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Aux sources d’un destin familial
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Que peut-on faire de toutes ces « oeuvres d’art » ? Le sujet est délicat et prête à polémique.
Dans la plus pure tradition « Arts premiers », le Musée du Quai Branly expose aujourd’hui dans une luxueuse présentation due à Hélène Leloup, qui tient galerie d’arts exotiques à Paris, plus de 330 œuvres dogon (5 avril – 24 juillet 2011). A part les pièces issues des missions Griaule, toutes les statues et masques proviennent de collections particulières encore en mains propres ou déposées dans des musées. La majorité des pièces est donc dépourvue de tout contexte de référence, à part quelques localisations géographiques approximatives. Nous nous trouvons ici au cœur du scandale des « arts premiers » dénoncé par Bernard Dupaigne (2006). Ce dernier montre en effet que le Musée du quai Branly a été édifié en détournant les patrimoines de deux musées mis à mort, le Musée national des arts africains et océaniens et le Musée de l’homme. Au prétexte d’en finir avec un supposés mépris des autres civilisations qu’auraient manifesté les musées nationaux depuis des décennies, c’est la connaissance des arts et civilisations africains et océaniens, principalement, qui a été sacrifié. 400 objets sont ainsi exposés à l’admiration et à la « jouissance esthétique » des visiteurs sans que le musée ait jugé bon de développer des équipes scientifiques centrées sur la recherche, comme c’était le cas au Musée de l’homme.
Le très lourd catalogue qui accompagne cette exposition dogon, dont la plus grande partie est rédigée par Hélène Leloup, fournit une illustration exemplaire de la littérature que peuvent offrir les collectionneurs d’art (je ne parle pas ici des deux petits articles avisés dus à Bernard Gardi et à Lassana Cissé, ici hors de cause). On ne peut rien retirer de consistant de ce texte, qui, sur le plan historique, amalgame, sans esprit critique et dans le plus complet désordre, descriptions régionales, traditions ethnohistoriques mal digérées, mythes d’origines, anciennes théories coloniales et bribes d’informations récoltées sur le terrain et ignore les avancées de la recherche contemporaine.
La partie la plus intéressante de ce volume nous paraît être, proposée par un auteur qui connaît par contre bien le sujet, la chronique des pillages et des acquisitions effectuées par les antiquaires et les collectionneurs. Cette triste histoire, qui a abouti à la spoliation d’un peuple et à l’effacement d’un pan entier de son patrimoine culturel, est édifiante dans la naïveté même de sa narration. Comment le Quai Branly, qui se veut tout de même une institution scientifique, a-t-il pu cautionner un tel ouvrage ?
Le sujet est-il si pourri sur le plan scientifique qu’il faut abandonner toute idée de produire un discours sensé sur le sujet ? L’ethnohistorien et l’archéologue doivent-ils totalement ignorer et mépriser cette question du seul fait qu’il est traité majoritairement par des marchands d’art et des collectionneurs ?
Nous avons tenté ici le pari inverse, politiquement incorrect, et ceci pour quelques raisons qu’il convient de préciser. Les réflexions d’Hélène Leloup permettent en effet d’isoler certaines informations qu’on ne peut écarter d’un revers de main.
Il est légitime de tenter de construire des classes stylistiquement homogènes sur la base des caractéristiques intrinsèques des pièces en dehors de toute interprétation ethnohistorique, comme le propose Hélène Leloup. Pour cela le présent catalogue, particulièrement confus, est inutilisable ; il faut donc se reporter à son ouvrage de 1994 (Leloup 1994) pour y voir un peu plus clair sur un classement qui nous paraît, a priori, légitime si on le dépouille de ses interprétations ethnohistriques douteuses. Nous retiendrons ici ses dénominations, même si ces dernières sont d’origines hétéroclites et mélangent allègrement termes géographiques, archéologiques, ethniques et linguistiques.
Hélène Leloup connaît le terrain pour s’y être rendue à plusieurs reprises. Elle a enquêté auprès des Dogon à l’aide de photographies de pièces pour tenter de localiser l’origine de certaines statues. On peut, au minimum, lui faire confiance sur les localisations qu’elle propose.
