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Aux sources d’un destin familial
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Je compléterai ici l’analyse très fouillée et documentée d’Hamani (2006) par les données de Bernus (1981) qui permettent d’enrichir considérablement les bases ethnologiques de l’émergence de ce sultanat
Comment isoler les éléments pertinents d’une évolution historique: relations entre sociétés nomades touareg, émergence d’une structure étatique et fondement des activités guerrières.
Comment maîtriser une information surabondante et comment isoler dans la masse de cette dernière les composantes que l’on juge significatives par rapport au projet de synthèse retenu, en l’occurrence un bilan socio-politique des sociétés sahariennes, sahéliennes et éthiopiennes.
Ce sont les questions qui m’ont été posée à propos des deux livres ci-dessus, consacrés aux Touareg de l’Aïr au Niger, deux livres extrêmement riches qui posent la question de la maîtrise de l’information historique et de sa mobilisation dans une compréhension à plus large échelle de l’évolution des sociétés.
L’une des voies que nous avons explorées à d’autres occasion est celle du logicisme, l’autre, expérimentée ici, est quelques peu différente, mais procède du même esprit : proposer des schémas synthétiques résumant et condensant l’information. Ce type d’analyse présente un certain nombre de dangers, dont celui de déformer la complexité du réel, mais il présente un réel avantage, celui de faire surgir de nouvelles questions et d’ouvrir la voie à des confrontations auxquelles nous n’avions pas penser. Il permet également d’ouvrir la voie à une compréhension structurale des sociétés. Nous donnerons ici un aperçu succinct de ce type d’approche.
Quelques titres cités dans la bibliographie permettent de compléter notre information.
Agadès, qui constitue un carrefour caravanier, se situe au départ de deux pistes en direction du Nord : vers l’ouest en direction de Tamanrasset et du Hoggar, vers l’Est en direction de Bilma dans la Kawar, en traversant le territoire toubou. Dans cette oasis, connu pour ses salines, le tracé caravanier rejoint la piste reliant au sud Guigmi au Bornou et au nord le Jado puis Ghat au Fezzan ; cet axe constituait, aux périodes précoloniales, l’une des voies la plus importante du commerce transsaharien en direction de la Tripolitaine. La piste orientée vers le Sud relie Agadès à Zinder. Aujourd’hui le trafic caravanier touareg est considérablement plus restreint (fig. 1).
Fig. 2. Peuplement touareg de l’Aïr. Flèches grises : migrations à l’origine des Touareg Kel Aïr. Cercles : principales villes sahéliennes médiévales.
On peut dégager certaines grandes lignes du peuplement touareg de l’Aïr (fig. 2).
Stade 1. Les groupes les plus anciens, originaires de Tripolitaine, sont directement issus de l’occupation arabe du VIIe s. de notre ère qui les a refoulés vers le Sud.
Stade 2. La deuxième vague de migrations, conséquence de l’arrivée des Banu Hilal au XIe s., est également originaire de cette région et, selon les traditions, plus particulièrement de la chaîne d’oasis de la dépression d’Aujila (Awjila).
Cette période voit les oasis de la région de Bilma et le Fezzan englobés sous la domination du Kanem (XIIIe s.), occupation qui se prolonge jusqu’au XVIIe s.
Stade 3. Dès les XVe s., les groupes touareg occupant l’Aïr ont une origine plus proche, dans les massifs du Sahara central, Ahaggar, Acacus (région de Ghat) ou Adrar des Ifoghas, le Maghreb n’étant plus impliqué dans le processus.
Nous pouvons résumer l’histoire du Sultanat d’Agadès selon le schéma de la figure 3.
Le Sultanat est fondé en 1424. Le Sultan du non de Junus, demandé en arbitre par les Touareg, est un imam dont le titre est Amir al mu’minin ou commandeur des croyants. Il semble qu’il soit originaire de l’Adrar des Ifoghas, mais résidait, avant de prendre ses fonctions à Agadès, à Tadaliza un village du massif de l’Aïr.
Sans forces armées, sans autre légitimité que le bon vouloir des Touareg (le Sultan n’a pas conquis de territoire), il ne reste aux Sultans qu’à consolider leur assise religieuse de Commandeur des Croyants dans un pays, essentiellement non croyant, les Touareg gardant leur autonomie. La période voit l’assujettissement de Tigidda.
