Fondements théoriques
L’analyse des modalités selon lesquelles l’archéologue donne du sens à ses trouvailles montre que l’on fait toujours appel à un contexte de référence extérieur, archéologique, historique ou ethnologique. L’analogie, qu’on le veuille ou non, joue un rôle essentiel dans nos constructions.
L’ethnoarchéologie répond à cette question essentielle. Elle se donne pour tâche de formuler des règles, soit des régularités fondées sur des mécanismes, permettant de donner du sens aux vestiges.
L’analyse logiciste des diverses constructions archéologiques liées à une question particulière enregistre souvent de nombreuses multi-interprétations contradictoires. Les règles du jeu scientifique lui impose de considérer cette situation comme un problème à régler en dehors de toute analyse socio-historique visant à dégager les facteurs de toute espèce qui pourraient être à l’origine des ces « divergences de vue ». Les conflits d’interprétation méritent d’être traités comme des problèmes justifiables de quelque solution.
Cette remarque nous entraîne dans l’identification des facteurs C – Contexte ethnographique, Connaissances établies, Croyances plus ou moins partagées, sens Commun – le plus souvent présents dans les constructions. Le but de l’analyse n’est pas en effet de démontrer que les proposition sont vraies ou fausses, mais qu’elles sont le plus souvent incomplètes et qu’elles méritent donc d’être enrichies en tenant compte des données inexprimées. Une manière de rationaliser les divergences consiste à les inclure dans la sphère des antécédents (Gardin 1991, 1997).
Formellement parlant une ambiguïté de type :
{p – q1} Ou {q2} … OU {qn}
Pourrait se réduire en enrichissant la partie gauche de l’expression de règles non ambiguës telles que:
{p.C1 – q1} ; {p.C2 – q2} ; {p.Ci – q1} ; {p.Cn – qn}
On constate que les facteurs C se répartissent en trois grands ensembles liés :
1. aux cultures particulières concernées par l’étude ou aux conditions environnementales naturelles ou humaines (restrictions L, T, F),
2. à l‘influence de l’observateur, idéologie, contexte socioculturel, circonstances de l’étude etc.,
3. à l’influence de l’informateur et de ses croyances (pour ce qui touche à l’ethnoarchéologie).
Le premier domaine justifie le recours à l’ethnoarchéologie. Le plus souvent les règles définies se rapportent à un espace L/T qu’il convient, une fois les facteurs 2 et 3 maîtrisés, de définir en chaque cas au sein de ce que l’on pourrait appeler une logique des champs. Certains auteurs admettent pourtant qu’il est possible de proposer des règles non triviales ayant valeur universelle (Roux, Corbettaz, Corbettaz 1990).
La démarche anthropologique de l’ethnoarchéologique (partie gauche du schéma) située par rapport à la démarche historique de l’archéologie (partie droite du schéma). Les deux triangles latéraux schématisent les constructions logicistes possibles.
Engagement pratique
Nous avons chercher à appliquer les principes théoriques de l’ethnoarchéologie en abordant une région particulière, la Boucle du Niger au Mali, et une question spécifique, les relations que l’on peut établir entre les variations de la culture matérielle et l’histoire des peuplements humains.
Nous avons ainsi mis sur pied des enquêtes sur les traditions céramiques du Delta intérieur du Niger au Mali. Les recherches entreprises depuis 1988 dans cette région, puis en Pays dogon, se sont intéressées aux relations pouvant exister entre les diverses populations occupant cette région et les traditions céramiques encore très vivantes aujourd’hui (Gallay et al. 1996 ; Gallay, Huysecom, Mayor 1998.
Les diverses composantes d’une étude des relations entre traditions céramiques et peuplements (développé dans Gallay 2005)
L’originalité du projet tient en quatre points.
1. Les recherches se sont exclusivement intéressées aux productions céramiques, un matériau abondamment représenté dans les sites archéologiques.
2. La zone prospectée est particulièrement étendue puisqu’elle englobe l’ensemble du Delta intérieur du Niger, soit une zone de 500 km de long sur 150 km de large et s’est poursuivie en Pays dogon, une zone de 140 sur 100 km, de façon à englober l’ensemble des populations de la boucle du Niger.
3. L’approche du terrain a été conçue de façon à récolter des données chiffrées susceptibles de traitements statistiques sur un nombre limité de paramètres jugés significatifs.
– Dans le Delta, les recherches ont abordé les mécanismes de production et les mécanismes de consommation de la céramique. Des enquêtes ont été effectuées dans 94 villages, totalisant 139 complexes d’habitations (102 unités de consommations et 37 ateliers de potières). Le corpus topographique comprends 1060 localités répertoriées. 6500 récipients ont été dessinés et documentés. 330 potières ont été interviewées. Des enquêtes sur 12 marchés hebdomadaires ont permis de recenser 697 acheteurs, issus de 294 villages différents, ayant acheté et emporté 813 récipients. Le corpus des séquences de montage comporte 263 montages décrits sous forme codée et enregistrés dans une banque de données dont l’exploitation est en cours.
Nous avons ainsi identifié 10 traditions céramiques en relation avec 6 ethnies distinctes, les Bozo, les Somono, le Bwa, les Bambara, les Peul et les Sonraï.
– en Pays dogon, les moyens plus limités dont nous disposions nous ont contraints à nous limiter aux mécanismes de production de la céramique. Des enquêtes ont été effectuées dans 171 villages. Le corpus topographique comprend 883 localités répertoriées. Les enquêtes ont porté sur 2078 potières. Le corpus des séquences de montage comporte 64 montages décrits sous forme codée
Nous avons ainsi identifié 6 traditions propres aux Dogon, auxquels il faut ajouter des information recueillies sur les traditions mossi et la tradition sonraï du Hombori.
4. Les recherches ont combiné des enquêtes ethnographiques dans les villages actuels et des fouilles archéologique destinées à tester la fiabilité des modèles proposés. Ces dernières ont porté sur Hamdallahi, l’ancienne capitale de l’Empire peul du Maasina (fouilles Huysecom), ainsi que sur le camp provisoire établi par Sékou Ahmadou, pendant la construction de la ville (Fouilles Mayor, Gallay et al. 1990 ; Mayor 1997) et se sont poursuivie en Pays dogon par la fouilles d’un abri rituel (fouilles Mayor). Les modèles mis en place ont d’autre part été appliqués à l’histoire de la Boucle du Niger sur la période allant du 1er millénaire av.J.-C. à l’époque actuelle (Mayor 2005).
Un modèle pour la diffusion d’une tradition céramique par rapport au coeur d’un peuplement humain.
Pour en savoir plus sur les principales techniques de montage de la céramique de la boucle du Niger:
Exposition sur la poterie dans la Boucle du Niger.
Museum d’histoire naturelle (Genève), 24 juin-20 octobre 1996.
Une réplique de cette exposition a également été présentée du Musée national du Mali à Bamako en janvier 1997.
Publications
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