Les archives de la terre et la vision ethnologique de la préhistoire
Nous avons entendu parler de Leroi-Gourhan pour la première fois dans un article de journal. Ce dernier relatait l’expérience menée par un professeur de Lyon qui organisait des stages de fouilles avec ses étudiants ; il s’agissait probablement de la grotte des Furtins. Cela nous paraissait une expérience extraordinaire : allier un enseignement à une pratique de terrain. Nous nous doutions pas alors que nous nous allions, plusieurs années plus tard, vivre cette même expérience à Arcy-sur-Cure.
C’est en effet grâce à l’amitié qui liait Marc-Rodolphe Sauter, notre professeur de Genève, et André Leroi-Gourhan que nous nous retrouvâmes en octobre 1960 à Paris pour compléter notre formation en préhistoire et en ethnologie au Musée de l’Homme. La capitale était alors un creuset où se mêlaient une multitude d’enseignements passionnants.
Nous pouvions enfin mettre des visages sur des noms. Au delà de l’enseignement du « Patron », nous firent alors connaissances de grands noms des sciences humaines : Claude Lévi-Strauss pour l’ethnologie, Roger Bastide pour l’histoire des religions, André Martinet pour la linguistique structurale, Gérard Bailloud pour le Néolithique de l’Europe, Jean Rouch pour le cinéma ethnographique, et bien d’autres.
Leroi-Gourhan donnait alors deux cours. L’un sera à l’origine du Geste et de la parole, l’autre servira de fondement à ses écrits sur l’art préhistorique. Dans le domaine de l’archéologie funéraire, L’hypogée des Mournouards venait d’être découvert. L’impact des discussions qui animaient alors les responsables de l’élaboration de cette découverte spectaculaire, dont Michel Brézillon, nous ont marqué à jamais quant aux possibilités de proposer une lecture ethnologique de la préhistoire. Au sein du séminaire de troisième cycle nous partagions nos expériences avec José Garanger, Claude Baudez, Pierre Becquelin et Françoise Treinen.
Thèmes
Leroi-Gourhan nous a appris à fouiller et à lire les archives de la terre. Paru en 1971 dans Sciences et Avenir , son article Reconstituer la vie résume excellemment l’enseignement qui était déjà en gestation dans les années 60. L’ethnologie, toujours présente à son esprit, quoique écartée de la constitution des archives archéologiques, pouvait combler notre intérêt pour une approche globale de l’homme.
Son analyse de l’art rupestre, qui s’organisait en plusieurs niveaux de compréhension, des observations les plus immédiates aux interprétations les plus hautes, annoncait les développements du logicisme.
Tant sur le plan de l’analyse des structures spatiales que sur celle de l’art rupestre, nous avons été immédiatement frappé par l’analogie des démarches du « Patron » avec celles du structuralisme, malgré l’absence totale de référence à ce courant dans les travaux de Leroi-Gourhan de l’époque.
Questions
L’enseignement de Leroi-Gourhan posait néanmoins trois questions qui restaient alors sans réponse explicite et auxquelles nous mettrons plusieurs années à répondre :
1. Lors de l’acquisition des données la notion d’exhaustivité dans le pratique de la fouille entraînait une telle restriction du champ d’investigation qu’il devenait impossible de produire des visions d’ensemble.
2. Lors du traitement des données, cette même exhaustivité menait à une impasse documentaire. Les documents produits étaient si nombreux qu’il devenait matériellement impossible de les traiter.
3. Lors de l’interprétation des données, le rapport à l’ethnologie était à la fois revendiqué et écarté.
Leave a reply