Au début du XVIe s. Le Sultanat fait l’objet d’une tentative d’annexion sans lendemain par l’empire songhaï par l’Askia Mohamed (1513-1517).
Les lois de successions gagnent en autonomie par rapport aux Touareg. Seuls les princes nés de femmes esclaves peuvent désormais prétendre au titre de Sultan de l’Aïr, une façon de renforcer la patrilinéarité de la transmission du pouvoir, s’opposant ainsi à la coutume touareg.
Les Touareg tentent de prendre le contrôle des salines de Bilma, profitant de l’affaiblissement du Kanem-Bornou.
L’Aïr entre dans la tourmente religieuse qui affecte du Soudan central (1800-1850). La vassalisation de fait des Touareg par la nouvelle dynastie issue de Usman dan Fodio aboutit à une certaine mainmise de Sokoto sur le destin des Sultans de l’Aïr.
Agadès a certaines caractéristiques d’un État qui, en Afrique, se définit souvent par la présence d’ « esclaves de la Couronne » fournissant les cadres de l’administration et l’essentiel des forces armées. La ville n’en est pourtant pas un puisqu’elle ne dispose pas du monopole de la force.
La ville, ceinte d’un rempart, abrite quatre populations distinctes (fig. 4):
– le Sultan, sa famille et ses esclaves, dans un palais jouxtant la mosquée,
– les gens du Sultan réunissant sa garde personnelle composées d’affranchis, les grands notables de l’administration également d’origine servile, des musiciens et des forgerons,
– des marchands étrangers de passage,
– les agadassawa, gens des Touareg, comprenant des affranchis gérant les habitations appartenant aux nomades et des artisans.
Fig. 5. Articulation des prérogatives économiques des lignées masculines et des prérogatives politiques des lignées féminines évitant une concentration du pouvoir politique dans les mains d’une lignée masculine particulière au sein de la tribu.
La tawshit (plur. tiusatin), tribu, apparaît comme un groupe social cognatique qui se définit d’abord par son nom, dont tous les membres se reconnaissent une même origine ou un ancêtre commun, réel ou putatif, en lignée agnatique ou utérine.
On peut distinguer (fig. 5) :
On souligne le caractère patrilocal de la résidence et l’unité du groupe des frères qui constitue l’unité résidentielle. Ces groupes patrilocaux constituent l’armature de la société. Leur unité s’appuie sur la reconnaissance stricte de la séniorité (autorité des générations ascendantes et des aînés) et sur la transmission en ligne paternelle d’une partie des biens et de la plupart des moyens de production.
Une partie des biens est transmise par les femmes. La transmission du statut social et politique s’effectue en ligne maternelle : l’appartenance à une tawshit, les possibilités d’accès au pouvoir et à la chefferie sont ainsi déterminées, de même que les droits fonciers et les droits sur les dépendants qui leur sont liés. Si la chefferie est élective, le successeur d’un chef sera choisi de préférence parmi ses frères, puis parmi les fils de ses sœurs ou autres parents en ligne maternelle. Cette configuration s’oppose à la structure du pouvoir dans le Sultanat.
La caractéristique essentielle des diverses sociétés touareg est la combinaison de groupes endogamiques et d’une structure de classes. Il y a donc interaction constante entre structures domestiques, organisation clanique, hiérarchisation de classes et structure politique.
Les Touareg conçoivent leur société comme un ensemble pyramidal, qui va d’un sommet aristocratique à une base servile, en passant par les échelons intermédiaires des vassaux et des religieux (fig. 6).
Fig. 7. Circulation des têtes de bétail entre famille et belle famille. 1. Prix de la fiancée. 2. Gestion des bêtes du prix de la fiancée par le fils aîné au moment du décès du père. 3. En alternative, retour des bêtes du prix de la fiancée au moment du décès du père. 4. Bêtes appartenant en propre à la fiancée. 5. Bêtes donnée en prêt par le père de la fiancée pour son approvisionnement en lait.
