Recherches
Dédicace
Aux sources d’un destin familial
Donation Tessin
Site web réalisé par Lune d’Elle
Pdf de la page
Nous sommes ici face à la question de la mobilisation des informations archéologiques lors de prospections à large échelle.
Le livre présente les résultats de recherches menées entre 2002 et 2005 par les équipes de l’Université de Lille dans les zones proches du Ouadi el-Milk qui, comme le Ouadi Howar, rejoint le Nil dans la région de Debba. La zone explorée se situe donc à l’est du Darfour et au nord du Kordofan au Soudan, dans une région particulièrement isolée, à l’écart du bassin du Nil. Cette dernière est mal connue au plan archéologique, ce qui constitue tout l’intérêt de ce travail.
Le programme de prospection a choisi de se fonder d’abord sur les vestiges les plus spectaculaires, soit sur ceux de la ville de Zankor, mais il est vite apparu que la région était très riche de vestiges, notamment en sépultures tumulaires.
« Une prospection systématique effectuée dans des zones-tests ne pouvait qu’apporter des éléments utiles à une meilleure connaissance du passé du Kordofan ; lors de la prospection autour du djebel Zankor, 420 sites ont été répertoriés, que l’on peut dater s du paléolithique moyen à l’époque moderne. » (p. 11)
Nous n’avons donc aucun choix préliminaire des sites à recenser ou à étudier, ce qui peut se concevoir dans une zone dont l’archéologie est quasi inconnue et où toute découverte peut apporter des informations nouvelles sur le passé. La monographie se présente donc essentiellement comme un catalogue descriptif des découvertes ; elle est un excellent exemple de cette archéologie descriptive pour laquelle on a de la peine à saisir les objectifs scientifiques, en deux mots l’exacte antithèse des prospections menées par Jean-Claude Gardin en Bactriane. L’accumulation d’informations, si minutieuses soient-elles, ne fait pas l’Histoire (Gallay et al.1998 ; Gallay 2016e; Gardin, Gallay à paraître).
Rappelons que les prospections menées par Jean-Claude Gardin en Afghanistan étaient engagées pour répondre à une seule question : quelles étaient les conditions permettant l’apparition et le développement d’une civilisation proto-urbaine puis urbaine dans cette région particulièrement aride.
En Bactriane la stratégie était en effet conçue pour se mettre à l’abri des distorsions dues aux facteurs environnementaux et pour rendre comparables les résultats obtenus dans les différentes zones prospectées.
1. Il convenait d’accorder une attention relative respectivement à l’étude des vestiges d’habitat et au repérage des buttes de canaux. La destruction affecte plus les sites de petites tailles que les canaux. Il faut donc se concentrer sur l’identification et la datation des canaux considérés comme des indicateurs plus résistants de l’activité humaine que les vestiges ponctuels d’habitat.
2. Cette démarche découle d’une hypothèse : l’irrigation artificielle est une condition nécessaire du peuplement dans les zones éloignées des fleuves.
3. Les archéologues disposent d’une bonne séquence céramique pour pouvoir dater les vestiges.
4. Il suffit donc d’un petit nombre de sites voisins d’un canal donné et de quelques tessons sur ces sites pour fonder des attributions assez larges (Bronze, Fer, Achémédite, Hellenistique, etc.).
5. On se concentre donc sur une restitution prioritaire des canaux en recherchant les tracés d’aval vers l’amont et en tenant compte des contraintes topographiques (hypothèse d’une stabilité tectonique holocène). Onrenoncera dans une seconde phase à certaines observations longuement recherchées dans la première phase, tracés des canaux secondaires, vision en coupe des canaux) et on se limitera aux seuls sites permettant de dater les canaux.
