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Aux sources d’un destin familial
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Le livre de D’Arcy Thomson m’a interpelé, car, selon Philippe Descola (2014), cet ouvrage aurait influencé la conception du structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Il me semblait donc important d’approfondir cette question, d’autant plus que l’ouvrage du paléontologue écossais trouvait un certain écho dans les travaux d’André Leroi-Gourhan (1983) sur la mécanique crânienne.
Selon Descola :
« Lévi-Strauss fait un usage de la transformation dans deux sens bien différents qui se rapportent à deux traditions morphogénétiques distinctes, celle du biologiste D’Arcy Wentworth Thomson dont il se réclame explicitement, et celle de Goethe vis-à-vis duquel il demeure beaucoup plus discret et qui ma directement inspiré. La transformation de type Goethéen est celle que Lévi-Strauss met en œuvre dans les structures élémentaires de la parenté. (…) (p. 229-230).
Cette arborescence des formes de mariage ressemble tout à fait aux variations méthodiques d’une Urform au sens de Goethe, en l’espèce l’échange des femmes gouvernée par le principe de réciprocité. (p.231)
« Par contraste avec cette conception des variations comme développement d’un prototype complexe. Lévi-Strauss adopte dans l’analyse des mythes une toute autre approche de la variation pour laquelle il dit s’inspirer de D’Arcy Thomson. » (p. 231)
Johann Wolfgang von Goethe a découvert, à travers son « jardinage abstrait », le « Urpflanze« , la «plante», un prototype idéal qui contient toutes les plantes du passé et du futur. À partir de cela, il conçoit un mode de connaissance stéréoscopique dans lequel la simultanéité et la succession apparaissent. Il nomme ‘Urform’ ou ‘Urphänomen’ le modèle plus général extrait de cette stéréo-conception. Cette dernière regroupe les formes de base et toutes leurs métamorphoses futures.
Goethe s’intéresse à la botanique et publie un essai sur la métamorphose des plantes : Versuch die Metamorphose der Pflanzen zu erklären (1790). Dans celui-ci, Goethe tente d’établir une théorie générale sur la morphologie des végétaux en reconnaissant l’analogie de certaines formes comme les cotylédons, la forme des fleurs ou des feuilles. Il esquisse également une théorie de l’évolution chez les végétaux et relie la morphologie avec la phylogénie. Cette vision est très en avance sur les idées généralement tenues sur les végétaux à son époque. Il est ainsi l’un des premiers (et peut-être le premier) à employer le terme de métamorphose en botanique. Les préoccupations de Goethe dans ce domaine étaient surtout philosophiques. Il cherchait à identifier l’Urpflanze, la plante originelle.
Il est intéressant de constater que Philippe Descola se réfère à cette conception pour formuler les différentes « ontologies » qu’il propose pour rendre compte des relations entre l’Homme et la Nature.
http://www.archeo-gallay.ch/recherches/descola-p-2005/
On notera que les ensembles identifiés comme autant de prototypes originels ne débouchent sur aucune tentative d’explication et que les répartitions spatiales identifiées sont des sortes d’archipels dont les rapports à l’histoire restent inconnus.
La transformation, dans les travaux d’analyse structurale des sociétés humaines de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, désigne le passage d’un phénomène collectif (un fait social à un endroit et moment donné) à un autre, étudiés en tant que système, par permutation d’éléments et/ou de relations autour de l’invariant que constitue la structure. Ce concept emprunté aux mathématiques et aux sciences naturelles est l’un des fondements de l’anthropologie structurale. Lévi Strauss l’a appliqué principalement à l’étude des mythes. Si L’anthropologue s’est inspiré en partie du modèle mathématique et géométrique de transformation, c’est essentiellement à partir des sciences naturelles et plus précisément de travaux du biomathématicien de D’Arcy Wendorf Thomsons, qu’il forge sa propre conception.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Transformation_(anthropologie_structurale)#cite_note-2
« Elle me vient d’un ouvrage qui a joué pour moi un rôle décisif et que j’ai lu pendant la guerre aux États Unis : On Growth and form, en deux volumes, de Wendorf D’Arcy Thomson, paru pour la première fois en 1917. L’auteur, naturaliste écossais (..) interprétait comme des transformations les différences visibles entre les espèces et les organes animaux ou végétaux au sein d’un même genre. Ce fut une illumination, d’autant que j’allais vite m’apercevoir que cette façon de voir s’inscrivait dans une longue tradition : derrière Thomson, il y avait la botanique de Goethe, Albert Durer avec son Traité de la proportion du corps humain. » (Lévi-Straus, Eribon 1990, p. 160-161).
