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Bruno Boulestin m’avait récemment parlé du livre de Jean-Claude Passeron Le raisonnement sociologique : l’espace non poppérien du raisonnement naturel (1991) comme une alternative possible au livre d’Alain Testart (1991) Pour les sciences sociales : essai d’épistémologie.
Il était donc important d’entrer dans la démonstration de ce livre, qui constitue certainement l’argumentation la plus développée et la mieux argumentée en faveur de la spécificité des sciences sociales et de leur irréductibilité aux sciences de la Nature présentées comme des sciences nomologiques. La force du livre vient notamment du fait que l’argumentation se situe clairement dans l’explicitation d’une démarche empirique considérée comme « scientifique » et écarte résolument les errements – considérés comme relevant de la métaphysique – de ce que certains nomment une « troisième voie », ni science ni littérature ».
« On peut argumenter la pleine appartenance des sciences de l’homme au savoir empirico-rationnel, dès lors qu’on admet d’autres formes d’intelligibilité scientifiques que celles qui s’expriment par des lois universelles. » (p. 21)
Passeron lutte donc sur deux fronts : contre l’illusion scientiste, qui voudrait à tout prix faire entrer les sciences sociales dans le registre épistémologique des sciences dites « exactes ». Et contre la tentation herméneutique, qui abandonnerait volontiers toute prétention de scientificité pour se livrer aux plaisirs de l’interprétation libre et du commentaire inspiré (Olivier de Sardan 1993, p. 147).
Cette démarche se justifiait sur trois plans :
On peut articuler la réflexion en quatre points :
Vue partielle d’une planche de l’Atlas catalan, un portulan du XIV e siècle, réalisé vers 1375 et traditionnellement attribuée à Abraham Cresques, un cartographe juif majorquin de Palma, et à son fils Jehuda Cresques.
Selon Karl Popper la théorie doit précéder l’observation.. Il rejette la méthode de l’induction et formule une critique méthodologique, indépendante de notre capacité à modéliser les raisonnements inductifs, l’induction étant un type de raisonnement courant d’un point de vue cognitif. Il va lui substituer le principe de la réfutabilité empirique (anglais : falsifiability). C’est ce principe qui va devenir selon Popper le critère de démarcation entre science et non-science.
Selon Passeron, qui adopte une position cohérente par rapport aux distinctions de Popper,
– L’anthropologie est une discipline strictement historique fondée sur des démarches inductives et empiriques. Nous préférerons ici ce terme, plus général, à celui de sociologie, la réflexion concernant, de l’aveu même de Passeron, toutes les sciences de l’homme.
– La discipline aborde des objets qui ne peuvent être que contextualisés, soit rapportés à des coordonnées spatio-temporelles bien définies. Le sens donné aux observations dépend de la région du monde et de l’époque où ces dernières sont effectuées.
« Le sens des abstractions ou des typologies historiques ne peut être désindexé de « contextes » qui sont, bon gré, malgré pris en compte par désignation (deixis). » (p. 62)
– L’anthropologie ne peut révéler des vérités universelles.
« A trop rechercher ce qui est également vrai de tous les hommes (…) une science de l’homme (…) finit toujours par avouer dans la banalité psychologique ou politique des généralités auxquelles elle prétend l’insignifiance anthropologique dont elle se contente. Il n’y a de sociologie que des rapports inégaux et des figures de la différence. » (p. 247)
– En tant que science historique ses assertions relèvent de l’interprétation (compréhension) et non de l’explication scientifique. Cette opposition est le legs de l’idéalisme allemand. Formulée pour la première fois par Wilhelm Dilthey à la fin du siècle dernier l’opposition entre Erklärung et Verstehung (explication et compréhension) se retrouve dans les œuvres telles que celle de Max Weber.
« Une intelligibilité qui n’est ni formelle ni nomologique ne peut être qu’interprétative. » (p. 240)
« (en histoire) le principe, celui de la critique, interne externe et contextuelle du témoignage, ne s’en est dégagé que progressivement pour se constituer en théorie de l’interprétation. Mais on s’aperçoit alors que cette théorie est la même que celle à laquelle ont accédé par d’autres chemins les autres sciences sociales : celle du relativisme culturel. » (p. 69)
– L’anthropologie est totalement irréductible à l’approche nomologique des sciences de la Nature.