L’objectif était donc d’abord de dresser une carte archéologique dessites et des canaux anciens, qui semblent abondants. Les questions qui sont posées sont les suivantes (Gardin, Gentelle 1976):
« De quelle nature était l’espace géographique associé à la ville, pendant la colonisation macédonienne ? Dans quel milieu cette colonisation prit-elle racine, lorsque les Grecs l’entreprirent, aux environs de 300 avantJ.-C.? A quelle forme de peuplement celle-ci céda-t-elle la place,dans la région d’Aï Khanoum, lorsque la ville eut été abandonnée quelque deux cents ans plus tard à la suite de la conquête «nomade» de la Bactriane?» (p. 61)
La situation offerte par la Bactriane reste néanmoins très différence de celle rencontrée dans le Kordofan, puisque les archéologies pouvaient disposer notamment d’une bonne chronologie céramique et de tous les acquis d’une longue tradition de recherches. Plus les données sont nombreuses plus il convient en effet de resserrer les objectifs d’une recherche (fig. 1).
Fig. 1. Rendement d’une prospection en fonction de l’état des recherches concernant la zone retenue.
Loin de nous de critiquer le travail compilatoire méticuleux de Brigitte Gratien et de son équipe, résultant d’un engagement important sur un terrain désertique particulièrement difficile, mais force nous est de constater qu’il m’a fallu un effort de lecture considérable pour tenter de dégager de toutes ces descriptions ce qui fait l’intérêt de ces recherches.
Resté sur ma faim, j’ai voulu tenter de mettre en évidence l’apport des observations réunies notamment pour l’histoire du monumentalisme saharien, un sujet pour lequel les données étaient à ce jour, pour cette région, quasi absentes.
Comme à mon habitude (Gallay 2016a, b, c) je mobiliserai dans ma restitution : les données archéologique, les sources ethnohistoriques, ainsi que les données linguistiques, en ajoutant quelques mots sur ce que nous pouvons dire des types de sociétés auxquelles les monuments peuvent faire référence.
J’ai testé dans un récent article (Gallay 2016d) la pertinence d’une approche intégrant ethnohistoire et archéologie, dans un cadre ethnoarchéologique et linguistique régional. Ce dernier aborde la préhistoire récente et l’histoire préislamique du Soudan depuis le Néolithique et vise à donner une vue renouvelée du développement des civilisations du bassin du Nil moyen et du Kordofan dans le domaine des rites funéraires. Il présente une perspective anthropologique africaniste afin de compléter la vision égyptologique qui domine aujourd’hui l’archéologie de cette région. La démonstration se construit sur trois niveaux successifs : une démarche ethnographique actualiste référée aux contextes linguistiques, une collecte des données paradigmatiques archéologiques et ethnohistoriques et une vision anthropologique qui définit la structure dynamique du phénomène.
Deux ensembles se dessinent, l’un, néolithique, compréhensible dans le cadre de la dynamique du phylum afrasien, l’autre, à l’origine des sociétés pré-étatiques et étatiques (Kerma, Napata, Méroé), qui s’intègrent dans la dynamique du phylum nilo-saharien.
Fig. 2. Données archéologiques et linguistiques disponibles pour comprendre la situation observée dans le Kordofan.
Quelques propositions générales sur l’évolution des sociétés sont exprimées.
On peut admettre une séquence sociétés lignagères (pastoralisme) – hiérarchisation (agriculture) – cité-État/compétition – État/despotisme (hydro-agriculture). Le dernier terme de cette séquence n’entre pas en ligne de compte pour le Kordofan.
Les sociétés nilo-sahariennes témoignent d’une évolution vers des formations étatiques despotiques qui atteignent leur état d’équilibre dans la vallée du Nil avec Napata puis Méroé. Cette séquence n’est pas théorique, mais découle de l’analyse des scénarios locaux. Elle est donc contextualisée et peut fournir un cadre de réflexion susceptible d’être enrichi par des faits complémentaires. On peut considérer ce développement comme un phénomène spécifiquement africain sur lequel se greffent les influences venues d’Égypte, dont l’impact reste pourtant limité dans les périodes précédant l’instauration d’un État despotique. Le passage à l’État se couple avec l’hydro-agriculture qui, dans le contexte géographique envisagé, est indispensable.
La séquence historique – hiérarchisation des lignages, cité-État/royauté divine, État despotique, effondrement –, construite sur une base empirique locale, correspond donc à une trajectoire qui pourrait avoir une certaine généralité.