Les datations C14 effectuées (présentées notamment dans le catalogue de l’exposition du Musée Dapper) peuvent être prises en considération, même si elles n’ont jamais été publiées correctement. Nous les avons calibrées et cumulées par «styles » au sein de larges classes séculaires. Les résultats, même approximatifs, ne sont pas incohérents. Le fait que la taille des statues s’effectue sur bois vert est un gage de la valeur de ces mesures. La datation du bois est une approximation recevable de l’époque du façonnage (Bedaux, Person 2003).
Les recherches ethnohistoriques ont fait certains progrès depuis les missions Griaule, notamment dans le cadre des missions internationales dirigées par Éric Huysecom de l’Université de Genève et de mes travaux sur la céramique (Gallay à paraître).
Une réévaluation de la statuaire dogon pose aujourd’hui de nombreux problèmes du fait de l’abondance des informations actuellement disponibles et des difficultés d’établir des corrélations entre les différents domaines en tenant compte de la dimension historique et du caractère relativement récent de certaines composantes aujourd’hui observées.
Les langues dogon sont aujourd’hui rattachée au phylum Niger-Congo dont elles constituent, morphologiquement, la branche la plus archaïque.
On connaît aujourd’hui beaucoup mieux la structure de ces langues grâce aux travaux de J. Lee Hochstetter (2004) et Roger Blench. Selon ce dernier les langues dogon sont profondément enracinées dans la région. La langue ancestrale dogon témoigne d’une société agricole ne connaissant pas encore le fer. Cette dernière pourrait donc avoir plus de 3000 ans et témoigne d’un peuplement local très ancien, en contradiction avec le modèle dominant des peuplements successifs d’origine externe. Les Dogon de la diaspora de Kani na, étudiée par l’équipe Griaule (Dieterlen 1941), ne constituent donc qu’une fraction récente du peuplement dogon (pour un bilan de cette question voir Gallay 2011, 2012). Il n’est ainsi pas obligatoire de faire appel à des populations étrangères originaires du Delta intérieur pour expliquer les formes les plus anciennes de la statuaire, même si des influences externes sont indéniables (fig.1 et 2).
Fig. 1. Répartition géographiques schématique des principaux parlers dogon.
Fig. 2. Afrique de l’Ouest. Cladogramme de diversification des familles linguistiques du phylum Niger-Congo et corrélation avec les dates historiques proposées par Blench (2006) et certaines données concernant l’économie. La date de 3000 BCE pour l’individualisation de la famille Nord-atlantique correspond au groupe céramique 3 d’Ozainne (2013) et l’individualisation de la famille mandé au groupe céramique 4, voir discussion dans les textes consacrés à l’histoire du Sahara.
La statuaire est le fait des castes des forgerons. La compréhension des traditions sidérurgiques passées et actuelles est donc au cœur de la question posée.
L’indépendance des familles de forgerons par rapport aux zones définies par les parlers montre qu’une corrélation parlers – styles de la statuaire peut ne pas être pertinente dans tous les cas. On peut par contre se demander si une corrélation avec les traditions métallurgiques définies par Caroline Robion-Brunner sur la base des faits matériels liés à la production du fer, notamment des types de bas fourneaux identifiés au niveau archéologique, ne pourrait pas être plus significative. Statuaire de bois et bas fourneaux sont probablement les productions des mêmes artisans (fig.3).
Fig. 3. Carte des traditions sidérurgiques selon les travaux de Caroline Robbion-Brunner. Conférence donnée à la Société des Africanistes de Paris, Musée du Quai Branly, 19 mai 2011.
Des travaux récents sur l’histoire des traditions céramiques (Mayor-Huysecom 2005), et de la métallurgie (Robion-Brunner 2010) permettent de proposer aujourd’hui un cadre interprétatif nouveau pour tout ce qui touche l’ethnohistoire de la région, notamment du Plateau de Bandiagara, de la Falaise et de la plaine du Séno..