« L’analyse épistémologique et la description méthodologique de ses raisonnements réels interdisent donc de placer la sociologie au pôle du raisonnement expérimental, ainsi que l’avait espéré, dans son optimisme conquérant, l’épistémologie durkheimienne (…). C’est non pas la sociologie mais le raisonnement statistique qui occupe la position polairement opposée à celle de l’histoire historienne en ces formes classiques. » (p. 77)
« La mise à l’épreuve empirique d’une proposition théorique ne peut jamais revêtir en sociologie la forme logique de la « réfutation » (« falsification) au sens poppérien. » (p. 375)
Le « tous » des énoncés d’une science nomologique n’est pas le « tous » des généralités historiques et cette différence de structure logique, qui fonde la distinction de l’universalité « au sens strict » de « l’universalité numérique » commande une différence fondamentale dans les effets théoriques du démenti empirique. » (p. 378)
– L’interprétation historique de l’anthropologie et de l’histoire relève donc d’un espace épistémologique non poppérien (fig. 1).
« La mise à l’épreuve empirique d’une proposition théorique ne peut jamais revêtir en sociologie la forme logique de la « réfutation » (falsification ») au sens poppérien. » (p. 375)
« Tant qu’elle se réfère exclusivement au modèle nomologique des sciences expérimentales, la sociologie est effectivement placée, comme l’ensemble des sciences sociales, devant le dilemme poppérien qui ne laisse le choix à une science empirique (versus métaphysique), visant à définir rigoureusement sa pertinence empirique, qu’entre “falsification” et “exemplification”. » (p. 359)
Fig. 1. Mise en place des concepts de Jean-Claude Passeron (à l’exception des termes régularités, prédiction et rétrodiction) dans un espace opposant raisonnement poppérien et non poppérien. Les signes // marque l’irréductibilité des approches.
Au-delà de l’opposition radicale entre espace poppérien et non poppérien Passeron introduit un certain nombre d’aménagements qui, pour l’anthropologie (sociologie), ouvre la porte du raisonnement expérimental sensu lato.
– Il admet que certaines disciplines spécialisées comme démographie, la linguistique, ou même l’économie ont pu se constituer des espaces de raisonnement poppériens. Mais, dit-il, les approches ne parlent qu’après avoir contextualisé les résultats et introduit des variables exogènes.
« Reste (…) que les sciences sociales particulières (linguistique, démographie, économie) réussissent mieux, grâce à la précision de leur visée. A construire des modèles explicatifs, voir à formuler des lois, que les disciplines à ambition synthétique comme l’histoire ou la sociologie. » (p. 26)
– Mais ces disciplines de parlent que d’aspects limités de l’anthropologie et ne sont pas capables d’aborder la réalité du « fait social total ».
« Il faut accepter l’idée que les modèles de reproduction sont des modèles approchés, des modèles partiels, qui ne s’appliquent qu’à des sous-systèmes de la réalité sociale (…). Pour rendre compte du changement, il faut dépasser ce moment de la description et mettre en relation plusieurs sous-systèmes de reproduction assez indépendants pour que leurs effets ne puissent donner lieu à un système d’équilibre et de reproduction. » (p.109)
« Démarche historique et démarche sociologiques (ou anthropologiques, si l’on préfère ce terme) reste donc les pivots épistémologiques du dispositif complexe de la société, parce qu’elles ont affaire au « fait social total » dont Marcel Mauss proposa la théorie dans l’Essai sur le don, non pas ainsi qu’on l’entend cursivement, comme affirmation plate que tout est relié à tout ou que tout est dans tout, mais comme invite à rechercher dans une société le (ou les) symbolisateurs(s) nodaux qui se distribuent différemment dans les différentes cultures. » (p. 26-27)
– Le schéma proposé intègre raisonnement statistique et histoire historienne (stade ETIC) dans des niveaux d’intelligibilités supérieurs (stade EMIC).
« Considérer le raisonnement sociologique comme un raisonnement mixte, qui le situe sur notre schéma entre le pôle de la contextualisation historique et le pôle du raisonnement expérimental (…). Il est un raisonnement qui fonctionne dans un mouvement de va et vient. » (p. 79)
« Recouvrant, si on l’approfondit, la distinction entre « effet d’information » et « effet de connaissance », la distinction entre -graphie (= ETIC) et -logie (= EMIC) reste pertinente pour séparer deux niveaux de la démarche descriptive dans toutes les sciences sociales.» (p. 220)
« Ce n’est pas désigner à la sociologie une tâche et une ambition nouvelle que de faire voir dans la construction comparative le ressort de ses intelligibilités les plus générales, puisque tout discours sociologique qui a laissé une trace dans le champ de la recherche a toujours assumé de porter son énonciation à ce niveau. » (p. 240)
– Mais Passeron déplore l’affaiblissement des deux démarches, et, à la limite, leur non pertinence scientifique lorsque l’on tente de découvrir des généralités dans les phénomènes (stade EMIC).
