L’esprit de géométrie
Claude Lévi-Strauss figure en première place dans notre découverte de l’anthropologie lors des deux années universitaires passées à Paris de 1960 à 1962.
Parmi ses enseignements, nous avons suivi son cours du Collège de France sur les mythologies d’Amérique du Sud et plusieurs de ses séminaires, dont celui animé par Lucien Sebag sur les mythologies des Pueblos. Nous avons lu alors avec passion ses livres : Tristes tropiques, Anthropologie structurale, le totémisme aujourd’hui, mais surtout La Pensée sauvage, qui venait de paraître. Cela reste pour nous l’un des plus beaux livres jamais écrit sur la pensée humaine.
Ses démonstrations des transformations des mythes amérindiens étaient éblouissantes, mais nous apparaissaient, à nous étudiant fraîchement débarqué dans la profession, comme parfois suspectes, car l’habileté du maître était telle que nous avions l’impression confuse qu’il était possible d’atteindre n’importe quelle conclusion à parmi des mêmes prémisses.
Thèmes
Nous avons été fasciné par cette capacité d’exprimer la pensée en schémas et par cette alliance de la raison et d’un certain esthétisme des sujets traités. Le concept même de structure coïncidait avec notre mode de pensée. Cela nous a incité à suivre des cours de linguistique pour mieux connaître la tradition saussurienne.
Questions
Une question essentielle restait néanmoins sans réponse. Quel était le statut épistémologique des structures dégagées ?
Placer les schémas explicatifs censés répondre des transformations observées d’une culture à l’autre dans l’inconscient de l’acteur nous paraissait difficilement soutenable et surtout impossible à vérifier.
Réponse
La mise en évidence du transculturel à travers la transformation des structures apportait une première réponse au problème de l’utilisation de l’ethnologie en archéologie. Nous avions là un début de réponse à la question de l’opposition entre unité et diversité culturelle, mais nous cherchions en vain d’autres travaux allant dans ce sens.
Une autre conception, développée dans Races et histoire, allait par contre, plusieurs années plus tard, nous être d’une grande utilité lorsque nous aborderons la question de la structuration ethnique des populations de la boucle du Niger. Il s’agit du concept intégrateur de communication. Nous avions en effet, à travers lui, une possibilité d’analyser et de décomposer la notion monolithique d’ethnie en plusieurs paramètres partiellement indépendant : communication des biens (échanges économiques et sociaux), communication des femmes (sphères d’endogamie) et communication des messages (langues). Alain Testart critiquera à juste titre ce concept bien des années plus tard, mais ce schéma cinétique reste néanmoins d’une certaine utilité.
Un article structuraliste
– GALLAY (A.). 1964. Peintures rupestres récentes du Bassin du Niger : propos de recherches. J. de la Soc. des Africanistes, 34, 2, 123-138.
Une longue fréquentation
Le structuralisme est-il une théorie scientifique ?
On a dit que le structuralisme de Lévi-Strauss n’était pas une théorie scientifique.
Dan Sperber avance notamment à propos des « Mythologiques » que cette approche se situe en dehors du cadre de la science puisque les analyses proposées n’épuisent pas le contenu des mythes et ne sont pas réfutables.
Sans porter de jugement sur ce cas précis, on fera remarquer que :
1. l’approche d’une fraction seule de la réalité n’est pas contraire à la méthode scientifique mais le fondement même de la démarche empirique;
2. les règles à vocation nomologique ne sont pas les seuls principes explicatifs retenus en science. Toute explication n’est pas obligatoirement causale. Il existe des explications reposant sur la compréhension des structures; la raison des acteurs n’est pas une explication causale, etc.;
3. La notion de structure permet des anticipations applicables à de nouveaux corpus extérieurs aux données de base. Elle ouvre donc la voie à la prédiction et à la réfutabilité.
Pour nous structures et régularités sont des notions superposables.
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