Le phénomène de l’évolution de la tombe individuelle en fosse à la tombe sous tumulus relève plus de l’histoire du peuplement et des relations entre groupes linguistiques et rites funéraires que d’un processus évolutif général.
Les données archéologiques montrent qu’il est possible d’opposer dans un premier temps les sépultures individuelles en fosse, avec corps en position contractée, comme un phénomène ancien lié aux populations afrasiennes, aux sépultures individuelles sous tumulus, caractéristiques des populations nilo-sahariennes. Nous pouvons donc distinguer un premier ensemble issu d’une évolution locale, en relation avec les populations afrasiennes de la vallée du Nil responsables de la maîtrise de la culture du sorgho. En son sein se développent des inhumations en fosse issues des traditions mésolithiques L’apparition de morts d’accompagnement révèle une première hiérarchisation des lignages alors que la richesse en bovinés sert essentiellement dans le cadre des transactions matrimoniales. Ces populations témoignent d’un expansionnisme lié aux périodes d’instabilité climatiques, d’abord en direction de l’Égypte (Érythraïque) et de l’Éthiopie (Omotique) lors du premier Aride post-holocène) puis, lors du second Aride, à nouveau en direction de l’Éthiopie (couchitique) ainsi que du bassin du Tchad (tchadique).
Le second Aride holocène voit également l’occupation de la vallée du Nil par des populations nilo-sahariennes qui vont propager un nouveau type de sépulture sous tumulus. Elles seront à l’origine du développement qui mènera aux formations pré-étatiques et étatiques dans un environnement où subsistent les populations afrasiennes. Dans cette trajectoire Kerma témoigne encore d’une société où s’affrontent divers lignages en quête d’un pouvoir fondé sur leurs richesses en dépendants (morts d’accompagnement) et en troupeaux (bucranes associés aux tombes). Mastaba et pyramides constituent par contre un phénomène surajouté témoignant d’influences égyptiennes, par moments dominantes, sur les formations relevant d’États désormais consolidés comme Méroé (Rilly) ainsi qu’entre Est-sahélien (Ehret) et soudanique-oriental-Nord. L’interprétation phylogénétiquede ces classifications permet de placer dans les arborescences les séquences de Nabta Playa (à partir de 8000 BCE) et du Wadi Howar (à partir de 4000 BCE (fig. 3 à 5).
Fig. 3. Corrélation entre les classifications du phylum nilo-saharien d’Ehret et de Rilly permettant d’établir l’équivalence entre soudanique-Nord (Ehret) et soudanique-oriental (Rilly).
Fig. 4. Expansion des langues du phylum afro-asiatique. Cadre rouge : zone prospectée.
Fig. 5. Expansion des langues du phylum nilo-saharien. Cadre rouge : zone prospectée.
Je suivrai un ordre chronologique en me demandant : quelle histoire pouvons-nous raconter à travers des épisodes identifiés au Kordofan, par ailleurs sans continuité chronologique.
La référence de la séquence du Wadi Howar reste ici essentielle pour comprendre cette dynamique historique. Retenons pour cette région un scénario en quatre phases.
– Phase 1 (5000-4000 BCE)
Phase humide. Chasseurs cueilleurs consommant également des poissons et des mollusques. Céramique de type dotted wavy line et Laqiya (VIe-Vemillénaire BCE).
La céramique est présente, mais l’économie reste encore prédatrice. De récentes données suggèrent que cet horizon pourrait remonter à la fin du viieet au début du viemillénaire (Salvatori et al.2016, p. 129 ; Salvatori, Usai 2006-2007).
– Phase 2 (4000-2200 BCE)
Assèchement du Wadi Howar. Repli du peuplement le long du Wadi. Élevage de bovidés et introduction des ovicapridés vers la fin de la période. Les céramiques Leiterbandet Halbmonleiter band sont caractéristiques de cette période. Dans la partie inférieure du wadi, la céramique herringbone (céramique à chevrons) témoigne de contacts avec la vallée du Nil. Selon Rilly, l’immigration des populations de proto-Est soudanique originaires des zones septentrionales du désert égyptien daterait de cette période.