On distingue dans les traditions céramiques deux ensembles : une tradition A aux mains de femmes d’agriculteurs et des traditions qui sont le fait de femmes de forgerons, notamment pour ce qui concerne notre sujet, les traditions B, C et D. La tradition A, probablement d’origine ancienne, ne nous concerne donc pas ici (tab. 1 et 2, fig. 4 à 6).
Fig. 4. Répartition schématique des traditions céramiques.
Tableau 1. Correspondances entre traditions céramiques et langues dominantes.
Tableau 2. Concordances entre traditions céramiques et dialectes du Pays dogon. Triangles sur base : Céramiques des paysans. Triangles sur pointe : céramique de classe servile. Rond : céramiques des clans de forgerons. Italiques : dialectes ou traditions céramiques étrangers aux Dogon. La tradition de Kona correspond à des importations de céramiques de tradition Somono dans le nord du Plateau.
Fig. 5. Tradition céramique A des femmes d’agriculteurs.
Fig. 6. Tradition céramique A des femmes d’agriculteurs. Potières enquêtées.
On comprendra dans cette situation combien est délicate l’entreprise de corrélation que nous proposons. Ces quelques remarques préliminaires montrent néanmoins qu’il est possible de tenter de construire une typologie de la statuaire pertinente sur le plan ethnohistorique, même si cette dernière ne constitue qu’une esquisse provisoire. Le tableau 3 résume les données aujourd’hui disponibles.
Tableau 3. Bilan des informations relatives à la statuaire dogon.
Localisation : toutes les statues dont l’origine est identifiée viennent de l’ouest du Plateau, notamment du Pignari et du N’duleri, une zone de parler mombo.
Critères d’identification : affinité avec la statuaire d’argile du Delta intérieur ; «hermaphrodisme » (visage avec barbe et seins, éventuellement sexe masculin) ; scarifications faciales en quadrillage à la hauteur des yeux ; chignon sur le dessus ou en arrière de la tête ou volume tressé sur l’arrière du crâne ; bras levés présents ; poignards de bras ; éventuellement scarifications en quadrillage sur le tronc ; pagne échancré sur les cuisses.
Datations C14 calibrées : fourchette 1100 – 1500 AD (onze dates).
Attribution : La vulgate actuelle attribue à ce style une origine exogène dans le Delta, en relation soit avec Djenné (Leloup), soit avec le clan soninké des Kagoro (de Grunne). Cette seconde interprétation repose sur les scarifications faciales en damiers. Les recherches récentes de Caroline Robion-Brunner et d’Anne Mayor montrent que la tradition métallurgique de Fiko, en zone de parler mombo, remonte à une période très ancienne se situant au VIe siècle AD, les datations C14 se concentrant dans la fourchette 1000-1500 AD. Les traditions orales insistent sur la liaison entre cette production de fer et les Bwa (Bobo) dans un contexte dépourvu de castes. Les études linguistiques parlent de leur côté en faveur d’une certaine stabilité du peuplement dogon de cette région qui concentre, selon Roger Blench, la plus grande variété dialectale, ce qui est un signe d’ancienneté. On peut donc penser à une introduction d’une métallurgie d’origine bwa au sein même de la population dogon parlant mombo. Nous proposons donc d’associer l’origine et le développement du style dit, à tort, «djennenké » à ce phénomène.
Localisation : grottes de la Falaise dans sa zone centrale.
Critères d’identification : sculpture de face en haut relief ; bord d’appui de la planchette dorsale pouvant être dentelé.
Type 1. Yeux en boule de loto ; bouche proéminente ; buste aux bras levés, dos en forme de planche, seins et nombril marqués, corps se terminant par une amorce de jambes.
Type 2. Proportions et figures plus réalistes. Yeux en relief. Bras levés pouvant s’accompagner de bras le long du corps. Statues superposées ou juxtaposées. Parfois forts encroûtement sacrificiels.
Datations C14 calibrées : fourchette 1200 – 1500 AD (six dates).