L’ouvrage est le témoin d’une très large culture à la fois classique, mathématique et zoologique
Les trois disciplines, lettres classiques, mathématiques et zoologie, y sont profondément intégrées :
Lettres classiques : l’ouvrage est sans conteste la meilleure œuvre en langue anglaise de toutes les annales de la science.
« Mathématiques : d’Arcy Thomson énonce clairement son objectif premier : « une certaine approche mathématique de la morphologie (est) utile, sinon indispensable à la compréhension et à l’étude de la forme et de la croissance ».
Zoologie : l’auteur, zoologiste de formation, était un spécialiste des invertébrés. Son traité reste avant tout l’exposé d’une théorie biologique.
L’approche trouve son inspiration dans la physique au sens large
La forme des organismes est directement imposée par l’action des forces physiques (par opposition aux forces internes et génétiques). Le terme de « force » est le terme adapté à la conception des facteurs responsables de l’établissement et des modifications de la forme. Les classements proposés sont fonction des caractéristiques mécaniques comme c’est le cas pour l’architecture des ponts et des ouvrages d’art.
Les facteurs héréditaires et les conceptions biologiques en relation avec les théories de l’évolution sont marginalisées.
D’Arcy Thomson s’est consacré aux questions des forces physiques telles qu’elles peuvent s’appliquer aux organismes considérés comme des matériaux. L’aspect fonctionnel de la forme surpasse de loin en importance tout ce qui concerne les parentés et autres arbres généalogiques. Cette perspective marginalise les explications issues du Darwinisme, notamment dans ses explications des modifications graduelles des organismes.
Explications du physicien
Analyse mathématique des propriétés de la matière >explication
Explication du biologiste : monde vivant
> Contexte L/T (succession de le temps et répartitions spatiales)
>Hérédité
> Adaptation fonctionnelle, moins bon, meilleur cf. environnement
> Lignées évolutive (phylogénie)
> Récapitulationnisme
Complexité physique et mathématique : temps évacué
Distincte de :
Concepts évolutionnistes difficiles à évaluer
La perspective descriptive est de type géométrique
L’auteur s’appuie sur des séries de transformations géométriques pour faire surgir des similitudes entre des organes des différentes espèces apparentées.
Il applique une terminologie mathématique à la description et à la définition des formes des organismes et ne se soucie que de la simplicité géométrique du type de transformation des coordonnées et n’accorde aucune attention à la complexité de l’organisme soumis à cette transformation.
La morphologie, selon le terme introduit par Goethe, ne représente qu’une fraction infime d’un domaine beaucoup plus vaste : celui de la science des formes.
Un système de coordonnées sert de référentiel pour comparer les diverses formes
Cette étape consiste à modifier ou à déformer un système de coordonnées orthogonales, puis à étudier la transformation correspondante de la courbe ou de la figure inscrite dans le repère de coordonnées initial.
Il s’agit de s’affranchir de maintes hypothèses de causalité biologique couramment admises et bien plus compliquées selon une sage maxime de la physique selon laquelle il convient de considérer qu’il ne faut pas attribuer aux effets conjugués de nombreuses causes un phénomène qu’un nombre restreint de causes suffit à expliquer. Les nouvelles figures obtenues représentent les figures d’origine qui auraient subi une contrainte plus ou moins homogène ayant modifié les coordonnées initiales.
On peut distinguer deux stratégies distinctes l’une pour les organismes de petites tailles, l’autre pour ceux de grandes tailles.
Pour définir la forme il est nécessaire de connaître sa grandeur, réelle ou relative, dans les diverses directions de l’espace. En science physique, la notion d’échelle de grandeur absolue s’impose par sa réalité et son importance.