Une économie de production s’est établie, des pasteurs occupent les territoires du Wadi Howar.
– Phase 3 (2200-1100 BCE)
Horizon Handesi. Assèchement saisonnier du wadi dans son cours supérieur et de quelques autres endroits de son cours, quasi permanent ailleurs. Prépondérance des ovins et des caprins. Âne connu au Soudan au moins depuis 2500 ans permettant des déplacements plus faciles.
– Après 1100 BCE.
La région cesse définitivement d’être habitable, à l’exception du haut bassin situé en bordure de l’Ennedi.
Tabl.1. Corrélation des scénarios reconstruits avec les phases climatiques holocènes. En gras, déplacements probables de certaines populations.
A cause des changements climatiques, le Wadi Howar inférieur semble avoir été complètement abandonné au second millénaire BCE alors que l’occupation de la partie moyenne continue jusqu’au premier millénaire BCE. Jean Claude Rilly (2009, 2010) et Gerrit Dimmendaal (1984, 2007) permettent de comprendre la diaspora issue de cette région du fait des dégradations climatiques, diffusion concernant les populations rattachables à la famille Est-Soudanique du phylum nilo-saharien.
Dans ce scénario le peuplement du Dafour-Kordofan antérieur à la diffusion de la langue arabe regroupe des populations de langue tama et proto-nubienne auxquelles il est possible d’attribuer les vestiges découverts (fig. 6, 7).
Fig. 6. Classement phylogénétique des langues est-soudaniques issues de la diaspora du Wadi Howar dans la deuxième moitié du 3ème millénaire BCE. La zone grisée correspond au domaine couvert par les prospections. Schéma Alain Gallay.
Les sites néolithiques restent peu nombreux et livrent des tumulus de pierrailles d’un diamètre de 2 à 5 m. La moitié d’entre eux sont précédés d’une allée bordée d’une double rangée de pierres levées ou stèles, sur le côté méridional de préférence, allée de plusieurs mètres de longueur (ABS V). On a également décrit une zone de 20m de long couverte de rangs de pierres levée de 0.8 à 1 m de haut. Deux dates situent cet ensemble entre 3900 et 2100 BCE.
On peut rattacher à cette période des gravures de bovidés domestiques sans bosse à grandes cornes en lyre vues de face (de type sanga ?). La présence de la girafe, animal reconnu comme appartenant à l’une des rares espèce ayant pu survivre ponctuellement aux phénomènes de désertification, l’absence de la grande faune sauvage africaine, comme l’éléphant, paraît indiquer que les gravures ont été réalisées au moment où la région subissait une dégradation climatique (ABS I et II).
Rappelons que cette époque correspond dans la vallée du Nil au Kerma ancien (2500-1500 BCE). Le Darfour-Kordofan restera à l’écart des formations proto-étatiques et étatiques de la vallée du Nil pendant la plus grande partie de son histoire, les connexions culturelles restant, aux dires des auteurs, quasi inexistantes.
Les sépultures tumulaires persistent et peuvent s’associer à des enceintes circulaires comme à Abou Sofyan II (ABS II). Certaines gravures présentant des guerriers portant des lances ou des hallebardes à lame triangulaire font penser à des gravures de l’ouest saharien (Tibesti, Aïr).
Dans la vallée du Nil, cette période correspond au royaume de Napata et la fondation de la XXVème dynastie dite nubienne ou kouchite (747-656 BC).
Dates des premiers bovidés domestiques das la région du Wadi Howar (http://chaz.org/Courses/Nile/Predynastic_Egypt.html).
Cet épisode, illustré par l’agglomération fortifiée de Zankor, constitue une parenthèse originale, à la fois par son développement « urbain » et par ses sépultures tumulaires de grandes dimensions associant brique crue et brique cuite, un matériau très inhabituel en milieu saharien, qui ne sera plus utilisé par la suite.
