Les assemblages de la préhistoire
Nous avons rencontré Gretel Hensler en été 1964 sur les fouilles que nous codirigions avec Christian Strahm, de l’Université de Berne et Jean-Pierre Jéquier, de l’Université de Neuchâtel, sur le site néolithique d’Auvernier, au bord du lac de Neuchâtel. C’était entre deux séjours africains. Nous avons uni nos destinées pour quelques années. Nous découvrons donc ses travaux sous Gallay, son nom de mariage.
Nous préparions alors une thèse sur le Néolithique du Jura. Nos connaissances sur cette période se limitaient à notre expérience des fouilles valaisannes de Saint-Léonard, au Néolithique suisse et à quelques lectures des travaux du docteur Arnal, l’inventeur du Chasséen, ainsi que de Gérard Bailloud.
Elève du professeur Sangmeister à Fribourg en Brisgau, Gretel nous a fait partager ses connaissances du Néolithique européen et nous a ouvert le champ des recherches archéologiques en Allemagne et en Europe centrale. Nous avons découvert ensemble la Tchécoslovaquie à l’occasion du congrès de Prague (1966), ainsi que les monuments mégalithiques d’Irlande (1968) et fouillé en 1968-69, pour la première fois, au Petit-Chasseur à Sion.
Thème
La notion de culture préhistorique a passé par quatre étapes.
En compagnie de Benoît Guinand (à gauche) et Gilbert Rist (au centre) en 1954, au temps des aventures spéléologiques dans les grottes du Salève.
1. La flèche du progrès
Dans une première étape le transformisme de Jean-Batiste Monet chevalier de Lamarck (1809) a servi de référence aux premiers préhistoriens pour ordonner leurs découvertes selon l’axe d’un progrès continu.
2. Groupes monothétiques et histoire des peuples
Après la Révolution française et avec la naissance des nationalismes, les nations ne pouvaient plus fonder leur identité sur la seule légitimité des dynasties régnantes. Les peuples, ces nouvelles entités sur la scène de l’histoire, sont donc amenés à affirmer leur spécificité par la définition d’une langue, de traditions particulières et d’un passé commun. On utilise les vestiges archéologiques pour restituer une histoire des peuples.
3. Des assemblages aseptisés de composantes culturelles
Après la seconde guerre mondiale et suite aux dérives racistes du nazisme, l’adéquation culture monothétique-peuple est à juste titre mise en doute, pour des raisons bien compréhensibles, mais sans se donner les moyens d’une réflexion théorique proprement archéologique .
Les chercheurs ont donc continué à adopter une attitude ambiguë : on rejette vigoureusement l’équation de Childe : « un peuple – un pot », mais on continue tout de même à faire de l’histoire des peuplements et l’ambiguïté culture – population se retrouve dans de nombreux travaux.
4. Groupes polythétiques
La notion de groupe polythétique, introduite dans les années 60, est attachée au nom de David-L. Clarke. On constate que les répartitions L et T des diverses composantes culturelles ne sont pas concordantes, mais on n’en tire aucune conséquence sur le plan des questions de peuplements.
5. Analyse anthropologique des composantes culturelles
Dans une quatrième étape on s’attachera à proposer des interprétations anthropologiques qui puissent rendre compte de l’hétérogénéité des variations spatio-temporelles des composantes culturelles. Nous nous situons ici dans les débats actuels qu’illustrent parfaitement les recherches de Pierre Pétrequin sur la diffusion des haches polies d’origine alpine.
Voir également la communication présentée au colloque sur le Chasséen.
Question
Les contacts avec la tradition archéologique allemande de l’après guerre nous a fait connaître une archéologie exigeante, mais essentiellement descriptive, qui se cristallisait autour de la notion d’ « assemblage » et évitait les interprétations fonctionnelles. Les cultures préhistoriques ne révélaient que des combinaisons d’objets-types auxquelles nous ne pouvions donner aucune signification fonctionnelle faisant sens dans les sociétés anciennes.
De cette époque, nous avons retiré une interrogation : comment dépasser la notion restrictive de culture archéologique, qui ne satisfaisait qu’imparfaitement notre intérêt pour l’ethnologie et les cultures vivantes ?
Notre réflexion s’est opérée en deux temps :
1. Au début des années 60, la contestation des groupes monothétiques était dans l’air du temps. Bien avant Clarke, Gérard Bailloud montrait à propos du Chasséen que les répartitions L des composantes culturelles n’étaient pas homogènes et remettaient ainsi en question la notion de culture archéologique homogène (conférence donnée au musée de Nîmes le 18 juillet 1964 à laquelle nous assistons). Nous allions, sur cette base, systématiser ce type d’approche dans notre thèse sur le Néolithique du Jura. Cette analyse concordait parfaitement avec la notion de groupe polythétique que nous allions découvrir plus tard en lisant le livre de David-L. Clarke, Analytical Archaeology (1968), un concept dont le nom n’apparaît pas dans notre propre travail.
2. Dans une deuxième étape nous insisterons sur l’absolue nécessité de proposer des hypothèses anthropologiques permettant de rendre compte de la répartition des objets dans l’espace-temps. Cette position a été affirmée pour la première fois explicitement en 1990 à l’occasion du 6ème cours de la Société suisse de préhistoire de Genève consacré à l‘histoire des peuplements (Gallay, A. 1990. L’archéologie des peuples en question. In : Gallay (A.), ed. Peuples et archéologie. Cours d’initiation à la préhist. et à l’archéol. de la Suisse (6 ; 1990 ; Genève : résumé des cours). Bâle : Soc. suisse de préhist. et d’archéol, 5-9).
Gretel est décédée le 17 janvier 2010
Trois travaux pour comprendre une recherche en décalage sur l’enseignement parisien
– GALLAY (A.), GALLAY (G.). 1968. Le Jura et la séquence Néolithique récent-Bronze ancien. Archs suisses d’anthrop. générale (Genève), 33, 1, 1-84.
– GALLAY (A.). 1972. Signification culturelle et chronologique du Néolithique de Cravanche (Terr. de Belfort). Homo, 23, 36-49.
– GALLAY (A.). 1977. Le Néolithique moyen du Jura et des plaines de la Saône : contribution à l’étude des relations Chassey-Cortaillod-Michelsberg. Frauenfeld : Huber. (Antiqua ; 6). (partie théorique seule).
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