Comment rendre compte des sociétés néolithiques ?
Au delà des descriptions et des typologies, nous avons cherché à comprendre comment fonctionnaient les sociétés néolithiques de l’Europe occidentale en général et des Alpes en particulier (Gallay 1995, à paraître 1).
Pour cela nous avons tenté de mobiliser à la fois les données locales et des considérations d’ordre anthropologique. Un classement des questions abordées peut s’organiser selon un espace centrifuge partant de la cellule domestique et s’ouvrant à des espaces topographiques et géographiques de plus en plus larges (Gallay et al. 2006).
1. La maisonnée
La maisonnée constitue la cellule minimale regroupant des individus souvent apparentés d’une même famille qui produisent et consomment ensemble. Elle est caractérisée, selon Sahlins, par un mode de production domestique. Le devenir de ces sociétés va se jouer à travers l’intégration de cette cellule fonctionnelle minimale dans des structures de plus en plus larges.
C’est à ce niveau que peut être abordée l’étude des techniques. L’ouverture de la maisonnée vers l’extérieur s’opère à travers la spécialisation artisanale notamment au niveau du travail du cuivre et du polissage de la pierre.
Elena Burri, à l’occasion de sa thèse, a abordé ces questions à travers l’identifications des productions propres aux diverses maisons d’un même village (Gallay 1995, Burri 2006).
La fouilles d’une maison du Néolitique moyen dans l’horizon inférieur du Petit-Chasseur à Sion fournit un exemple d’étude d’une structure domestique unique (Sauter et al. 1971).
Plan d’une des cabane de l’horizon Néolithique moyen du Petit-Chasseur à Sion (Valais).Un four et un foyer occupent l’avant de la maison tandis que des fosses-silos sont aligées dans le fond de l’espace domestique.
2. Le village et son terroir
Diverses unités domestiques composent l’agglomération. Cette dernière est liée à un terroir d’où elle extrait ce qui lui est nécessaire pour subsister et se reproduire. Ce dernier abrite également les nécropoles, demeures des ancêtres.
L’organisation des village à travers les questions touchant la périodicité de l’habitat littoral a été abordée à l’occasion des fouilles d’Auvernier (Gallay 1965, un modèle aujourd’hui à juste titre rejeté sur la base des travaux de Pétrequin).
La délimitation des terroirs en domaine haut-rhodanien valaisan a fait l’objet de plusieurs études et a débouché sur un programme de prospection des zones de hautes altitudes (Gallay 1983, Crotti et al. 1983, Baudais et al. 1987, 1990). Ces prospection ont permis de découvrir des sites d’altitude occupés dès le Mésolithique. Ce programme a généré plusieurs recherches dans ces zones avec notamment aujourd’hui une surveillance régulières des glaciers, dont la fonte est susceptible de faire ressurgir des vestiges anciens (prospection Philippe Curdy).
Implantation des villages néolithiques de plaine de la haute vallée du Rhône et territoire d’une heure de marche.Cercles: villages; carrés : cimetières à tombes Chamblandes
Coupe transversale de la haute vallée du Rhône.
Disposition des home ranges associés aux villages néolithiques de la haute vallée du Rhône entre plaine et sites d’occupation estivaux d’altitude.
Un intérêt tout particulier a été porté aux rituels funéraires (Gallay 1991) à travers la question des tombes de type Chamblandes (Moinat, Gallay 1998) et l’analyse de la nécropole du Petit Chasseur à Sion (Gallay 1978, 1990a).
Pour une synthèse sur 50 ans de réflexions méthodologiques au sujet de la nécropole du Petit Chasseur, voir présentation donnée à l’Université de Neuchâtel le 12 novembre 2009.
Plaidoyer pour une anthropologie générale
d’interprétation des vestiges, notamment sur le plan des interprétations fonctionnelles. Elle implique une remise en question des pratiques même de l’anthropologie, une question abordée à propos de la notion de bien de prestige.
La question des tombes mégalithiques a fait parallèlement l’objet d’une approche transculturelle inspirée des travaux d’Alain Testart (Gallay 2006).
3. L’ouverture vers l’extérieur : les circulations à longue distance
Au delà des terroirs villageois commencent les échanges économiques ou sociaux qui ont lié les communautés humaines entre elles, une alternative qui coexiste avec les affrontements plus ou moins violents qui, souvent, ont marqué le destin des hommes.
Schéma d’analyse des transferts de matériaux, biens vivriers ou biens manufacturés. E1 : village principal, T: Territoire de l’établissement, HR: home range, R: région (Valais), S: sources possible des produits. E2 représente une autre communauté villageoise.
Nous proposons de considérer les importations de coquillages méditerranéens en milieu tombes Chamblandes comme un phénomène aussi important que la circulations des haches polies, bien attestée à cette époque. (Gallay à paraître 2).
4. Les populations
A l’échelle la plus large, nous ne pouvons faire l’impasse sur les questions liées à l’identification des différentes populations de la préhistoire, une question particulièrement délicate. Nous opposons ici la notion de « culture », assemblage d’objets hétéroclites, connotés en L et T, à la notion de « population », connotée sur le plan F, une notion proche de celle d’ethnie (Gallay 2000).