Mis à part un très vaste champ tumulaire correspondant à la ville antique (ZK 1012) une vaste nécropole constituée de tombes assez éparses aux superstructures en briques, grès ou schiste, a été installée à proximité du rempart de la citadelle. Les pierres qui constituent les superstructures étant issues du pillage de la clôture, celles-ci sont donc postérieures à l’occupation de la ville. Ces échantillons font états d’une occupation s’étendant sur près de trois siècles, soit du début du IVème siècle au début de notre ère.
Le cimetière comporte des tumulus de très grandes tailles construits de briques crues et de briques cuites. Plusieurs des tumulus de très grandes tailles sont eux-mêmes entourés de tumulus secondaires aux superstructures plates, et de tailles inférieure (AB 1). Les dates situent cet ensemble entre 300 et 120 BCE.
Cette période correspond dans la vallée du Nil au royaume de Méroé et au transfert de la nécropole royale de Napata à Méroé. Les auteurs insistent sur l’absence de connexion entre la culture de Zankor et la vallée du Nil. La question des briques interpelle pourtant. La brique crue est connue dès le Kerma ancien (Bonnet 1990), mais on notera que la brique cuite apparaît dans la construction des pyramides de Méroé au IIIème siècle BCE, soit à la même époque que dans la culture de Zankor.
Point crucial, la question de l’esclavage : l’Égypte recevait des esclaves de Nubie constituant soit des prises de guerre, soit des tribus (Renault, Daget 1985). Le Darfour-Kordofan reste à l’écart de ce flux sud-nord, mais pouvait déjà, à l’époque, servir de lieu de prédation de la part des États de la vallée du Nil comme ce sera le cas plus tard. Le développement urbain de la culture de Zankor ne peut se comprendre par rapport à cette logique esclavagiste et se situe dans la problématique des cités-États, un concept d’ailleurs très flou, et l’apparition d’une certaine hiérarchisation sociale difficile à préciser.
Aucun vestige rattachable à cette période n’est identifié alors que la région subit, semble-t-il, de nombreux raids esclavagistes.
Après le déclin de Méroé, trois royaumes chrétiens se forment au VIème AD : ceux de Makurie et de Nobatie, qui s’unirent ensuite pour former le royaume de Dongola et celui d’Aloa (ou Alodie), plus au sud. Selon le récit d’Ibn Selim, le chef d’Aloa possède de vastes territoires au sud et à l’ouest qui doivent être habités par une population nomade et non-chrétienne ; si la vallée est chrétienne, vers l’an 1000, les déserts restent païens.
Le commerce des esclaves va s’intensifier dès le XIIème siècle. Les États pratiquaient le commerce des esclaves, à partir des ressources du Kordofan et du Darfour aux XIIème et XIIIème siècle. Le royaume de Makouria, en 1276 paie le tribut baqt, dont plusieurs centaines d’esclaves envoyés au Caire. Alors que les Arabes prennent le contrôle du nord de la Makuria, le royaume de Dotawo subsiste en Basse-Nubie ainsi que d’autres petits royaumes.
Le XIVème siècle s’illustre par contre par une grande quantité de vestiges découverts. Parmi ces derniers il convient de signaler les nombreuses nécropoles associant de grands tumulus constitués de pierrailles et inscrits dans un champ quadrangulaire de pierres dressées muni de quatre antennes et de simples tumulus de plus petits diamètres.
La tombe ZK1022A de Zankor peut servir de référence pour ce type de monument.
Le tumulus se dresse au centre d’un quadrilatère de 35 sur 40 m de côté constitué de blocs et de dalles à l’origine posés verticalement et fichés dans le sol de 0.30 à 0.90 m de haut. Elles sont régulièrement distribuées pour former des alignements ainsi que quatre allées partant des points cardinaux vers le centre. Quatre antennes complètent cet arrangement (fig. 8).
La fosse d’inhumation est ovale (1.60 x 1.40 m), le défunt déposé à 2.60 du sol. Le mobilier se limite à un cadre de lit, sans pied, en matériaux périssables et à des éléments de parure. Le corps inhumé sur une armature de bois constituée de trois branches disposées parallèlement et reliées entre elles par une quatrième pièce de bois située sous la tête du défunt. Cet assemblage a servi de support à une natte composée d’éléments végétaux comparables à des roseaux. L’ensemble est recouvert d’une couverture de peau sur laquelle le corps était déposé, ceint d’un linceul tissé.