Il convient donc de distinguer les organismes de très petites tailles façonnées par des forces de tension superficielle (forces de surface) et les organismes des grandes tailles soumises aux forces de gravité. Seul le deuxième groupe nous intéresse ici.
On se limite ici à des comparaisons au niveau de formes apparentées
Le choix de la méthode, tout autant que la nature du problème étudié, nous oblige à nous limiter à des organismes dont la parenté est manifeste et qui appartiennent à la même classe zoologique.
Cette méthode peut également s’appliquer à la reconstitution de structures hypothétiques, dont on suppose qu’elles dérivent d’une forme connue par le biais d’une variation de nature bien définie.
La compréhension des transformations se situe dans la recherche des formes antécédentes
L’étude de la forme peut rester descriptive, ou devenir analytique. Dans chaque situation, on décrit d’abord la forme d’un objet à l’aide de mots simples de la vie courante : parvenu au terme de cette étude, on la définit dans le langage précis des mathématiques ; car la méthode analytique tend effectivement à succéder à la méthode descriptive dans le strict cours de la pensée scientifique aussi bien que dans l’histoire.
Cette approche ne débouche en aucun cas sur une explication causale et encore moins sur un concept téléologique de cause finale.
La compréhension des phénomènes se situe au niveau les liens unissant formes antécédentes et formes dérivées.
Il s’agit de comprendre la forme particulière d’un organisme à la lumière de celle de ses ascendants immédiats, qui découle elle-même de celle de leurs ancêtres et ainsi de suite jusqu’à ce qu’une chaîne épigénétique puisse être établie, cette démarche constituant le fondement de l’embryologie causale.
La mise en évidence d’une dynamique des transformations pose la question de la phylogenèse.
Les modifications de forme ne se manifestent pas tant par des phénomènes de peu d’envergure et isolés, dans telle partie de la structure ou telle autre, mais plutôt par un changement lent, général, plus ou moins uniforme et progressif, d’un certain nombre de parties liées de la structure, englobant parfois des parties importantes du corps et même de l’organisme tout entier.
Cela incite à un réexamen critique des critères – et ils sont vagues – selon lesquels on établit un lien entre classification et phylogénie.
Le physicien donne ses explications en termes de propriétés de la matière et effectue ses classifications d’après une analyse mathématique. Mais aussitôt que de telles formes, de telles configurations et de telles conformations se manifestent en sein du monde vivant, le biologiste sort son arsenal de concepts sur l’hérédité, l’évolution au cours de l’histoire, la succession dans le temps, la récapitulation des lignées ancestrales au cours de la croissance individuelle, les origines communes (à moins qu’elles soient prises en en défaut par une preuve directe) de formes semblables séparées géographiquement, dans l‘espace ou géologiquement, dans le temps, l’adaptation à une fonction ou à un environnement, les concepts de supériorité, d’infériorité, de « meilleur » ou de « moins bon ». C‘est là que réside la différence fondamentale entre les « explications » du physicien et celles du biologiste.
Cette perspective permet de passer aisément du concept mathématique de forme dans son aspect statique à celui de forme dans ses relations dynamiques.
Tout phénomène naturel, si simple qu’il paraisse, est en réalité composite, et chaque action, chaque effet visible est en réalité la somme d’un nombre indéfini d’actions sous-jacents. C’est ici que s’exprime le pouvoir tout particulier des mathématiques : celui de combiner et de généraliser.
L’approche permet une discrète ouverture en direction des gènes du développement
Quoique sous une forme plus sommaire certains embryologistes modernes ont repris le concept de transformation à leur compte et accordent aux premiers stades de la croissance une signification « plus prospective » que « rétrospective ». Selon eux, les phénomènes de l’embryologie doivent être directement rattachés à leur utilité dans l’édification du corps du futur animal (Thom 1974).
L’analyse des crânes des hominidés ne permet pas de dégager une phylogenèse cohérente
La comparaison des crânes de gorille ou de chimpanzé avec celui de l’être humain permet de souligner une faiblesse inhérente à la méthode de comparaison des crânes, propre aux anthropologues : l’utilisation d’un nombre trop réduit d’axes de références.