Le troupeau qui groupe les animaux d’un même campement n’est jamais un capital collectif. Chaque animal appartient en propre à un propriétaire. Au sein du ménage, les animaux du mari et de la femme proviennent de troupeaux distincts et sont seulement gérés en commun. Le mariage donne lieu à un véritable brassage des troupeaux du fait de la résidence patrilocale du mariage (fig. 7):
– du père du futur époux vers la belle famille (prix de la fiancée)
– de la famille de l’épouse à la famille du mari (bêtes données par le père de l’épouse lors de ses jeunes années et bêtes prêtées par ce dernier pour l’approvisionnement en lait de sa fille),
– au décès du père de l’épouse, du campement de l’épouse au campement du mari, à moins que les bêtes ne soient reprises par le fils aîné, frère de l’épouse.
Le schéma en relation avec les transferts du bétail résultant du mariage dans une situation de patrilocalité (fig. 7) peut être combiné avec celui qui aborde la question des transferts de pouvoir (fig. 5). On obtient alors une vue synthétique montrant comment la redistribution des pouvoirs économiques et politiques assure la cohésion des campements de la tribu (fig. 8). Il s’agit naturellement d’un schéma simplifié qui ne tient pas compte des troupeaux détenus personnellement par les femmes.
L’examen des cartes publiées par Bernus permet d’identifier plusieurs modalités de mobilité saisonnière (fig. 9).
Nous pouvons distinguer :
Cette caravane traditionnelle a pour but de ravitailler en mil l’Ahaggar. Il s’agit de petites caravanes qui groupent les chameaux d’un campement ou d’une fraction de tribu. Les produits exportés sans le Sud concernent du sel gemme de l’Amador, des produits de récolte comme des herbes médicinales de l’Ahaggar, du sel de Tigidda et des dattes d’Ingal. Les Touareg nigériens, à partir de leurs ports d’attache sahéliens, se rendent dans l’Ahaggar par un mouvement symétrique. On notera que les salines de Tigidda ne semblent pas avoir fonctionné aux périodes médiévales.
Les caravanes échangent le mil et les produits du Sud contre le sel et les dattes du Kawar provenant des oasis de Bilma et de Fachi.
Les réseaux des Touareg méridionaux Kel Gress et Touareg du Damergou
Les caravanes relient les marchés du Sud où l’on s’approvisionne en céréales et en produits manufacturés aux oasis du Ténéré comme Bilma et Fachi, où l’on ravitaille en sel et en dattes, aux marchés du Sud. Ce réseau transporte également en direction du Sud des dattes et des produits de jardinage comme les tomates séchées provenant de la région de Beurkot en bordure sud-est du massif de l’Aïr.
La guerre est liée à la constitution d’ensembles politiques groupés autour de chefferies centralisés : le pouvoir est détenu par une aristocratie guerrière autour de laquelle s’organise un système complexe de rapports tributaires, esclavagistes et de clientèle (fig. 11).
Nous pouvons distinguer :
Les expéditions de pillage sont organisées comme des opérations visant à conquérir la richesse, et par là, à intéresser tous ses participants. Le butin est donc partagé. Les rezzous sont effectuées aussi bien aux dépens d’autres touareg que de nomades étrangers ou encore de paysans.
L’organisation de ces expéditions extrêmement fréquentes ne repose pas sur le niveau politique supérieur, mais sur celui des tawshit. La décision d’entreprendre un « coup de mains » est arrêtée par les meilleurs guerriers de chaque tribu sans en référer aux autres tawshit, ni à l’amenokal.
Ces guerres qui opposent des groupes politiques rivaux, sont distinctes de la guerre sainte (djihad), spécialité des Peuls musulmans. Les obligations de protection des classes subordonnées pouvaient entraîner les nobles à lutter contre les exactions initiées par les nobles d’autres taushit.
Ces guerres pouvaient être entreprise sous l’autorité de l’amenokal. Tous les guerriers y participent.
Les expéditions vers des régions relativement éloignées et conduites par quelques cavaliers nobles appartenant à diverse tawshit. Comme précédemment, l’amenokal nomme un chef de guerre et surveille le partage du butin que les principaux guerriers redistribueront au sein de leur tawshit respectives.
Des guerres de plus grande importance peuvent concerner des populations comme les Songhaï et les Toubou qui pouvaient menacer l’intégrité territoriale touareg. Ces guerres, qui impliquent l’ensemble de la confédération, sont décidées d’un commun accord entre l’amenokal et le Sultan d’Agadès.
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