« Dans les sciences historiques, la connaissance des phénomènes s’évapore à mesure que la formalisation s’enrichit. » (p. 42)
« A mesure (…) que l’on avance dans cette épuration statistique, le raisonnement expérimental s’améliore logiquement, mais devient en même temps, de plus en plus absurde historiquement, et du même coup sociologiquement. » (p. 87) (fig. 2)
Fig. 2. Enrichissement du raisonnement sociologique ménageant une ouverture en direction du raisonnement expérimental (Passeron, fig. p. 74, modifié dans la disposition des termes pour se trouver en conformité topologique avec la démarche logiciste).
Les données précédentes permettent de proposer un certain nombre de remarques importantes (fig. 3).
Les sciences sociales tendent à « idéaliser » les sciences physiques ou naturelles ou à les croire plus « positivistes » qu’elles ne le sont. Les sciences naturelles, en particulier, sont sans arrêt confrontées à des « objets en situation », et relèvent au bout de compte plus de l’observation que de l’expérimentation (Olivier de Sardan 1993, p. 149).
Rappelons tout d’abord quelques points du livre d’Alain Testart (1991) en nous référant à ce que j’en ai dit.
Contrairement à l’idée dominante dans la société savante concernant la dualité insurmontable de régime épistémologique entre sciences déductives et expérimentales, Alain Testart reprend l’idée d’un idéal nomologique pour les sciences sociales. Le mode social constitue bien une nature au sens kantien du terme, quelque chose qui doit exister sous des lois. Les références aux propositions concernent mon analyse du livre de Testart 1991 (voir la page lecture qui lui est consacrée).
La discordance entre modèle nomologique et état de fait de la discipline tient seulement au jeune âge de la discipline qui n’a pas de spécificité particulière. Il n’existe pas de langage théorique partagé au sein des sciences sociales, pas de paradigme permettant l’organisation des connaissances, pas de cumulativité des savoirs.
Aucune science n’a jamais fait la théorie d’un objet concret dans sa globalité. Il y a donc coexistence en droit de toute science au monde tout entier. On ne peut diviser le monde en essences distinctes à la façon d’Aristote. Il n’y a pas de faits substantiellement physiques, psychologiques ou sociaux. Les différences entre les sciences sont uniquement gnoséologiques et relèvent de la connaissance en général et de la façon dont on découpe nos savoirs sur le monde. Il s’agit de points de vue sur les choses. Dans cette optique la notion d’émergence est inutile.
Le sujet n’est pas une partie de son objet, ce n’est qu’un point de vue sur l’objet. L’objet reste identique quel que soit le point de vue. Le livre développe certains domaines qui ne sont pas abordés dans le livre de Passeron comme la relation au sujet, fait souligné par Olivier de Sardan (1993) pour ce dernier auteur, mais la solution que Testart donne de cette question n’est pas celle qui est habituellement avancée par les sciences sociales.
Alain Testart donne une vision relativement large du domaine nomologique.
L’opposition entre compréhension et explication ne se situe pas entre les sciences sociales et les sciences physiques, elle se situe à l’intérieur même de l’anthropologie et illustre le statut émergeant de la discipline. La compréhension concerne l’appréhension du discours des acteurs, l’explication relève par contre de l’approche scientifique qui ne peut se développer que dans une seconde phase.
Les sciences nomologiques associent donc deux démarches, l’une en termes d’histoire, l’autre en termes de physique :
Cette distinction correspond à l’opposition entre cultures et sociétés développée dans le livre « Avant l’histoire » (cf. CR de Lenclut 2014). Par conséquent étude de cas concrets et recherche de généralités sont indissociables. Il ne peut y avoir d’étude de cas concrets que sur fond de généralité.
C’est l’ampleur de l’écart entre le niveau où se construit la théorie et le niveau où l’on observe la réalité qui caractérise la science.
L’approche nomologique ne correspond pas uniquement à une approche expérimentale. Une science théorique ne commence pas avec l’expérimentation. On n’expérimente pas sur les planètes ou sur des fossiles de dinosaures, des domaines qui relèvent d’abord de l’observation.
On peut donc évaluer la confrontation Passeron-Testart comme suit :
Passeron centre son propos sur l’historicité, mais il est contraint d’aborder, en marge, le nomologique. Nous pouvons retenir de son propos le caractère non poppérien de la démarche historique.
Testart centre son propos sur le nomologique, mais il est contraint d’aborder, en marge, l’historicité. Nous pouvons retenir de son propos l’autonomisation des divers regards sur un même objet, la prise en compte du discours des acteurs comme un point de vue parmi d’autres et non comme principe explicatif, enfin le caractère constructiviste de l’approche.