Attribution : La tradition stylistique tellem est antérieure aux populations Dogon de la diaspora de Kani na. On notera que la céramique tellem appartient à la technique générique du creusage de la motte, caractéristique des populations de langues gur dont le bwa fait partie (Mayor-Huysecom 2005). De nombreuses traditions font en effet référence à la présence d’une ancienne population bwa (bobo), tant sur la Falaise que sur le Plateau. Est hors de cause ici la céramique des femmes de forgerons irin qui présente la même technique générique, mais dont la création est probablement contemporaine de la création de la caste au XVIe siècle. La relation entre les Tellem et certaines populations du Burkina Faso comme les Kurumba est aujourd’hui moins crédible.
Une réévaluation de la chronologie « tellem » a récemment été proposée sur la base de datations de l’architecture (Mayor et al.2014). On distingue donc aujourd’hui :
Ces nouvelles références ne sont donc pas incompatibles avec les dates obtenues pour une statuaire antérieure aux Dogon.
Localisation : sud de la falaise de Bandiagara, zone de parler tòrò sò.
Critères d’identification : emploi de la forme naturelle d’une branche d’arbre donnant une silhouette courbée ; grande taille ; tête ronde, exagérée, où la calotte crânienne est parfois accentuée par une coupure ; traits du visage accentués, nez en flèche ; yeux en boutons ou en losanges ; prognathisme ; seins accrochés à une sorte d’encolure massive en forme de barre horizontale formée par les épaules, sur laquelle court une ou plusieurs larges incisions horizontales ; bras collés au corps.
Datations C14 calibrées : fourchette 1400 – 1700 AD (six dates).
Attribution : Le style Niongom est attribué à une population antérieure aux Dogon de la diaspora de Kani na. Deux traditions sidérurgiques locales du pied de la Falaise pourraient entrer en ligne de compte, la tradition d’Enndé et la tradition de Wol, dont les origines sont toutes les deux anciennes. La tradition métallurgique d’Enndé, calée entre 500 et 1400 AD, pourrait être en relation avec la caste des Djèmè na dont les traditions orales parlent avec insistance, du moins à partir du XIIIe siècle. La tradition de Wol, dont l’origine pourrait remonter au 11ème siècle AD et qui se poursuit jusqu’au début du XXe siècle, est une tradition métallurgique d’agriculteurs liée aux patronymes Poudiougo et Kodio. Il convient aujourd’hui de se demander si la tradition d’Enndé, la plus ancienne, ne doit pas être liée aux populations dites « Tellem » de la Falaise, pour lesquelles on ne décrit aucune tradition métallurgique. Le style Niongom pourrait alors être associé à la tradition de Wol, plus récente.
Sur le plan céramique on distingue deux ensembles : une tradition B2 centrée sur le Dinangourou dans la plaine du Séno. Cette production est en relation avec la caste des Jèmè na de la tradition, mais on ne connaît aucune statuaire liée à cette caste. Le second ensemble de la tradition B1 tire son origine du Yatenga mossi et est d’origine très récente. Cette tradition n’entre donc pas dans le cadre de notre discussion. On ne peut donc décrire aucune statuaire liée aux castes actuellement observées (fig. 7 et 8).
Fig. 7. Tradition céramique B2 (Jèmè na de la tradition). Potières enquêtées.
Fig. 8. Tradition B1 (Jèmè na d’origine mossi). Potières enquêtées.
Les styles dits Dogon – Mandé par Leloup correspondent aux Dogon de la diaspora de Kani na (Dieterlen 1941).
Localisation : Falaise de Bandiagara, zone de développement des cérémonies du Sigui.
Critères d’identification : sculpture en rond de bosse tridimensionnelle ; statues sexuées ; traits du visage détaillés ; visage divisé en deux par un nez-flèche ; chaque partie s’inscrit dans un triangle ou un carré ; les angles, coudes, genoux, poignets sont accentués, parfois à angle droit ; les jambes sont figurées avec les genoux pliés et des bracetets.
Les Dogon de la diaspora de Kani na sont liés aux Jèmè Irin. Il est par contre difficile de leur associer une ou plusieurs traditions métallurgiques particulières, Caroline Robion-Brunner n’ayant pas identifé de restes sidérurgiques particuliers dans les régions liées à cette diaspora, qui englobe du reste de larges zones de la plaine du Séno situées hors de la zone d’étude de ma collègue. On peut distinguer dans cet ensemble plusieurs styles.