Lorsque l’on passe des crânes des êtres « inférieurs » à ceux des représentant « supérieurs », il semble que les zones correspondantes des différents types de crânes grandissent selon une progression logarithmique dans les deux dimensions : tant du haut vers le bas que de l’arrière vers l’avant. Les modifications des mâchoires, de la boîte crânienne et de régions qui les séparent sont autant de manifestations d’un seul processus global et continu
L’étude a montré que les axes rectilignes ne conviennent en réalité qu’à l’étude des transformations les plus simples entre les structures les plus proches ; il n’existe pas d’axe rectiligne dans la représentation d’un crâne anthropoïde qui soit l’homologue d’un axe rectiligne dans celle du crâne humain : bien au contraire ce qui est une ligne droite chez l’un devient une courbe bien définie chez l’autre.
Il semble ainsi impossible de construire une série de transformations continues des crânes préhumains au crâne humain. La faute n’en incombe pas à la méthode retenue. Cela indique simplement qu’il n’existe pas de descendance directe, ou de série de transformations consécutives, mais que, entre les types humains et anthropoïdes récents ou disparus existe au contraire un problème complexe de variation divergente, et non pas une continuité. Il n’est pas difficile non plus de percevoir que la série n’est pas continue, au sens strict, et qu’aucun de nos deux singes ne se situe sur la ligne directe ni au sein d’une même série de déformations qui permettraient d’établir un lien hypothétique avec l’homme.
L’analyse de Leroi-Gourhan, plus récente, fait immédiatement penser à celle de D’Arcy Thomson bien que cet auteur ne soit pas mentionné et ceci malgré une conception différente qu’il convient d’analyser.
L’approche trouve son inspiration dans la physique au sens large
La paléontologie est une science expérimentale sur le passé dont les lois sont suffisamment développées pour orienter, du général au particulier, vers la constatation de phénomènes cohérents.
Le mot « démonstration » est certainement un de ceux qui dominent la pensée scientifique du Siècle des Lumières. Les sciences naturelles, comme la physique et la chimie, comme l’architecture, y sont invitées à rechercher des lois de l’ordre universel dans un esprit qui, s’il n’emprunte pas toujours directement ses méthodes aux mathématiques, en subit indirectement l’influence. Le monde apparaît déjà comme résoluble dans un ciment d’équations.
La meilleure démonstration qu’on puisse donner du caractère « exact » de la paléontologie que, suivant l’expression de Theihard de Chardin, « l’apparition du fossile au rendez-vous du savant », démonstration qui rappelle irrésistiblement le rendez-vous des planètes au point mathématique fixé par l’astronome.
Une approche mécanique
Les trois ouvrages (Documents pour l’art comparé d’Eurasie septentrionale, Archéologie du Pacifique nord, Évolution et techniques) ont en commun la recherche d’une systématique de l’évolution des formes.
Le corps présente une cohérence mécanique propre à un équilibre fonctionnel posé par l’influence des activités manuelles sur la posture et la forme du crâne.
Il existe une charpente propre à la suspension du crâne influençant la fonction dentaire. Les pressions dentaires viennent s’exercer sur le socle maxillaire et l’arrière-crâne. Une charpente d’appui propre à les absorber s’inscrit donc trois tracés de suspension, de traction et d’appui.
L’établissement d’un tracé suppose des points fixes. Les points craniométriques traditionnels sont hétérogènes, les uns correspondent à des sutures entre les os crâniens, comme le nasion, d’autres à des points mécaniques précis, comme l’inion externe et le basion, d’autres enfin à l’aboutissement conventionnel d’un diamètre comme le point orbitaire externe. En définitive seuls trois « points » ont revêtu un caractère constant : le basion (B), l’inion externe (IE), le prosthion (P) (LG, fig 1). Le crâne s’articule avec la colonne vertébrale sur le premier (B), il se maintient par l’insertion du ligament cervical sur le second (ÌE) et tout le dispositif mécanique prend fin au troisième (P).
On peut donc considérer la tête du quadrupède comme correspondant à un système de forces concourantes multiples, équilibrés dans un dispositif mobile à l’extrémité d’un axe.