Nous avons proposé de comprendre la dynamique populationnelle des sociétés néolithiques européenne en proposant un modèle s’inspirant des travaux de Sahlins (dynamique du mode de production domestique), d’Alexander (notion de frontières mouvantes et de frontières fixes) et du Néo-évolutionnisme nord-américain (sociétés de rangs versus chefferies héréditaires) (Gallay 1990b et c).
Schéma de l’évolution des sociétés néolithiques du bassin rhodanien. Les caractérisations socio-polithiques des divers stades font aujourd’hui l’objet d’une réévaluation.
Ce schéma doit être aujourd’hui revu à la lumière des travaux de Testart (2005), dont notre livre sur les mégalithes tient compte, ainsi que du modèle intégrant cycles climatiques et changements culturels proposé par l’équipe de Pierre Pétrequin (Alfolter et al. 1997).
A l’échelle européenne, notre analyse des traditions céramiques d’accompagnement du « package » campaniforme va également dans le sens d’une analyse populationnelle (Gallay 1979, 1986, 2001, Besse 1996).
Expositions
Le Valais avant l’histoire
Une exposition sur la préhistoire du Valais. Musée cantonal d’archéologie (Sion)
Pierres de mémoire, pierres de pouvoir
Comment comprendre le mégalithisme alpin à travers une enquête sur les sociétés mégalithiques récentes connues par l’ethnohistoire et l’ethnologie.
Espace d’archéologie du Musée d’histoire du Valais (Sion) :
26 juin 2009-3janvier 2010
Téléchargez la présentation interactive de l’exposition sur les sociétés mégalithiques .
Publications
ALFOLTER, J., ARBOGAST, R.-M., BAUDAIS, D. et al. 1997. Synthèse 3 : dynamique d’expansion culturelle et croissance démographique. In : PETREQUIN, P. ed. Les sites littoraux néolithiques de Clairvaux-les-Lacs et de Chalain, vol 3 : Chalain station 3 3200-2900 av. J.-C., 2. Paris : Maison des sciences de l’homme, 563-575.
BURRI (E.). 2006. Histoire du peuplement de la station littorale de Concise (Vaud) au Néolithique moyen, à partir de la céramique et de données ethnoarchéologiques. Genève : Dép. d’anthrop. et d’écologie de l’Univ. (Thèse de doctorat : Fac. des sci. de l’Univ. de Genève).
CROTTI (P.), CURDY (P.), DAVID (M.), FARJON (K.), GALLAY (A.), PIGNAT (G.), STUDER (J.), WERMUS (E.). 1983. Le territoire des sites du Néolithique moyen valaisan (Suisse). In : Le peuplement de l’intérieur du massif alpin de la préhistoire à la fin de l’Antiquité. Colloque int. sur les Alpes de la préhistoire à la fin de l’Antiquité (10-12 sept. 1982 ; Aoste). Bull. d’études préhist. alpines (Aoste), numéro spéc., 15, 55-80.
GALLAY (A.). 1965. Les fouilles d’Auvernier 1964-65 et le problème des stations lacustres. Archs suisses d’anthrop. générale (Genève), 30, 57-82.
GALLAY (A.). 1978. Stèles néolithiques et problématique archéologique. Archs suisses d’anthrop. générale (Genève), 42, 2, 75-103.
GALLAY (A.). 1979. Le phénomène campaniforme : une nouvelle hypothèse historique. In : MENK (R.), GALLAY (A.), ed. Anthropologie et archéologie : le cas des premiers âges des Métaux. Int. symposium (25-30 sept. 1978 ; Sils-Maria). Archs suisses d’anthrop. générale (Genève), 43, 2, 231-258.
GALLAY (A.). 1983. De la chasse à l’économie de production en Valais : un bilan et un programme de recherche. Genève : Dép. d’anthrop. et d’écologie de l’Univ. (Docum. du Dép. d’anthrop. et d’écologie de l’Univ. de Genève ; 7).
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BAUDAIS (D.), CURDY (P.), DAVID-ELBIALI (M.), MAY (O.). 1990. La néolithisation du Valais : modèles de peuplement et premier bilan de la Prospection Archéologique du Valais (Suisse). In : BIAGI (P.), ed. The Neolithisation of the Alpine Region. Int. round table (29 apr.-1 may 1988 ; Brescia). Brescia : Mus. civico di sci. nat. (Natura Bresciana : monogr. ; 13), 159-174.
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MOINAT (P.), GALLAY (A.). 1998. Les tombes de type Chamblandes et l’origine du mégalithisme alpin. Archéol. suisse, 21, 1, 2-12.
SAUTER (M.-R.), GALLAY (A.), CHAIX (L.). 1971. Le Néolithique du niveau inférieur du Petit-Chasseur à Sion, Valais. Annu. de la Soc. suisse de préhist. et d’archéol., 56, 17-76.
TESTART, A. 2005. Eléments de classification des sociétés. Paris : Errance.
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