Remarquons que, selon les traditions orales, la caste des Jèmè irin ne s’est constituée qu’au XVIe siècle, ce qui implique des problématiques distinctes de concordances pour les périodes les plus anciennes, où la production du fer est plus directement liée aux agriculteurs.
Localisation : sud de la Falaise. Zone de parler tengu kan
Critères d’identification : tailles petites à moyennes ; position souvent basse ; têtes rondes et lisses sans détails ni scarifications particulières. Bras repliés et mains posées sur les joues ou sur les yeux.
Datations C14 calibrées : pas de dates.
Attribution : difficulté d’attribution détaillée. La style Kambari, non daté, pourrait être lié à la diaspora de Kani na, mais la zone est proche du village d’Ama, parlant aujourd’hui tomo et ayant permis à Caroline Robion-Brunner de définir la tradition sidérurgique d’Ama.
Localisation : village de Komakan, Falaise centrale. Zone de parler tòrò sò.
Critères d’identification : Fort schématisme ; possibilité de figures superposées ; larges scarifications balafrant le visage en biais ; bras levés suggérés par deux extensions à surface antérieure anguleuse, reliées à la partie supérieure par une bande horizontale ; jambes remplacées par un volume conique.
Datations C14 calibrées : fourchette 1400 – 1700 AD (une date).
Attribution : diaspora de Kani na.
Localisation : Falaise centrale, zone de parler tòrò sò.
Critères d’identification : rond de bosse affirmé ; figures simples ou doubles assises sur des tabourets ; nombreux décors incisés ; tête en demi sphère à base plate, coiffure composée d’une tresse sommitale en bourrelet décorée de chevrons ou de croisillons et se prolongeant en arrière du crâne par une forte protubérance marquant l’extrémité du tressage ; adjonction possible de deux tresses verticales latérales.
Datations C14 calibrées : fourchette 1400-1900 AD (cinq dates).
Attribution : diaspora de Kani na. La tradition orale parle d’une liaison plus particulière avec la tribu Arou.
Localisation : nord du Plateau de Bandiagara. Zone de parler Bondum dom.
Critères d’identification : morphologie lourde avec volumes arrondis ; pas de patine sacrificielle ; bras levés, absence de vêtement, si ce n’est une ceinture cache sexe, tête arrondie, coiffure rase répartissant la chevelure en trois parties sur le front, sans détails. Quelques scacrifications ventrales.
Datations C14 calibrées : fourchette 1400 – 1700 AD (deux dates).
Attribution : le style peut être corrélé avec la tradition métallurgique de Tinntam et probablement avec la caste des Jèmè irin qui ont dû précéder dans la région les forgerons de patronyme Kassambara originaires du Gimbala et installés dans la région au XVIIIe siècle. Les forgerons irin, qui occupent l’ensemble du plateau sont aujourd’hui associés néanmoins à plusieurs parlers distincts : mombo, tommò so, bondum dom et ampari kora (fig. 9 et 10).
Fig. 9. Tradition céramique D (Jèmè irin). Potières enquêtées.
Fig. 10. Tradition céramique D (Jèmè irin). Triangles : villages occupés par des familles de forgerons irin dont les femmes pratiquent la tradition D. Tirets : localisation des familles de Jèmè irin de patronymes Karambé et Seiba dont les femmes pratiquent la tradition C.
Localisation : nord-est du Plateau de Bandiagara. Zone de parler Bondum dom.
Critères d’identification : statuaire proche du style Bombou-toro ; caractères sexuels très marqués, seins volumineux et droits, pénis exagéré ; visage avec trois lignes parallèles de la tempe au menton ; espace des joues orné de chevrons à l’intérieur ; coiffure composée d’une tresse sommitale en bourrelet ornée de chevrons verticaux formant une véritable crête plus élaborée que celle des statues à crête sagittale de la Falaise ; bustes et bras très longs ; scarifications croisées sur tout le corps.