Ce phénomène semble être caractéristiques des siècles précédant l’introduction de l’Islam dans la région. Ce texte pourrait parfaitement s’appliquer au Darfour-Kordofan :
« Ce qui est intéressant est l’apparent renforcement de diverses traditions funéraires de type tumulaire dans plusieurs régions d’Afrique au cours de la période qui s’écoule entre la naissance de l’Islam et l’arrivée de ses idées et prescriptions dans ces régions. Dans chacun des cas évoqués, les tumulus sont des monuments imposants dont la réalisation a nécessité une mobilisation importante de main d’oeuvre (…). Il y a là l’indice d’un statut social important permettant une accumulation de richesses et un train somptuaire dont témoigne (parfois) le mobilier funéraire. Le nombre et la distribution des monuments, dessinent une maille serrée sur le territoire, plaide en faveur d’une élite de type aristocratique ou seigneuriale en cours de formation, déjà bien différenciée du reste de la société, mais encore peu centralisée. » (Fauvelle-Aymar 2013, p. 116)
On retrouve ce phénomène en Éthiopie à une époque légèrement plus ancienne dans la culture Shay (Fauvelle-Aymar, Poissonnier 2012 ; Gallay 2016a).
L’explication de la situation observée au Darfour-Kordofan pourrait se trouver dans la mise en place d’un commerce des esclaves directement géré par les élites de la région, qui passeraient du statut de population razziée à celui de population prédatrice et exportatrice, les deux phénomènes ne s’excluant du reste pas. Les esclaves constitueraient alors la principale richesse de l’aristocratie du Darfour-Kordofan et les Mont Nuba la principale zone refuge.
Replacé dans son contexte international, la situation serait alors la suivante.
Au XIVe siècle, à la suite d’assauts répétés, la Nubie tombe sous la souveraineté égyptienne et un gouverneur musulman s’installe dans la capitale, Dongola. Le tribut continue à être versé, et sans doute de façon plus stricte maintenant que le pays se trouvait conquis : il constituait essentiellement en esclaves. A la même époque, l’historien Ibn Kaldum (1332-1406) donne cette caractéristique des habitants de la région : c’est d’eux que l’on tire les esclaves. Ces mots, qui traduisent une réputation bien établie, dépassant l’allusion au simple versement d’un tribu : ils révèlent l’existence d’une exportation régulière et plus importante qu’ailleurs. Celle-.ci trouvait se sources dans les régions bordant le sud de la Nubie : Darfour, Kordofan et Sennar (Renault, Daget 1985, p. 40).
Des routes d’exportation se dessinent alors directement en direction du Caire sans passer par la vallée du Nil, par les oasis de Sagoui, Selimeh (Selima) et Kargha, routes qui seront reprises par la suite au niveau de la traite arabe (fig. 9).
L’islam arrive par les routes commerciales d’Égypte au nord-est, probablement dès le XVème -XVIème siècle. La région prospectée ne livre plus alors de monuments funéraires.
Plus à l’ouest, au Darfour, trois dynasties se succèdent d’après la tradition orale : Les Dajous (dans la moitié sud jusqu’au Tchad et au Kordofan), les Tounjours (dans la moitié nord) et les Kayras/Fours (au centre).
Selon Brigitte Gratien ;
« Le sultanat du Darfour était une royauté sacrée comme au Mali ou au Songhaï, caractérisée de l’accession des audiences par intermédiaires, une possibilité de régicide royal et l’importance du rôle des femmes de la famille royale, les épouses et les sœurs. La structure païenne et tribale du royaume Four subsiste mais, progressivement, est convertie par des éléments islamiques. » (p. 10)
Ces informations demanderaient à être approfondies pour ce qui touche le Darfour. Le Mali et le Songhaï ne sont pas des royautés sacrées dans le sens donné à ce terme par Frazer, puis Evans-Pritchard, pour les Shilluk par exemple. On sait par contre que la royauté zaghâwa, à l’ouest du Darfour, présentait certaines caractéristiques d’une royauté sacrée (Cuoq 1984, p. 25-26 et p. 233-235).