On sélectionne des points de références nouveaux dans une perspective géométrique
Le travail s’écarte sensiblement des traditions de la craniométrie classique et, en particulier, de celle qui prolonge l’école de Broca.
On réduit l’appareil explicatif aux seuls termes de suspension, traction et appui qui couvrent certainement des notions plus complexes que celles qu’ils énoncent. Les tracés d’équilibre mécanique s’avèrent particulièrement utiles dans la reconstitution des fossiles humains.
Rechercher une cohérence des constructions valable pour tous les crânes de vertébrés
Les racines des dents d’une part, le plancher clivien du crâne d’autre part semble converger vers le sommet frontal. Or l’inclinaison du clivus basilaire est en relation directe avec l’acquisition de la station verticale. Pour de nombreuses espèces, dont les primates, la longueur du dispositif dentaire correspond exactement à la mi-distance entre prosthion et basion, ce qui confirme le jeu entre station et denture. Le clivus correspondant à la surface interne de l’apophyse basilaire de l’occipital est lié directement à l’attitude de locomotion et son orientation marque les variations de l’axe vertébral.
Le processus orbitaire forme le sommet d’un triangle dont la base correspond à la ligne prosthion-basion (LG, fig.1). La réponse de l’inclinaison de la symphyse mandibulaire et du clivus basilaire crée un système de relation entre l’appareil dentaire et la base.
Deux points sont très importants : 1. l’apparition de la diversification des incisives, des canines et des molaires et l’indépendance du volume cérébral et du contour crânien jusqu’au moment où l’augmentation du volume cérébral comble tout l’espace mécaniquement nécessaire. 2. L’abandon du pôle de technicité manuelle s’accompagne dans de nombreuses espèces d’une véritable compensation faciale comme c’est le cas par exemple pour les chevaux.
D’une manière générale, chez les hominidés en particulier, le cerveau fait figure de locataire.
Dès les débuts de l’anatomie comparée, le crâne a été pris pour une sorte de symbole de l’être entier. Il contient le nœud cérébral de toute activité, puisque tous les sens y convergent et puisque a morphologie de sa partie postérieure porte l’empreinte de ses rapports avec la colonne vertébrale et les membres. Il est certain que le crâne résume à peu près tous les problèmes et que son choix comme témoin est justifié.
Mais dans une perspective opératoire, le cerveau prend le caractère d’un locataire dont les développements ne posent de problèmes que lorsqu’il occupe tous les recoins disponibles d’un édifice construit à des fins purement techniques. Il convient donc d’identifier la constitution d’une situation mécanique compatible avec une expansion cérébrale indépendante des contraintes maxillo-dentaires.
La comparaison des formes apparentées débouche sur une perspective « évolutionnaire »
La théorie des transformations ou la comparaison des formes apparentées
Les voies de démonstration de la paléontologie sont empruntées à de témoins matériels, échelonnées dans le temps et les espaces et animés d’un mouvement progressif dont l’explication coïncide avec la recherche d’une affirmation d’existence.
Le but est de rechercher les signes de la substitution d’un état à l’autre, par conséquent implicitement, il ne peut être conçu de succession que dans des situations d’équilibre tout à fait relatifs. La compréhension de la dynamique repose sur l’analyse des formes antécédentes.
Dynamique : le problème de la phylogenèse
Le squelette, et surtout le crâne qui en est la pièce la plus riche en possibilités d’interprétation, deviennent les pièces maîtresses d’une étude évolutionnaire des vertébrés.
La recherche est en réalité indépendante des préoccupations génétiques de la paléontologie ou de la raciologie. Montrer l’équilibre propre à l’armature osseuse d’une certaine espèce n’apprend a priori ni d’où elle vient, ni où elle va, mais comment elle subit la situation qui lui est faite par son histoire et son milieu. On n’a donc pas cherché à faire de la paléontologie ou de la pathologie faciale, mais à définir des situations de construction dynamique.
Les éléments de l’évolution générale se trouvent rassemblés, du poisson à l’homme, dans une suite continue où le crâne traduit fidèlement les schémas posturaux.