Datations C14 calibrées : fourchette 1600 – 1900 AD (deux dates).
Attribution : corrélation possible avec la tradition métallurgique de Tinntam.
Localisation : plateau central nord, bassin du Yamé (?).
Critères d’identification : style proche de celui de Tinntam, mais en plus anguleux ; statues pouvant être assises sur de très hauts sièges ; tête arrondie ; coiffure rase répartissant la chevelure en trois parties sur le front avec des incisions marquant le détail du tressage qui peut se terminer à l’arrière par une excroissance comme dans le style bombou toro ; seins raccordés directement sur la ligne des épaules.
Datations C14 calibrées : fourchette 1400 – 1900 AD (sept dates).
Attribution : l’imprécision de localisation des statues attribuées à ce style ne permet aucune corrélation linguistique ou ethnique. Tout au plus peut-on dire qu’il s’agit d’une statuaire dogon n’appartenant pas à la diaspora de Kani na. La liaison avec la zone linguistique N’duleri dom (autrement nommée tiranige diga) est loin d’être assurée.
Localisation : partie mérionale du Pays dogon englobant le Plateau médidional, le sud de la Falaise et le sud de la plaine du Séno.
Critères d’identification : lignes massives et schématisme relatif ; reliefs anguleux avec arêtes émoussées ; têtes en demi sphères à base plate ; coiffure composée d’une tresse sommitale antéro-postérieure épaisse et protubérante ; seins implantés sur un volume parallélipipédique figurant les épaules ; bras anguleux, angle droit ou ouvert.
Datations C14 calibrées : pas de dates.
Attribution : relations avec les traditions métallurgiques d’Aridinyi et d’Ama et la caste des Jèmè yélin. Les Tomo correspondent à un groupe culturel montrant une forte influence bamana : emprunts aux Bamana dans la langue, formules rituelles en langue mandingue lors de la réduction du fer, organisation politique en vastes confédérations villageoises, etc. Selon Eric Huysecom, ce groupe ethnique ne serait arrivé en Pays dogon qu’au XVIe siècle (fig. 11 et 12).
Fig. 11. Tradition céramique C (Jèmè yélin). Les carrés signalent les principaux marchés.
Fig. 12. Tradition céramique C1 e C2 (Jèmè Yélin). Potières enquêtées.
Ce rapide tour d’horizon montre qu’il est désormais possible de porter sur la statuaire dogon traditionnelle un regard renouvelé, du moins sur le contexte ethnohistorique de sa production. Nous sommes ici en total décalage avec les interprétations d’Hélène Leloup, qui ignore totalement les résultats des recherches récentes sur le Pays dogon dans ce domaine spécifique.
En contrepoint au triste catalogue de l’exposition du Musée du Quai Branly, nous ne pouvons que recommander chaudement la lecture du numéro hors série de Télérama, consacré à cette exposition, à mille années lumières des extases esthétiques suscitées par ces dizaines de statues mortes, dressées alignées, droites dans les bottes des certitudes de l’histoire de l’art.
Le vrai catalogue de l’exposition se trouve dans cette modeste revue de kiosque à journaux. On y découvre les a priori des missions ethnologiques, et une critique de notre regard d’expert. On y découvre surtout comment l’art dogon vit aujourd’hui à travers les productions destinées aux touristes, les festivals de masques récupérés par les populations locales et les détournements de signification. Une façon de retrouver la vie et l’espoir, loin des pauvres dépouilles muettes, prisonnières des vitrines stériles de l’Occident.
Signalons également dans ce contexte le magnifique film de Michel Brent : « Les dieux sont à vendre« , disponible en DVD chez Pacific Production, qui situe parfaitement les enjeux et les problématiques marchandes liées à l’art dogon à travers un exemple emblématique de deux statues de bois de la Falaise.
BEDAUX R., PERSON, A. 2003. La statuaire mythique des Dogon. In : Bedaux R., Van Der Waals J.D. (éds). Regards sur les Dogon du Mali. Leyde : Rijksmus. voor Volkenkunde ; Gand : Snoeck, p. 128-133.
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