopole de la force. Par référence aux données africaines on peut proposer in fine le terme de royauté sacrée (tab. 3).
Tableau 3. Caractéristiques des trois sociétés « exotiques » retenues par Pierre Pétrequin comme références pour les sociétés européennes engagées dans la diffusion des haches en jade alpin. Astérisques : l’origine divine des leaders doit être partout écartée contrairement à ce que propose Pétrequin (Tableau simplifié d’après Pétrequin et al. 2107, p. 1407).
La question de la royauté sacrée/divine en Afrique a été abordée par Frazer dans Le Rameau d’Or (1èreéd. 1890). Cette interprétation, développée notamment par Luc de Heusch (1958, 1993), a depuis lors été régulièrement critiquée (Seligman 1934 ; Evans-Pritchard 1948 ; Young 1966 ; Cervello Autuori 2001), une critique reprise par Alain Testart (2004-2010) dans le Séminaire.
Le premier grand trait commun des royaumes africains est le maintien de l’organisation lignagère. Cette dernière se combine toujours avec une organisation locale pour former une organisation villageo-lignagère qui se trouve être à la base des administrations territoriales des royautés africaines.
Les traits les plus caractéristiques de la royauté africaine, ici essentiellement ce que nous entendons par royauté sacrée, sont :
Le roi maintient l’ordre cosmique. Il dispense l’abondance alimentaire. Afin que l’abondance soit permanente, chaque année, au rythme du calendrier agricole il faut répéter l’assassinat primordial sous la forme d’un sacrifice humain ou animal. En Afrique cet être sacrifié est le roi-dieu. Ces rois sont des rois qui meurent. Le roi-dieu est assimilé aux plantes nourricières.
Le roi est identifié avec son pays ; il y relation étroite entre les ancêtres royaux et le roi. L’une des principales fonctions des rois sacrés africains consiste à faire venir la pluie fertilisante. Le roi est un être duel du fait de la confluence en lui de l’ordre et du chaos.
La source de la puissance du roi se situe dans l’ancêtre fondateur de la royauté qui vivait durant l’époque primordiale. La transmission de la force ordonnatrice et bienfaitrice est souvent assurée par l’assimilation de chaque roi successif à l’ancêtre fondateur.
Le roi peut être soumis à deux types de sacrifices : le premier est propitiatoire, le second expiatoire.
La royauté sacrée s’accompagne de pratiques funéraires caractéristiques : mise à mort des épouses, des esclaves ou des membres de la suite du roi relevant de la pratique des morts d’accompagnement.
Le modèle du régicide rituel ne s’applique qu’à un très petit nombre de cas, et tout au plus à des États inachevés, où le roi n’est pas vraiment un chef d’État ; il est plus typique de prêtres, dotés de grands pouvoirs spirituels, sans force de coercition, mais c’est alors abusivement que l’on parle de « régicide. L’Afrique permet de réfuter une idée préconçue, que la royauté divine ou sacrée irait nécessairement de pair avec le despotisme. L’arbitraire royal n’est pas synonyme d’absolutisme ou de despotisme, c’est-à-dire de royauté forte (Testart 2004-2010).
Il existe une série d’actes que seul le roi peut et doit effectuer en tant que tel, afin de mettre l’accent sur son statut différent, par exemple des actes tabous pour le reste de la société : inceste et anthropophagie.
Ces prohibitions recouvrent de nombreux aspects de la vie, comme la limitation de la mobilité dans l’espace (par exemple, au palais royal ou au territoire de la communauté), l’extérieur étant dangereux parce que chaotique ou la non participation à la guerre, l’obligation à un régime alimentaire fixe, l’occultation des repas et des nécessités physiologiques, la régulation des promenades, des heures de sommeil, de la toilette, de l’activité sexuelle, du travail physique, des apparitions publiques, du contact physique avec les sujets et avec les morts, de la parole (qui doit être lente), de l’usage de la parole (seulement à certaines heures de la journée), de la marche (très lente), du contact avec le sol, et de l’activité « politique » elle-même (dans les cas de royauté étatique).
On trouve essentiellement trois cérémonies : la succession-couronnement, la confirmation annuelle et la fête de rajeunissement. Le moment de la succession au trône constitue un processus inquiétant et dangereux de rupture de l’ordre, de libération des forces du chaos suivie du rétablissement de l’ordre. Dans les royautés sacrées, la fête du rajeunissement retarde souvent le régicide ; dans les royautés étatiques, elle le remplace en général.
Il existe un lien étroit existant entre le roi et le palais royal conçu également comme une représentation du cosmos.
A ces cinq domaines il faut ajouter éventuellement la détention, par le roi, du pouvoir politico-militaire.
Cervello Autori (2001) et Compagno (2005) ont repris la question de la royauté sacrée/divine en montrant que la royauté égyptienne se rattache clairement au monde africain. En Égypte l’identification du roi mort avec un dieu assassiné ou la fête du rajeunissement au cours de laquelle le roi doit mourir pour renaître et pour se revitaliser et poursuivre ainsi son règne peuvent facilement être expliqués dans une perspective symbolique plutôt que fonctionnaliste, une situation qui s’explique clairement dans un contexte africain.
Cervello Autori distingue par contre deux types de royautés qui pourraient avoir une signification chronologique:
1. La royauté fétiche: caractère éminemment cosmique du roi (= royauté sacrée de Heusch)
2. La royauté étatique: adjonction de pouvoir politique dans le cadre de formation pré-étatiques et dans le cadre d’un État fortement centralisé (royauté divine de Heusch).
Nous reprendrons ici la terminologie de Luc de Heusch.
Dans la royauté sacrée, le pouvoir prolonge celui des « faiseurs de pluies » dont dépend la prospérité du pays. Le roi n’est pas assimilé à un dieu, mais il peut être son descendant. Principe de fécondité il peut mourir et renaître. Le meilleur exemple de cette situation est illustré, dans le bassin du Nil, par les Shilluk. Mais d’autres royautés sacrées de ce type semblent s’être développées en zone sahélienne comme c’est le cas chez les Zaghawa du Tchad.
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