Le terme ultime de l’évolution est dans le déverouillage du massif préfrontal. A la réduction de la masse osseuse préfrontale corresponde une structure nouvelle des pommettes qui sont devenues l’arc boutant principal de la denture. Corrélativement, le cerveau est venu surplomber la face.
Nous avons désormais tous les éléments pour comparer les deux approches (tabl. 1)
Les deux auteurs se réfère à la démarche scientifique. Dans cette optique D’Arcy Thomson est plus précis puisqu’il se réfère à la physique sensu lato et aux propriétés de la matière alors que Leroi-Gourhan se contente de mentionner succinctement les « lois de l’ordre universel » et la possibilité de développer une approche prédictive.
Les deux auteurs s’accordent néanmoins pour se référer aux sciences des matériaux et à l’étude de la transformation des formes. La perspective développée par Leroi-Gourhan accorde à cette dernière question une attention particulière puisque cette dernière perspective touche selon lui, outre l’anatomie et la paléontologie, des domaines extrêmement divers : évolution des techniques, histoire de l’art, archéologie des cultures matérielles, dont il a abordé l’évolution à travers divers ouvrages et articles.
Chez les deux auteurs les corpus mobilisés sont très vastes. D’Arcy Thomson accorde son attention à toutes les formes du vivant, les vertébrés n’étant qu’un domaine parmi d’autres, alors que Leroi-Gourhan se limite à l’anatomie du crâne des vertébrés. Prudent, D’Arcy Thomson limite pourtant les comparaisons opérées à des formes apparentées alors que la perspective de Leroi-Gourhan se veut beaucoup plus générale réunissant dans une même approche l’ensemble de vertébrés, des poissons à l’homme.
Les deux auteurs s’accordent sur une même perspective. La fonction s’inscrit dans le cadre de contraintes mécaniques. L’étude des charpentes permet d’isoler les principaux paramètres à l’origine des formes. D’Arcy Thomson évoque des cas précis de planification d’ouvrages relevant du génie civil (ponts, grues, etc.) alors que Leroi-Gourhan reste plus évasif sur les modèles qui l’ont inspiré.
Les deux auteurs soulignent la faiblesse des référentiels habituellement utilisés pour établir des comparaisons et choisissent de développer leur propre système de référence. D’Arcy Thomson construit une grille géométrique orthogonale simple alors que Leroi-Gourhan souligne la faiblesse des points de références généralement utilisé par l’anthropologie classique issue de l’école de Broca, ces derniers ne permettant pas de développer une analyse mécanique cohérente. L’analyse de D’Arcy Thomson est purement formelle alors que les choix de Leroi-Gouran sont guidés par une compréhension fonctionnelle des contraintes mécaniques à l’origine des formes.
Conséquence de la divergence de ces deux points de vue. D’Arcy Thomson aborde la déformation du système dans son ensemble alors que Leroi-Gourhan souligne la cohérence mécanique de chaque forme analysée.
D’Arcy Thomson souligne la continuité des transformations des formes qui est un peu la conséquence du système de référence utilisé alors que Leroi-Gourhan parle d’une évolution par paliers et de la possibilité pour l’évolution de présenter des sauts qualitatifs. Ce dernier point est important car il évoque la théorie des équilibres ponctués de Gould et, plus généralement, la nécessité de développer au niveau des régularités une dynamique des transformations allant au-delà de l’aspect statique des constructions typologiques (Ct).
D’Arcy Thomson montre qu’il est impossible de proposer une évolution cohérente unique des transformations anatomiques des primates et rejoint ainsi la position actuelle des paléontologues qui constatent l’extrême variabilité anatomique des fossiles découverts et l’importance des lacunes de la documentation. La vision de Leroi-Gourhan insiste par contre sur la continuité des mécanisme de transformation qui affectent la charpente, ce qui n’exclut pas des sauts qualitatifs (cf. ci-dessus) alors que le cerveau reste un locataire sans influence, ce qui pose la question des causes de l’augmentation de taille de cette organe au cours du temps.