BONNET, C. (éd) 1990. Kerma, royaume de Nubie (catalogue d’exposition : l’antiquité africaine au temps des pharaons, Genève, Musée d’art et d’histoire, 14 juin-25 novembre 1990). Genève : Musée d’art et d’histoire.
CUOQ J. H. 1984. Histoire de l’islamisation de l’Afrique de l’Ouest des origines à la fin du XVIe siècle. Paris : Librairie orientaliste Paul Geuthner.
DIMMENDAAL G. 1984. Historical linguistics and the Comparative study of african languages. Amtsterdam, Philadelphia : John Benjamins publishing company.
DIMMENDAAL G. 2007. The Wadi Howar diaspora: Linking linguistic diffusion to palaeoclimatological and archaeological findings. In : Bubenzer O., Bolten A., Darius, F. (éds). Atlas of Cultural and Environmental Change in Arid Africa. Cologne: Heinrich-Barth-Institut, p. 148-149.
FAUVELLE-AYMAR F.-X. 2013. Le rhinocéros d’or : Histoires du moyen-âge africain. Paris : Alma.
FAUVELLE-AYMAR F.-X., POISSONNIER B. (éds) 2012. La culture Shay d’Ethiopie (Xe-XIe siècle). Recherches archéologique et historiques sur une élite païenne. Paris : de Boccard et Centre français des études éthiopiennes (Annales d’Éthiopie, hors série, 3).
GALLAY A. 2016a. Monumentalisme et populations de langues est-couchitiques en Ethiopie 2 : une approche historique. In : Jeunesse C., Le Roux P., Boulestin B. (éds). Mégalithisme vivants et passés : approches croisées. Oxford : Archaeopresse publishing ltd., p. 219-244.
GALLAY A. 2016b. Construire une paléoanthropologie. Archeologia Polski 60, p.39- 51.
GALLAY A. 2016c. Monumentalisme africain. L’archéologue, 126 (juin-juillet-août 2013), p. 52-59.
GALLAY A. 2016e. Jean-Claude Gardin et les stratégies de recherches en Archéologie (CAA, Paris, session 01, 6 juin 2014 : Toward a history of archaeological computin). Les nouvelles de l’archéologie 14. Dossier jean-Claude Gardin sous la direction de François Djindjian et Paola Moscati, p.14-21.
GALLAY A., HUYSECOM, E., MAYOR, A.. 1998. Peuples et céramiques du Delta intérieur du Niger (Mali) : un bilan de cinq années de missions (1988-1993).Mainz : P. von Zabern (Terra Archaeologica, 3).
GARDIN J.-C., GALLAY A. à paraître.Stratégie pour l’archéologie.Gollion : Infolio.
GARDIN J.-C., GENTELLE P. 1976. Irrigation et peuplement dans la plaine d’Aï Khanoum de l’époque achéménide à l’époque musulmane. Bulletin de l’École fr. d’Extrême-Orient, 63, p. 59-110.
RENAULT F., DAGET S. 1985. Les traites négrières en Afrique.Paris : Karthala.
RILLY, C. 2009. From the Yellow Nile to the Blue Nile : the quest for water and the diffusion of Northern East Sudanic Languages from thre fourth to the first millenia BCE. ECAS 2009 (3rd European Conference on African Studies, Panel 142: African waters – water in Africa, barriers, paths, and resources: their impact on language, literature and history of people). Leipzig, 4 to 7 June 2009.
RILLY C. 2010. Le méroïtique et sa famille linguistique. Louvain : Peeters (Afrique et langage, 14).
SALVATORI S., USAI D. 2006-2007. The Sudanese Neolithic revisited. Cahiers de recherches de l’Institut de papyrologie et d’égyptologie de Lille,26, p. 323- 333.
SALVATORI S., USAI D. LECOINTE Y. (éds) 2016. Ghaba : an Early Neolithic cemetery in Central Sudan.2 vol. Frankfurt a. Main : Africa magna.