En conclusion, il nous est difficile d’adhérer à cette proposition de Jean-Claude Passeron :
« Toute croyance en une nomologie de la « nature sociale » est devenue vaine aux yeux des chercheurs qui ne participent pas d’un illuminisme scientifique. » (p. 80)
En effet nous ne cherchons pas une nature sociale hypothétique mais des points de vues spécifiques sur les objets relevant du social.
Les approches de Testart et de Passeron peuvent en définitive parfaitement s’intégrer dans l’épistémologie que je m’efforce de promouvoir (Gallay 2011). Le fait d’admettre que la connaissance du monde qui nous entoure, qu’il s’agisse de l’homme ou de la nature, peut s’accommoder d’une épistémologie unique autorise à regarder du côté des sciences de la Nature qui ont fait leur preuve pour y rechercher une meilleure compréhension des problèmes posés par l’approche de la réalité. Notre propos n’est pas ici de découvrir ailleurs des recettes que l’on pourrait appliquer aveuglément aux réalités humaines, mais simplement de mieux comprendre les problèmes posés et l’articulation des démarches permettant d’acquérir un certain contrôle des réalités. Plusieurs disciplines comme l’astrophysique, la tectonique des plaques en géologie ou la biologie de l’évolution ont en commun avec l’archéologie des questions comparables à résoudre :
– ce sont des sciences d’observation dont le champ d’étude englobe également le Passé ;
– les phénomènes passés sont affectés de distorsions diverses : informations réduites, effets de perspective, etc. ;
– dans tous les cas la réalité est systémique et présente de ce fait, dans son évolution historique, une composante aléatoire non maîtrisable ;
Ces diverses disciplines se situent en conséquence à la jonction de trois savoirs spécifiques dont il importe de bien saisir l’articulation et les limites heuristiques : l’histoire, les régularités et les mécanismes.
L’histoire, c’est-à-dire la reconstitution, à travers une information toujours partielle, des scénarios qui ont caractérisé l’évolution des choses au cours du temps. Comme Veyne (1971) et à sa suite Passeron l’ont bien montré l’histoire est essentiellement descriptive. Par un patient travail de reconstruction le chercheur tente, en croisant les documents, de restituer évènements et faits fondés sur une documentation toujours partielle. Il lui arrive également, faisant l’hypothèse de certaines régularités, de compléter son information pour donner aux histoires proposées plus de cohérence. Nous garderons pour cette opération le terme de rétrodiction proposé par Veyne.
Les limites de ce jeu sont évidentes, elles sont de deux types :
– la documentation est lacunaire, les scénarios proposés sont donc toujours susceptibles d’être remis en question par de nouvelles découvertes,
– l’histoire est constatée, elle ne peut être expliquée dans la mesure où il s’agit de systèmes complexes évoluant dans le temps. Il n‘existe pas de lois de l’histoire.
S’il est probable qu’une grande partie de l’histoire peut être considérée comme indéterminée on ne peut pourtant exclure la possibilité de décrire des scénarios ayant, localement, une certaine généralité. Le rejet d’une histoire unique et universelle n’exclut pas en effet la reconnaissance de trajectoires cohérentes sur de plus petits espaces ou à un niveau descriptif plus grossier. L’observation est donc à la base d‘un processus de généralisation. On peut tenter dans un premier temps d’articu1er ce savoir au sein de classes logiques cohérentes, les typologies, rendant compte des constatations du sens commun.
Les régularités sont induites empiriquement de l’examen des scénarios, à travers une première intuition globale de la présence d’une certaine cohérence dans notre monde. Ce savoir empirique non expliqué constitue le fondement de la plus grande partie des actions humaines. Nous pouvons l’appeler un savoir artisanal.
En archéologie, il peut prendre trois formes, soit par ordre de précision décroissant :
– des corrélations chiffrées entre deux types de phénomènes continus ou discontinus,
– des typologies intégrant deux ou plusieurs domaines de la réalité faisant chacun l’objet d’une partition,
– des relations discursives exprimées en langue naturelle et pouvant se formaliser dans des enchaînements de propositions de type si Pi alors Pi+1.
Les limites des savoirs, implicites ou explicites, sont connues :
– une corrélation entre deux phénomènes ne fournit pas obligatoirement l’exp1icationde ce phénomène,
– les régularités empiriquement perçues peuvent être fondées sur une mauvaise connaissance de la réalité, même si elles possèdent un pouvoir prédictif sur cette dernière,
– les théories les plus profondes sont souvent contre-intuitives,
– l’opposition entre scénarios et régularités reste une opposition relative puisqu’elle découle strictement de 1’activité conceptuelle et classificatrice de l’esprit humain. Un phénomène restera particulier ouserasusceptibled’acquérirunesignificationgénéraleselonlafinessedela description proposée.