Les deux auteurs s’accordent pour marginaliser les causes purement biologiques, l’hérédité et les mécanismes de l’évolution. Les seules explications possibles sont de type fonctionnel et portent sur la description « de ce qui se passe ». Les perspectives développées se limitent en effet aux transformations mécaniques subies par l’anatomie. Cette limitation des points de vue est importante dans une approche scientifique qui ne peut progresser qu’en choisissant clairement et en limitant les points de vue sur le monde extérieur. Nous retrouvons ici la position d’Alain Testart (1991). Nous nous situons dans la cadre du positivisme logique qui distingue clairement la réalité dans sa globalité des systèmes construits pour analyser le monde qui nous entoure. Il s’agit de décrire des transitions logiques maîtrisables dans des domaines limités et cloisonnés, ce qui renvoie à l’intelligence artificielle.
Nous sommes ici à l’opposé de l’idéalisme qui confond réalité et discours sur cette dernière.
Les seules explications possibles sont de type fonctionnel et portent sur la description « de ce qui se passe ». Les deux auteurs adoptent donc une approche constructiviste qui ne peut que me séduire en plaçant le discours au cœur de la constitution des sciences et en le situant dans sa relativité par rapport aux objectifs posés par les diverses disciplines (Gallay 2011).
D’Arcy Thomson 1917 |
Leroi Gourhan 1983 |
|
Références scientifique |
PhysiquePropriétés de la matièreTransformnation des formesSciences des matériaux |
Lois de l’ordre universelPerspective prédictiveTransformation des formesSciences des matériaux |
Corpus |
Organismes parents seulement |
Vertébrés pris dans leur ensemble |
Hypothèse fonctionnelle |
Fonction > aptitude mécaniqueCohérence mécanique des charpentes |
Fonction > aptitude mécaniqueCohérence mécanique des charpentes |
Référentiel |
Faiblesse des comparaisons classiquesMéthode des coordonnées : simplicité géométrique |
Faiblesse des comparaisons classiquesPoints de référence fonctionnels |
Notion de totalité |
Déformation du système pris dans son ensemble |
Cohérence dynamique |
Dynamique des transformations |
Formes antécédentesTransformations géométriques continues |
Possibilité de transformations par paliers |
Anthropoïdes |
Pas d’évolution linéaire |
Évolution linéaireCerveau locataire |
Biologie de l’évolution |
Causes directes autres que l’héréditéPas de causalité biologique |
Causes directes autres que l’héréditéPerspective évolutionnaire |
Tableau 1. Comparaison des approches de d’Arcy Tomson et de Leroi-Gourhan.
Je ne m’intéresserai pas ici aux sujets abordés mais à l’approche épistémologique des deux auteurs. Que puis-je retenir pour ma propre démarche de ces deux travaux qui m’ont séduit par leur rigueur. Se référer à la physique sensu lato renvoie à la position développée par Alain Testart (1991) à laquelle j’adhère entièrement (Gallay 2018).
La référence à la démarche scientifique est essentielle. Se référer à la physique sensu lato renvoie à la position développée par Alain Testart (1991) à laquelle j’adhère entièrement (Gallay 2018). Le modèle inspiré des sciences de la nature qui m’inspire depuis de longues années s’inscrit parfaitement dans cette perspective.
Selon David Hume (1711-1776) c’est à partir de nos sens et des sense data et à travers leur généralisation que l’on peut construire une science (Hume 1982/1748). L’empirisme hérité de Hume a été profondément renouvelé par l’attention portée au rôle du langage dans la connaissance. Selon Ludwig Wittgenstein (1988/1921) le sens des propositions complexes est déterminé par le sens des propositions élémentaires (cf P0) dont elles sont composées.
Quelques années plus tard Hans Hahn, Otto Neurath et Rudolf Carnap fondent le Cercle de Vienne (manifeste de 1929) et se donnent pour tâche d’édifier une véritable conception scientifique du monde (Carnap 1932). Il s’agit de réduire les énoncés scientifiques et leurs concepts aux énoncés et aux concepts du plus bas degré. C’est par l’analyse du langage que l’on pourra établir s’il y a correspondance entre les énoncés théoriques et les énoncés du plus bas degré. Au terme d’un long débat, Carnap et Neurath sont pourtant parvenus à la conclusion que cela était un leurre. Ils n’abandonnèrent pas pour cela la conviction que les sense data sont à la source de toute connaissance. Selon Franck (2015) pourtant l’empirisme/positivisme logique a pourtant échoué à garantir la conformité de nos pensées aux observations.
