Le Sahel précolonial et l’enquête ethnohistorique
Albert Jacquard, alors à l’I.N.E.D. de Paris et professeur associé au département d’anthropologie de l’Université de Genève, dirigeait dans les années 70 une vaste enquête de génétique des populations consacrée aux isolats humains. L’un des domaines retenus concernait les Dogon du Gourma-des-Monts, au Mali.
Claudine Sauvain-Dugerdil, une ancienne étudiante de notre département, préparait une thèse de biologie humaine sous sa direction. Après un séjour aux Etats-Unis et des enquêtes démographiques au Guatémala dans la région du lac Atitlan, elle avait été retenue pour dresser la généalogie complète des communautés dogon du Sarnyéré, l’un des massifs montagneux du Gourma-des-Monts, et pour procéder à une enquête démographique.
Claudine Sauvain-Dugerdil poursuivait au Sarnyéré un travail admirable, seule et dans des conditions très difficiles. Elle avait appris le dialecte local, une langue qui n’avait jamais fait l’objet d’une description. Grâce aux liens de confiance qu’elle avait su tisser, elle avait réussi à restituer l’histoire des villages de la montagne et à construire une généalogie complète des familles. Cette dernière comprenait 2749 individus et remontait, dans plusieurs cas, jusqu’à l’ancêtre de la chefferie, qui s’était établi au Sarnyéré, probablement avant 1700. Cette généalogie reste encore aujourd’hui la plus complète de tout le Pays dogon.
Notre amie devait retourner au Sarnyéré en 1976 pour compléter ses enquêtes et n’était guère enthousiaste à l’idée de se retrouver, une fois encore, seule sur ce terrain particulièrement difficile. Je n’étais de mon côté plus retourné au Mali depuis 1965 et l’Afrique commençait à me manquer. Nous avons donc organisé, en collaboration avec le docteur Robert DuBois de Genève, une mission commune en mars et avril 1976.
Prolongeant le travail de notre collègue, nous avons alors abordé les thèmes qui nous étaient chers : l’ethnographie de la céramique actuelle et l’archéologie du petit massif, et découvert à cette occasion l’intérêt des études ethnohistoriques pour la restitution du passé africain.
Thèmes
Le Sarnyéré dogon a été pour nous l’expérience fondatrice d’une démarche essentielle pour la restitution de l’histoire des populations africaines, démarche alliant étude des traditions artisanales actuelles, enquêtes ethnohistoriques et généalogiques et prospections archéologiques sur des sites d’anciens villages. Nous avons pu à cette occasion préciser les liens épistémologiques opposant la généralité de l’approche ethnoarchéologique et le particulier des trajectoires historiques locales. Cette démarche trouve aujourd’hui son meilleur aboutissement dans la thèse d’Anne Mayor : Traditions céramiques et histoire du peuplement dans la Boucle du Niger (Mali) au temps des empires précoloniaux. Genève : Université de Genève (thèse de la Faculté des sciences n° 3686).
Un voyage dans le présent et le passé des Dogon du Gourma-des-Monts
– GALLAY (A.) & SAUVAIN-DUGERDIL (C.), collab. 1981. Le Sarnyéré Dogon : archéologie d’un isolat, Mali. Paris : Ed. ADPF. (Rech. sur les grandes civilisations : mém. ; 4).
– GALLAY (A.). 2003. Les traditions céramiques dogon. In : BEDAUX (R.), VAN DES WAALS (J.D.), ed. Regards sur les Dogon du Mali. Leyde : Rijksmuseum voor Volkenkunde ; Gand : Snoeck, 160-169.
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