La recherche des lois permet, dans une certaine mesure, de comprendre des aspects partiels de la réalité et par là même de justifier la présence de régularités. Au terme de loi nous préférons le terme de mécanismes mieux adapté à 1’épistémologie pratique que je tente de promouvoir et plus proche de la démarche scientifique de tous les jours. Ces mécanismes sont les seules explications recevables d’une approche scientifique. Il y a lieu de bien distinguer ce concept de la notion d « ‘explication » au sens large parfois utilisée en archéologie. Ces dernières ne sont en effet souvent que des régularités de rang élevé (Gallay 1992).
Les limites de ce type d’approche sont précises:
– les mécanismes mis en évidence n’expliquent que des secteurs extrêmement limités de la réalité ;
– ces derniers ne peuvent être mis en évidence qu’à travers l’observation du monde vivant actuel. Fonder l’espoir de découvrir des mécanismes à partir de la seule observation de la réalité passée est une utopie ;
– les seules explications possibles sont de type fonctionnel et portent sur la description « de ce qui se passe ». Rien à voir par conséquent avec les explications fonctionnalistes proposées par des ethnologues comme Malinowski dont la connotation finaliste reste forte ;
– ces dernières portent sur la genèse des régularités construites à partir de l’observation du monde, en aucun cas sur les scénarios de l’histoire. Il est donc nécessaire de rejeter la causalité globale en histoire ;
– L’opposition entre régularités et mécanismes reste relative. Selon Binford (1978) la mise en évidence des mécanismes peut assurer la validité de certains modèles transculturels. On se posera alors la question de savoir comment asseoir às on tour notre croyance en la généralité de ces mécanismes puisque ces derniers ne sont, somme toute, que descriptifs ?
L’identification des mécanismes revient en fait à cerner correctement les conditions initiales située sa l’origine d’une régularité soit, formellement parlant, à définir un ensemble de propriétés Pi responsables des propriétés Pi+1. Cette recherche débouche fréquemment sur la mobilisation de connaissances extérieures au domaine étudié dont les fondements reposent sur des sciences étrangères à l’archéologie et à l’anthropologie. Cette façon d’élargir le champ du débat permet d’assurer une certaine légitimité à la construction proposée en l’intégrant dans le champ scientifique général, mais elle ne suffit pas à la valider.
Le schéma de la figure 4 montre que l’espace non poppérien de Passeron se situe sur l’axe reliant les régularités aux scénarios et l’espace nomologique de Testart se situe à l’opposé sur l’axe reliant les mécanismes aux régularités.
De cette situation découle une contrainte générale et essentielle : l’histoire ne peut être comprise directement à partir des mécanismes et doit passer par l’étape intermédiaire des régularités.
Fig. 4. Schéma permettant d’intégrer les points de vue d’Alain Testart et de Jean-Claude Passeron.
BINFORD L. R. 1978. Dimensional analysis of behavior and site structure:learning from an eskimo hunting stand. American Antiquity, 43,3, p. 330-361.
GALLAY A. 1992. L’ethnoarchéologie en question ? In : Ethnoarchéologie : justification, problèmes, limites. Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire (12 ; 17-19 oct. 1991 ; Antibes). Juan-les-Pins : Eds APDCA (Assoc. pour la promotion et la diffusion des connaissances archéol.), 447-452.
GALLAY A. 2011. Pour une ethnoarchéologie théorique. Paris : Errance.
LENCLUD G. 1993. La statue du commandeur : note critique. Annales. Histoire, sciences sociales, 48, 5, p. 1221-1230.
LENCLUD G. 2014. D’aujourd’hui à avant-hier : un évolutionnisme bien tempéré. Gradhiva, revue d’anthropologie et d’histoire de l‘art, 20, 14. Création, fiction, notes de lectures, p.268-279.
GALLAY A. 2018. Alain Testart and the epistemological thought. Archeologia Polski, 63, p. 7-28.
OLIVIER DE SARDAN J.-P. 1993. L’espace wébérien des sciences sociales. Genèses, 10, p. 146-160.
PASSERON J.-C. 1991. Le raisonnement sociologique : l’espace non popérien du raisonnement naturel. Paris : Nathan (Essais et recherches)
TESTART A. 1991. Pour les sciences sociales : essai d’épistémologie. Paris : Christian Bourgois.
VEYNE P. 1971. Comment on écrit l’histoire : essai d’épistémologie. Paris : Le Seuil (Points histoire).