Le positivisme logique est le seul courant épistémologique auquel Jean Claude Gardin (1991/1987) se réfère explicitement en citant les noms de Carnap et Wittgenstein, mais c’est pour se concentrer sur des auteurs de ce courant qui ont été plus particulièrement intéressés par la question de la représentation des connaissances tels que Charles Morris (1938) et Charles Peirce pour la sémiologie des sciences et Stephen Toulmin (1958) pour la logique des champs.
Les corpus mobilisés doivent se référer à des paramètres L et T parfaitement identifiés. La démarche empirico-inductive retenue ne présuppose pas au départ de grandes théories générales, ce qui n’interdit pas d’aborder certains sujets à une large échelle comme je l’ai fait pour les rites funéraires saheliens et sahariens. Dans cette optique je me sens plus proche de D’Arcy Thomson que de Leroi-Gourhan dont les larges perspectives chronologiques hypothèquent souvent la compréhension plus précise des éléments retenu pour ses grandes fresque « évolutionnaires ».
La fonction doit être retenue comme une des composantes possibles des systèmes décrits assurant ainsi la cohésion des systèmes, comme le propose les deux auteurs, mais ne constitue en aucun cas le paramètre explicatif ultime comme le voulait Malinowski. L’explication des mécanismes explicatifs se situe, comme Durkheim le propose, au niveau des faits sociaux antécédants.
Je retiens de la démarche de Leroi-Gourhan la nécessité de subordonner les critères descriptifs à une analyse en profondeur incorporant une compréhension des fonctions potentielles des composantes de la description. Cette position s’oppose à toutes les démarches utilisant des critères descriptifs quelconques, donc aux démarches dites aveugles très en vogue dans les taxonomies numériques qui, on le sait, n’ont jamais débouché sur des configurations potentiellent intéressantes au plan interprétatif.
Comme le propose Leroi-Gourhan, on se situe au niveau de la cohérence des systèmes analysés. La sélection de critères descriptifs permet d’éviter la notion de fait social total de Mauss qui ne permet pas une approche répondant aux critères scientifiques retenus.
Les dynamiques analysées combinent des variations continues et des sauts qualitatifs évoqués par Leroi-Gourhan. Cette perspective peut donc déboucher sur des analyses cladistiques. Les phylums identifiés combinent en effet des modifications progressives et des processus de divergence à l’origine de nouveaux phylums.
Cette manière de voir se rapproche des méthodes de l’anthropologie structurale et de la démarche analytique utilisée par Lévi-Strauss dans l’analyse des mythes. Elle s’éloigne par contre de la position de Goethe et de sa recherche prototypique. Rappelons simplement que les structures dégagées n’ont pas de fondement dans l’inconscient comme le suggérait Lévi-Strauss, mais correspondent simplement à des configurations construites par l’analyste pour rendre compte de façon arbitraire de portions de la réalité.
Les remarques avancées par de D’Arcy Thomson me paraissent judicieuses. En archéologie les données mobilisées sont le plus souvent partielles. Il convient donc de tenir compte de cette hypothèque dans nos tentatives de synthèse, ce qui ne doit pas nous empêcher de proposer de scénarios ambitieux tout en étant conscient de leur fragilité.
Les dynamiques reconnus peuvent déboucher sur des scénarios historiques mais je suis conscient, qu’au niveau des sciences humaines, les mécanismes explicatifs restent élémentaires. Ce sera la tâche des sciences humaines de réfléchir à cette question dans les années à venir.
CARNAP R. 1932. Die physikalische Sprache als Universalsprache der Wissenschaft. Erkenntnis 2, p. 432-465.
GALLAY A. 2011. Pour une ethnoarchéologie théorique. Paris : Errance.
GALLAY A. 2018. Alain Testart and the Epistemological Thought. Archeologia Polski 63, p. 7-28.
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