Vers une anthropologie générale
Depuis longtemps nous avons été fasciné par les travaux d’Alain Testart, mais ce n’est que récemment que nous nous sommes rencontrés pour la première fois grâce à l’initiative de Frédéric Lontcho des éditions Errance.
Nous avons notamment présenté ses recherches sur l’idéologie du sang chez les chasseurs dans notre cours d’ethnoarchéologie. Il nous a permis d’enrichir considérablement notre problématique d’analyse des sites mégalithiques sénégambiens à travers le notion de morts d’accompagnement. Plus récemment, nous nous sommes largement inspiré de ses Eléments de classification des sociétés pour rédiger une synthèse sur les sociétés mégalithiques.
Son approche anthropologique générale concorde aujourd’hui avec nos préoccupations et couronnent en quelques sorte les démarches de toute une carrière en donnant sens à des travaux souvent dispersés qui peuvent enfin s’intégrer dans une vision générale de l’anthropologie (www.alaintestart.com).
Alain Testart m’a conforté dans les perspectives qui ont toujours été les miennes, à savoir :
- Il est possible de construire une anthropologie générale au delà des particularismes culturels locaux.
- Dans cette construction ethnologie et archéologie doivent travailler ensemble.
- Il convient de distinguer évolution et histoire. L’évolution ne représente que la composante dynamique de certaines structures, une position qui rejoint nos réflexions sur l’utilisation de la cladistique dans l’étude des dynamiques sociales et politiques.
Thèmes
Plusieurs questions épistémologiques trouvent ici des solutions élégantes. Au compte de ces dernières nous pouvons citer : le place du discours anthropologique par rapport aux sciences de la nature, notamment par rapport à la biologie de l’évolution, la critique et le dépassement des schémas évolutionnistes nord-américains trop souvent présents dans les travaux des archéologues , les relations que l’on peut établir entre approche taxonomique des sociétés humaines et l’étude des scénarios historiques locaux, l’approche anthropologique des rituels funéraires.
Réponses
Les démarches comparatives d’Alain Testart offrent une réponse élégante au dilemme que nous posait jadis l’enseignement d’André Leroi-Gourhan et justifie les démarches ethnoarchéologiques que nous avons suivies. Elles répondent enfin aux frustrations que nous ressentons devant maintes études ethnologiques essentiellement descriptives dépourvues de préoccupation généralisantes.
Dans un article récent paru dans le Bulletin de la Société préhistorique française (103.2, 2006, p.385-395) : « Comment concevoir une collaboration entre anthropologie sociale et aerchéologie ? A quel prix ? » Alain Testart résume parfaitement les enjeux actuels du comparatisme ethnographique.
En s’inspirant de cette réflexion et en intégrant les acquis du logicisme nous pouvons proposer un schéma permettant effectivement d’intégrer les deux disciplines.
Deux considérations peuvent servir de point de départ.
La première avait été développée en conclusion d’un colloque sur les sociétés du Paléolithique supérieur tenu à Lyon en 2005 (Gallay 2007).
Le discours archéologique semble se dissocier en deux ensembles. Nous avons d’une part des analyses de plus en plus sophistiquées sur des matériaux de plus en plus minutieusement collectés et d’autre part des « scénarios » présentant une histoire ou une mise en scène sensée rendre compte de notre compréhension des faits. Cette seconde phase procède d’une rupture radicale par rapport à la phase d’analyse des faits. La désinvolture avec laquelle elle est construite tranche radicalement avec les contraintes acceptées pour établir la base de faits qui est mobilisée. On passe immédiatement à des interprétations univoques procédant le plus souvent du sens commun comme si les faits archéologiques imposaient automatiquement une seule interprétation possible (schéma 1).
La seconde trouve son origine dans l’article ici cité.
Dans le domaine de l’établissement de référentiels l’ethnoarchéologie a ses limites. « Car on ne va pas expérimenter sur le sacrifice humain. Pas plus qu’on ne pourra observer maintes pratiques sociales parce qu’elles ont depuis longtemps disparu sous les coups conjugués des missionnaires, du colonisateur et des marchands », d’où la nécessité de recourir également à des observations anciennes d’ordre historique remontant notamment à la période des premiers contacts (16ème-19ème siècle le plus souvent).
On peut désormais concevoir une recherche se déroulant en cinq phases :
1. Réunir les observations archéologiques.
2. Intégrer les observations archéologiques de façon à obtenir une ou plusieurs premières interprétations. Cette étape relève le plus souvent des sciences de la Nature au sens large et bénéficie de référentiels bien établis sur des bases observationnelles ou expérimentales.
3. Ouvrir le champ des plausibles en faisant appel à des référentiels ethnoarchéologiques ou à des sources historiques récentes. Cette phase relève des sciences sociales et intègre un paramètre nouveau particulier aux sciences humaines : la volonté des acteurs et les représentations idéelles .
4. Confronter les hypothèses à de nouveaux faits archéologiques afin d’éliminer certaines alternatives.
5. Proposer une ou, le plus souvent, plusieurs interprétations plausibles (schéma 2) .
Deux travaux largement inspirés des recherches d’Alain Testart
– GALLAY (A.). 2007. Le mégalithisme sénégambien : un approche logiciste. In : DESCAMP (C.), CAMARA (A.) ed. Senegalia : études sur le patrimoine ouest-africain (Hommage à Guy Thilmans), 205-222.
– GALLAY (A.). 2006. Les sociétés mégalithiques : pouvoir des hommes, mémoire des morts. Lausanne : Presses polytechniques et univ. romandes. (Le savoir suisse : histoire ; 37).
Alain Testart nous a quitté le 2 septemble 2013.
Un colloque a été organisé en sa mémoire en novembre 2016 :
Le programme des communications :
La communication au Colloque :
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